Tensions, attention !

Publié le 16/04/2012 à 10:57, mis à jour le 18/04/2012 à 10:55

Tensions, attention !

Publié le 16/04/2012 à 10:57, mis à jour le 18/04/2012 à 10:55

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Les tensions au sein d’une entreprise sont inévitables. Peuvent-elles propulser le développement de l’entreprise plutôt que le freiner ? Oui, répondent les auteurs. Voici comment faire des conflits et des désaccords de puissants outils pour stimuler la performance des entreprises.

Auteurs : Ken Favaro et Saj-Nicole Joni - Rotman magazine

La plupart des dirigeants travaillent dans une atmosphère tendue où coexistent deux types de tension. Il y a d’une part la tension qui se crée tout naturellement dans une équipe de cadres dont les membres talentueux et motivés collaborent, mais rivalisent aussi pour la rentabilité, le pouvoir et le statut. Et d’autre part, la pression liée à la performance. Ce stress est le lot quotidien de la plupart des grandes entreprises. Il est causé par la rentabilité par opposition à la croissance, le court terme par opposition au long terme et la réussite de l’ensemble par opposition à la réussite individuelle.###

Nous avons travaillé pendant une très longue période avec des centaines de dirigeants aux prises avec des situations difficiles et nous avons remarqué que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui savent exploiter les tensions existantes. Ils ont un talent particulier pour transformer le conflit, la division et le désaccord en progrès. Ils croient qu’un « bon » combat, celui dont on peut s’accommoder et tirer parti, est le moyen le plus efficace d’aller de l’avant. Comme le dit Brian Pitman, l’ancien PDG de Lloyds TSB, « pour s’accorder, il faut commencer par être en désaccord. »

La dynamique qui existe au sein des conseils d’administration et des équipes dirigeantes peut varier considérablement, mais la plupart du temps, elle se situe sur une échelle que nous appelons spectre relationnel. À une extrémité du spectre, les conseils et les dirigeants ont des rapports que l’on peut qualifier de dysfonctionnels mais amicaux. La tendance à éviter le conflit et à rechercher l’entente est si forte qu’aucun problème n’est jamais résolu. Le consensus équivaut à une absence de désaccord plutôt qu’à une volonté partagée de prendre des décisions et de passer à l’action. Cette absence de tension porte à croire que tous les membres de l’équipe œuvrent de façon concertée, alors qu’en fait, il n’en est rien.

À l’autre extrémité du spectre, il y a les équipes qui entretiennent des rapports dysfonctionnels et inamicaux. C’est ce qui se produit quand les intérêts personnels, l’ego et les batailles de territoire nuisent au travail véritable. La tension est palpable et les luttes de pouvoir prennent le pas sur l’intérêt de l’entreprise.

Où se trouve le juste milieu ? Là où réside la « tension productive ». La tension productive se caractérise par une convergence d’idées suffisante sur des sujets fondamentaux (mission de l’entreprise, objectifs, lecture de la situation, etc.), qui permet à l’équipe de livrer de « bons » combats de la bonne façon, pour défendre ce qui est essentiel à la performance présente et future de l’entreprise. La tension existe, mais elle crée une énergie positive qui pousse l’entreprise de l’avant. Elle est bénéfique, productive et saine.

Trop peu de tension peut avoir un effet soporifique sur l’entreprise. Trop de mauvaise tension cause la perte d’une énergie précieuse en raison de la discorde qu’elle suscite. Selon nous, soutenir une dynamique de tension productive est essentiel pour stimuler la performance. C’est pourquoi, au lieu de chercher à éradiquer les tensions, les dirigeants auront intérêt à les cultiver de façon productive.

Tirer parti des tensions

Les trois axes de tension (la croissance par opposition à la rentabilité, le court terme par opposition au long terme, le collectif par opposition à l’individuel) sont des sources d’énergie qui doivent être exploitées pour produire des effets hautement bénéfiques et durables. C’est de la capacité du conseil d’administration, du PDG et des cadres supérieurs à tirer profit de cette énergie que dépend la possibilité de créer de la richesse et de servir la société.

1. La croissance par opposition à la rentabilité. John Sunderland, ancien PDG de Cadbury Schweppes, répondait par une image quand un cadre affirmait que l’entreprise pouvait accroître sa marge de profit ou ses ventes, mais pas les deux. Il lui rappelait l’époque où l’homme vivait dans une hutte de terre battue et où sa principale préoccupation était de trouver lumière et chaleur. S’il perçait un trou dans son abri de fortune, il laissait entrer la lumière, mais également le froid ; s’il condamnait l’ouverture, il restait au chaud, mais vivait dans le noir. L’invention du verre a permis à l’homme de profiter à la fois de la lumière et de la chaleur. « Où est le verre ? » demandait alors John Sunderland à son équipe, souhaitant que celle-ci trouve des idées pour augmenter tant la marge bénéficiaire que le chiffre d’affaires. En exigeant que les stratégies de l’entreprise génèrent croissance et rentabilité, John Sunderland mettait sciemment son équipe sous tension, ce qui se traduisait, selon lui, par un gain d’énergie, et relevait le niveau de la pensée et du débat.

2. Le court terme par opposition au long terme. Dans les années 1990 et au début des années 2000, Norman Bobbins était à la tête de LaSalle Bank (aujourd’hui une filiale de ABN AMRO), l’un des établissements financiers de taille moyenne les plus florissants des États-Unis. Il raconte comment il s’est servi de l’opposition court terme - long terme pour créer une tension productive dont l’effet sur la performance était significatif. « Un de mes gérants estimait nos profits pour l’année à 180 millions de dollars [américains]. J’avais décidé que nous pouvions viser 200 millions. Quand il m’a affirmé : “Dites-moi ce que vous voulez et je l’obtiendrai”, j’ai répliqué : “Vous ne comprenez pas. Ce que je veux n’est pas important, ce qui l’est, c’est la manière d’y parvenir”. Atteindre 200 millions aurait été facile, en effet, en prêtant plus d’argent aux clients qui avaient de mauvais antécédents de crédit ou en coupant les coûts et les investissements. C’est pourquoi, quand je planifie un budget et des processus de négociations avec les gérants, le fait de savoir comment nous réaliserons les profits de l’année suivante est aussi important que de connaître leur montant pendant l’année en cours. »

L’approche de Norman Bobbins illustre brillamment comment on peut créer une tension entre le court terme et le long terme afin d’améliorer la qualité de la gestion. Il n’a pas donné raison à son gérant, mais il ne lui a pas confié non plus l’entière responsabilité de résoudre la tension créée.

3. L’intérêt commun par opposition à l’intérêt individuel. Peu de temps après son accession au poste de PDG de Barclays PLC, en 1999, Matthew Barrett a délibérément créé une tension au cours d’une réunion de son comité de direction, formé des cadres dirigeant les différentes entités de Barclays. Il était mécontent de constater que chacun plaçait l’intérêt de sa division avant celui de la banque. « Six mois après mon entrée en fonction, je les ai conviés à un déplacement. La veille, au souper, je leur ai dit : “J’ai de bonnes nouvelles, je démantèle le comité de direction.” Le silence s’est fait autour de la table. Quand ils m’ont demandé pourquoi, j’ai répondu que je respectais leur temps et que je ne voyais pas l’intérêt d’avoir des rencontres bilatérales, en groupe. Tous se sont opposés à ma décision. Ils ne voulaient pas perdre leur statut au sein du comité. J’ai fini par dire : “ Ou vous vous convainquez que votre tâche principale est la cogestion du groupe et non celle de votre division ou je démantèle le comité”. Je voulais qu’ils se sentent parties prenantes des décisions les plus importantes, quelle que fût leur place dans l’entreprise. Cela a vraiment fait de l’effet. Ils ont compris que j’étais sérieux. »

Matthew Barrett a su aborder de front l’une des tensions les plus importantes qui existent dans toute grande entreprise : l’intérêt commun par opposition à l’intérêt individuel. Il a intentionnellement utilisé cette tension pour pousser son équipe à travailler à l’amélioration de la performance de toute la banque.

Ces PDG ont en commun la capacité de repérer les bonnes tensions, mais aussi de les utiliser à bon escient, pour aller de l’avant, stimuler, susciter de nouvelles réflexions et sortir leur équipe de sa torpeur. C’est ainsi qu’ils font de leur entreprise un chef de file.

Utiliser les tensions à son profit

Lorsque PDG, cadres supérieurs et conseil d’administration entretiennent des rapports qui se situent trop près des extrémités du spectre relationnel, ils se heurtent généralement à l’une de ces trois situations : soit les « bonnes » tensions sont enfouies et ne font pas partie de leurs considérations, soit les tensions sont connues, mais elles ne sont pas abordées adéquatement, soit ce qui constitue la base d’une bonne performance (vision, mission, objectifs, données concrètes) ne fait pas consensus.

Pour remplacer une tension improductive par une tension productive, il faut d’abord reconnaître l’existence d’exigences souvent contradictoires auxquelles toute entreprise fait généralement face. Comme nous l’ont montré John Sunderland, Norman Bobins et Matthew Barrett, une dyna­mique de tension productive au plus haut échelon de l’entreprise permet d’exposer les principales tensions au vu et au su de tous. Elle est garante de la croissance et d’une plus grande renta­bilité (Tension 1). Elle jette un éclairage sur les résultats à court terme et sur les investissements cruciaux pour l’entreprise à long terme (Tension 2). Enfin, elle permet d’envisager l’intérêt commun dans l’organisation, sans diminuer la responsabilité des dirigeants des autres divisions ni minimiser les capacités de performance individuelles (Tension 3). Cette dynamique de tension productive aide l’entreprise à rester axée sur l’essentiel et évite que des sujets de moindre importance ne prennent le dessus.

Cependant, maintenir les bonnes tensions à la surface ne suffit pas. Menés de la mauvaise façon, les bons combats se soldent souvent par de terribles résultats, ce qui cause de la volati­lité, de l’instabilité, une perte d’énergie et de momentum. Il s’agit : 1) de choisir les bons combats ; 2) de les présenter ouvertement ; et 3) de les mener adéquatement.

Quand Rolf Classon est devenu PDG d’une grande société de soins de santé, il a été confronté à un problème inattendu et épineux. En effet, l’entreprise envisageait une acquisition qui aurait fait d’elle un acteur dominant dans son secteur. L’entente était presque conclue. L’achat avait été approuvé par le PDG sortant, et la direction au grand complet semblait approuver. Mais peu de temps après son arrivée, Rolf Classon découvrit que certains membres de l’équipe étaient sceptiques, parmi lesquels des gens dont il respectait le point de vue.

Il réunit toute son équipe et lui dit qu’il n’était pas sûr que l’acquisition soit une bonne chose. Certains se mirent en colère, car ils pensaient que c’était un fait accompli. Rolf Classon invita tous ses collaborateurs à une discussion à cœur ouvert, précisant qu’il ne connaissait pas le dossier, ce qui faisait de lui un bon arbitre. À vrai dire, il n’avait pas encore pris de décision. Il voulait l’opinion de l’équipe, dans l’espoir d’approfondir la cause des réticences (en matière d’acquisition, il n’y a ni bonnes ni mauvaises réponses) qui n’avaient pas été clairement exprimées jusque-là. Quand les membres de l’équipe ont compris qu’il tentait d’instaurer un nouveau type de questionnement fondé sur la croyance qu’à la barre d’une entreprise il y a suffisamment de confiance et de respect pour que les dissensions soient tolérées, des idées originales furent énoncées. Finalement, tous conclurent que l’acquisition présentait certainement des avantages sur le plan financier, mais que sur le plan stratégique, l’occasion n’était pas aussi bonne que certains l’avaient pensé. L’entente ne fut pas conclue. Six mois plus tard, une autre occasion d’acquisition, beaucoup plus intéressante, s’est présentée ; l’équipe disposait alors des ressources, du temps et de la confiance mutuelle nécessaires pour mener le projet à bien. L’achat a permis à l’entreprise d’occuper une place enviable dans son secteur.

Pour mener à bien ce combat, Rolf Classon avait un atout de taille : un consensus solide sur lequel asseoir sa réussite.

Tout dirigeant doit apprendre à gérer la tension, à l’augmenter ou à la diminuer. C’est l’un des outils les plus importants dont il dispose pour exploiter le plein potentiel de son équipe et de son entreprise. Il y a de fortes probabilités que dans chaque entreprise, il y ait au moins un combat qui ne vaille pas la peine d’être livré et une occasion négligée qui mériterait qu’on lui accorde une plus grande importance immédiatement.

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