Le charme des petites routes

Publié le 26/11/2010 à 15:37, mis à jour le 26/11/2010 à 15:42

Le charme des petites routes

Publié le 26/11/2010 à 15:37, mis à jour le 26/11/2010 à 15:42

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ED CAROLAN EST UN CONNAISSEUR EN MATIÈRE DE SOUPE. Il maîtrise également l’art de fixer des objectifs de rendement raisonnables, susceptibles de motiver les employés les plus récalcitrants. De 2007 à 2009, il a occupé le poste de vice-président et directeur général de StockPot, une division de Campbell spécialisée dans les soupes réfrigérées. (Il est depuis devenu vice-président principal et directeur général de la division des collations Pepperidge Farm, qui appartient aussi à Campbell.)

Auteurs : Jon Katzenbach et Zia Khan, Strategy+Buisness

Quand Ed Carolan est entré en fonction, StockPot avait besoin d’un sérieux coup de barre : les deux années précédentes, sa rentabilité avait diminué considérablement, et les ventes ne cessaient de décliner. La division se classait en queue de peloton dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de Campbell, et ce, sur de nombreux plans, tels la sécurité, la motivation des employés, etc.).

Ed Carolan et son équipe de direction sont parvenus à renverser la vapeur. Dès la première année, ils ont réussi à stabiliser les profits puis à les faire grimper de 50 %... en plein cœur de la récession. Le plus difficile consistait à améliorer la productivité de l’usine, ce qui, en période de tourmente économique, relève du prodige, les éventuels progrès se mesurant alors généralement en dixièmes de point de pourcentage.

Pourtant, chez StockPot, la productivité a crû de 23 % entre 2008 et 2009. La motivation des employés a également bondi, à hauteur de 14 %. Ceux-ci ont même dépassé leurs objectifs pour la campagne humanitaire United Way, en recueillant 27 % plus de fonds que l’année précédente (ce qui leur a permis de décrocher le Prix du bâtisseur communautaire United Way pour l’entreprise ayant le plus d’impact au sein de sa communauté, à savoir le comté de Snohomish, dans l’État de Washington).

Comment Ed Carolan et son équipe ont-ils pu réaliser une transformation aussi remarquable en si peu de temps ? Ils se sont concentrés sur un nombre limité d’objectifs de rendement mesurables. Et ils l’ont fait de façon personnelle, spontanée et positive.###

Deux univers parallèles

Dans toute entreprise coexistent deux univers parallèles : le formel et l’informel. L’univers formel est largement dominant dans la plupart des organisations. Il s’agit des règles établies à l’interne, des procédures administratives à suivre, des programmes en vigueur, de la hiérarchie mise en place, bref, de tout ce qui est rationnel. Si vous avez une formation dans des disciplines comme la finance, la technologie ou la gestion, ce qui est le cas de bon nombre de cadres supérieurs, vous évoluez sans doute assez naturellement dans l’univers formel, à l’aide d’outils concrets comme des descriptions de tâches, des organigrammes, des processus opérationnels et des tableaux de résultats.

L’univers informel, quant à lui, regroupe tous les aspects humains de l’entreprise : les valeurs, les émotions, les comportements, les mythes, les normes culturelles et les échanges spontanés. Il peut se traduire par des contestations imprévues, des vagues d’anxiété, voire de peur parmi les employés ou, inversement, un élan positif généralisé. Son pouvoir ne doit jamais être négligé par les gestionnaires, surtout en période de changements majeurs.

Les organisations qui parviennent à maintenir un rendement élevé pendant une longue période savent comment naviguer dans l’univers informel sans pour autant nuire aux structures formelles. En règle générale, le personnel apprécie cette capacité de « diriger hors des sentiers battus », c’est-à-dire de mener tout le monde vers le but à atteindre, mais pas nécessairement en empruntant toujours la voie la plus connue. Les autoroutes peuvent être efficaces mais aussi terriblement ennuyeuses, alors que les petites routes sont parfois très belles tout en menant presque au même endroit.

Mais voilà, tous les gestionnaires ne se sentent pas forcément à l’aise d’emprunter de nouvelles voies. C’est qu’il n’y a pas de règle universelle pour bien le faire. En réalité, tous peuvent y parvenir, pourvu qu’ils respectent la ligne de conduite suivante : l’important est de chercher l’équilibre entre les univers formel et informel.

Un bon point de départ consiste à fixer les objectifs à atteindre, et tant mieux s’ils sont mesurables. Ensuite, il faut évaluer les différents moyens permettant d’atteindre les buts visés, sans oublier qu’on peut combiner ces divers moyens (une portion d’autoroute, suivie d’une petite route, puis d’un grand chemin, etc.). Si vous parvenez ainsi à suivre toutes les règles en vigueur et à pimenter le tout avec des utilisations partielles d’éléments provenant de l’univers informel (recours à un réseau d’information informel, etc.), alors vous obtiendrez, à n’en pas douter, de meil¬leurs résultats que si vous aviez utilisé la manière traditionnelle de faire, ne serait-ce que par le fait que les employés concernés auront une meilleure compréhension de leur mission et de l’importance de leur apport personnel.

Certains critiqueront cette approche en avançant qu’elle nécessite de donner de longues explications au personnel, parfois même d’avoir des entretiens individuels, et que leur emploi du temps étant déjà surchargé, il leur est absolument impossible d’envisager de sortir des sentiers battus. Une telle critique révèle en fait que le gestionnaire en question ne consacre pas assez de temps à ses employés : s’il avait pris la peine d’investir quelques heures à construire de vraies relations de travail, il se serait aperçu qu’en bout de ligne il aurait gagné en efficacité puisque chacun, sachant bien ce qu’il a à faire, est alors à même de travailler de manière synchrone avec les autres membres de l’équipe.

« Faites ce que vous dites que vous ferez »

Le cas d’Ed Carolan et de son groupe de travail chez StockPot est exemplaire. Pour renouer avec les profits, ils se sont rendu compte qu’ils devaient se concentrer davantage sur les grands détaillants et y consacrer plus de ressources. Cela leur permettrait de profiter de leur capacité de produire à grande échelle ainsi que de réduire leurs stocks, deux éléments vitaux pour toute entreprise ayant des frais fixes élevés.

L’équipe de direction a aussi décidé de changer l’image de StockPot afin de toucher de nouveaux marchés. Jusqu’alors, ses soupes étaient perçues comme des produits de qualité, selon un article du magazine Food Engineering : « StockPot prépare des soupes avec la même approche que les chefs de grands restaurants, c’est-à-dire en utilisant les meilleurs aliments et les plus frais », y était-il écrit. Le nouvel objectif consistait à être reconnu comme un bon fournisseur de plats à emporter car, en période de récession, les employés de bureau vont moins au restaurant le midi ou le soir, et achètent davantage de plats préparés.

Pour une telle transformation, il importait de remotiver les troupes, ce qui passait par l’instauration de nouvelles valeurs au sein de l’entreprise. Ed Carolan et ses collaborateurs ont alors tenu une série de tables rondes pour discuter en petits groupes. La presque totalité des 350 employés de l’usine y a participé. Cela a permis d’apprendre que le personnel répétait les mêmes tâches depuis de nombreuses années ; que personne ou presque n’avait fait le moindre effort pour améliorer les processus de travail ; qu’à la connaissance de chacun, l’entreprise n’avait pas de stratégie claire ; que personne ne discutait ouvertement des résultats financiers de l’entreprise ; et que personne n’était conscient des objectifs visés. Résultat : le moral des troupes était à son plus bas, la collaboration réduite à sa plus simple expression et le travail d’équipe inexistant.

Ed Carolan et son équipe ont fait la synthèse des commentaires ainsi recueillis, ont dressé une liste des valeurs proposées par les employés, l’ont distribuée en demandant à chacun de voter pour celles qui lui semblaient les plus importantes. L’équipe a ensuite analysé les résultats et ramené le tout à une courte liste. Enfin, elle a amorcé une nouvelle ronde de discussions avec les 350 employés pour améliorer le libellé de chaque valeur et s’assurer que toutes étaient bel et bien les plus importantes aux yeux de tous.

Ce vaste processus a démontré aux employés de StockPot que leurs opinions et leurs sentiments avaient de l’importance. Les gens ont aussitôt développé un plus grand sentiment d’appartenance. Comme dans toutes les démarches visant à déterminer les valeurs d’une organisation, le processus lui-même avait autant d’importance que les résultats obtenus, sinon plus. Aujourd’hui, une affiche est accrochée partout dans l’usine : « Faites ce que vous dites que vous ferez », peut-on y lire. « Ça semble un peu verbeux, mais c’est pourtant ce que tout le monde voulait. Nous avons commencé par “Faisons ce que nous disons”, ce qui me semblait très bien, jusqu’à ce que quelqu’un demande : “C’est qui, nous ?” Quelle bonne question ! Pour certains, le “nous” pouvait être associé à l’équipe de direction seulement… Le dialogue que nous avions eu à propos de la responsabilité et de l’engagement de chacun nous a permis de mieux nous comprendre les uns les autres, et c’est ainsi que nous en sommes venus à un énoncé moins élégant mais plus significatif. Le slogan “Faites ce que vous dites que vous ferez” s’applique à tout le monde. Il a vraiment contribué à améliorer le rendement », explique Ed Carolan.

Des panneaux indicateurs

Une fois les nouvelles valeurs instaurées, l’équipe de direction a mis au point une stratégie très simple ne comportant que quelques éléments. Pour chacun de ces points, elle a spécifié un ou deux paramètres visant à mesurer le rendement. À titre d’exemple, pour la chaîne d’approvisionnement, une fonction souvent gérée à partir de plusieurs critères difficiles à déchiffrer, seuls deux éléments ont été retenus : le service à la clientèle et le nombre de litres de soupe par jour.

Le service à la clientèle revêtait une importance stratégique pour l’entreprise, compte tenu de sa clientèle cible : les grands détaillants, reconnus pour leurs exigences élevées. La capacité de StockPot de bien servir cette clientèle nécessitait une plus grande coordination entre les quarts de travail, une hausse du rendement et un meilleur rapport qualité-prix. Très vite, les employés ont tiré une grande fierté de l’amélioration de chacun de ces points.

Quant à l’autre paramètre, les lb/jour, il a aussi été choisi avec soin. « Au début, nous mesurions les lb/heure de travail, la manière standard de connaître la quantité de soupe produite pour chaque heure de travail. L’ennui, c’est que cette mesure ne signifiait rien pour les employés. Il était difficile de savoir ce qu’était un bon ou un mauvais résultat, et comment chacun pouvait contribuer à améliorer sa performance », indique Ed Carolan.

Apprenant que la direction allait faire une de ses priorités des lb/jour, le personnel s’est mis à craindre qu’elle veuille améliorer le rendement en réduisant tout bonnement le nombre d’heures de travail. Pour rassurer tout le monde, l’équipe de direction a immédiatement apporté un démenti et annoncé que le changement était une simple modification de l’unité de mesure, soit l’adoption des lb/jour.

« Tout le monde touche au produit : on le prépare, on le cuisine, on l’emballe et on l’expédie. La production quotidienne, c’est concret et significatif : le personnel s’enthousiasme quand il voit les chiffres grimper. Ça aide aussi les employés à mieux coordonner leurs efforts et à travailler en équipe. Les lb/jour, ça implique que tous les quarts de travail font leur part pour optimiser la production quotidienne. La notion de nettoyer son espace de travail et de le préparer pour son collègue prend alors un tout nouveau sens. Chacun a le sentiment d’aller dans la même direction pour atteindre le but visé », précise Ed Carolan.

Détail non négligeable : il faut que les paramètres de rendement soient compréhensibles pour tous. Les plus importants ont été affichés partout dans l’usine, sur des écrans LCD, en s’inspirant des feux de circulation : une couleur verte apparaît quand l’objectif est atteint, jaune quand le résultat est incertain et rouge quand il est en voie d’être raté. « Si vos résultats sont bons et qu’ils passent soudainement au rouge, vous savez exactement ce que ça signifie et ce que vous devez faire. Ça évite les frustrations associées aux formules compliquées, qui empêchent de deviner intuitivement comment corriger le tir », souligne Ed Carolan.

Les objectifs affichés sont ceux à court terme, si bien que toute erreur a un impact immédiat sur la couleur qui lui est associée. Par exemple, si des préparations de soupes sont ratées en usine pour une raison ou une autre (pots renversés, etc.), le coût du ratage apparaît chiffré en cents. « Quand les employés ont compris que nous pouvions obtenir un avantage sur la concurrence en faisant attention au moindre cent gaspillé, ils sont aussitôt devenus plus minutieux », dit Ed Carolan.

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