«Travailler au centre-ville de Montréal, c'est déprimant!»

Publié le 05/12/2023 à 07:27

«Travailler au centre-ville de Montréal, c'est déprimant!»

Publié le 05/12/2023 à 07:27

Par Olivier Schmouker

Des espaces de bureau sous-occupés, ça peut parfois procurer un sentiment de grande solitude. (Photo: Alesia Kaz pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Je travaille au centre-ville de Montréal, en mode hybride: je n’y passe plus que deux jours par semaine alors que j’y allais tous les jours avant la pandémie. J’aimais bien le dynamisme du centre-ville d’avant, mais maintenant, je ne le ressens plus du tout: les passants se font rares, les ascenseurs sont vides, les magasins font pitié, etc. C’est déprimant. Est-ce qu’il y a une chance que ça redevienne tripant d’aller travailler dans un bureau situé dans le centre-ville?» – Caroline

R. – Chère Caroline, la pandémie de COVID-19 a bel et bien été grippée le dynamisme socioéconomique du centre-ville de Montréal, et ce dernier ne s’en est toujours pas remis. Loin de là. J’en veux pour preuve le tout dernier sondage mené par la firme Léger pour le compte de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Regardons ça ensemble.

Pour commencer, deux chiffres issus de l’étude qui font froid dans le dos:

– Près de 1 local commercial sur 5 (18,2%) est aujourd’hui vacant sur la rue Sainte-Catherine, l’une des principales artères commerciales du Québec.

– 16,3% des espaces de bureau des immeubles de catégorie A sont aujourd’hui inoccupés. La situation est pire pour les immeubles de catégorie B, le taux étant de 23,6%; ça signifie que dans ceux-là le quart de l’espace n’est plus fréquenté par qui que ce soit.

Il n’est donc pas étonnant, Caroline, que vous ayez cette curieuse sensation de vide dans les ascenseurs (les bureaux accueillent globalement moins de monde) et de morosité concernant les magasins (1 boutique sur 5 est fermée).

Ce n’est pas tout. S’ajoute à cela un autre facteur: la peur de flâner dans le centre-ville, à présent qu’il est nettement moins fréquenté par les travailleurs. Une personne sur deux (48%) qui va dans le centre-ville dit aujourd’hui ne pas s’y sentir en sécurité. Et cela se vérifie surtout le soir, par exemple lors du départ du bureau alors qu’il fait déjà nuit: «On observe une recrudescence des enjeux sociaux liés à l’itinérance et à la crise des opioïdes, ce qui se traduit par un sentiment d’insécurité au centre-ville le soir à hauteur de 59% auprès de l’ensemble des travailleurs, et même de 64% auprès des seules travailleuses», dit Michel Leblanc, président et chef de la direction de la CCMM.

Comment a-t-on pu en arriver là? De toute évidence, le centre-ville de Montréal pâtit de l’engouement durable des travailleurs pour le télétravail.

– Seulement 23% des travailleurs du centre-ville y travaillent à temps plein. Inversement, 13% n’y mettent plus jamais les pieds, étant désormais en 100% télétravail.

– La majorité des travailleurs du centre-ville (64%) n’y vont plus que quelques jours par semaine. Il s’agit en général de trois journées, soit le mardi, le mercredi et le jeudi.

– Idéalement, ceux qui fonctionnent en mode hybride aimeraient passer deux journées à leur bureau du centre-ville. Pas plus. Ils aimeraient donc y aller encore moins souvent qu’aujourd’hui.

– À noter que leurs gestionnaires sont du même avis: ils considèrent que l’idéal pour leur organisation serait que les employés soient présents au bureau en moyenne 2,2 journées par semaine.

Autrement dit, Caroline, vous n’êtes pas la seule à déprimer à l’idée de vous rendre à votre bureau du centre-ville. La plupart des travailleurs sont contraints d’y aller trois fois par semaine, alors que l’idéal serait de deux fois, à leurs yeux. Et leurs gestionnaires leur donnent raison!

C’est que le simple fait de se rendre au centre-ville est pénible. L’étude de la CCMM montre en effet que:

– De plus en plus de travailleurs s’y rendent en voiture: ils étaient 46% à le faire à l’automne 2022, et 54% à l’automne 2023.

– Sans surprise, 88% de ceux-ci se plaignent des sempiternelles congestions du centre-ville et du réseau métropolitain.

– Et 66% déplorent le manque de places de stationnement, sans parler de leur coût élevé (60%).

Et les transports en commun, me direz-vous? Le REM n’a-t-il justement pas vu le jour pour pallier tous ces problèmes routiers?

– Le métro n’est plus tendance: seulement 40% des travailleurs s’en servent, à l’occasion, alors qu’ils étaient 46% l’an dernier.

– Même chose pour le bus: seulement 24% des travailleurs s’en servent, à l’occasion, alors qu’ils étaient 31% l’an dernier.

– Quant au REM, eh bien, il n’est utilisé que par 4% des travailleurs du centre-ville: il est 4 fois moins populaire que le vélo, c’est dire!

La question saute aux yeux: comment se fait-il que la voiture gagne en popularité au détriment des transports en commun, au point même de tourner en ridicule le REM?

Une partie de la réponse figure, me semble-t-il, dans l’étude de la CCMM. De fait, il a été demandé aux travailleurs ce qui pourrait les inciter à venir davantage travailler au centre-ville, et aux employeurs, ce qui, selon eux, inciterait leurs employés à venir davantage à leur bureau du centre-ville.

Résultat? 42% des travailleurs disent qu’ils apprécieraient grandement une contribution financière de leur employeur pour leurs frais de transport en commun. Que cela leur donnerait vraiment le goût de venir plus souvent.

En revanche, seulement 18% des employeurs croient que cela inciterait leurs employés à venir plus souvent au bureau.

Par conséquent, il suffirait d’une mesure managériale aussi simple qu’une prime à la venue au bureau en transport en commun pour voir un grand nombre de travailleurs affluer au centre-ville. Oui, ça suffirait peut-être bien pour changer la donne. Une piste à explorer, me semble-t-il, n’est-ce pas?

Voilà, Caroline. Travailler au centre-ville peut sûrement redevenir tripant, mais à condition de redonner le goût aux travailleurs d’y revenir. Sans leur tordre le bras, ça va de soi. Et cela pourrait passer par la création de tout nouveaux incitatifs, à l’image, entre autres, d’une passe de métro moins dispendieuse.

 

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