La fibre de David J. Paterson

Publié le 29/10/2008 à 17:53

La fibre de David J. Paterson

Publié le 29/10/2008 à 17:53

Par lesaffaires.com

AbitibiBowater ajoute un ingrédient environnemental à la recette de son redressement. Le tout lèvera-t-il ?


David J. Paterson peut difficilement passer inaperçu. L'imposante carrure de cet Américain est doublée d'un franc-parler dont il se sert abondamment pour affirmer que l'industrie forestière apprend de ses erreurs. Le PDG d'AbitibiBowater travaille d'arrache-pied pour remettre l'entreprise sur les rails après la fusion d'Abitibi-Consolidated et de Bowater. Au début, la fusion de ces forestières était justifiée par le besoin de se restructurer et de diminuer les coûts dans le secteur du papier journal, qui représente 41 % des activités. Cette union a permis d'augmenter les prix et de lutter contre une inflation difficile à anticiper.

Une deuxième vie pour les machines à papier

Maintenant, David J. Paterson et son équipe appuient sur l'accélérateur pour que ce redressement ne se limite pas à des fermetures d'usines. AbitibiBowater a donc adopté une série de mesures comme le lancement des papiers Écolaser et Écopaque, fabriqués avec moins de produits chimiques et d'énergie que les papiers des générations précédentes. " Lors de la deuxième phase de notre revirement, nous chercherons le moyen d'utiliser nos machines à papier pour fabriquer des produits à plus haute valeur, explique le PDG. Le lancement de nos papiers à impact environnemental moindre répond à ce besoin, car les règles de ce marché diffèrent de celles du papier journal. Ces papiers écologiques génèrent des revenus supérieurs en utilisant les mêmes actifs, ce qui permet des profits plus élevés. "

Le PDG voit un potentiel important du côté de ces nouveaux papiers. Environ 35 % des activités de l'entreprise portent sur l'impression commerciale, dont 6 % des ventes se font à l'international. " Plusieurs marchés mondiaux sont en croissance, dit-il. L'Amérique du Sud, l'Asie, le Moyen-Orient et l'Europe de l'Est ont une demande de plus en plus forte. Nos produits traditionnels en bénéficient. Dans les marchés matures de l'Amérique du Nord et de l'Europe, nous avons besoin de produits de niche. Notre papier Écopaque procure aux clients une grande qualité d'impression avec un impact environnemental moindre. "

Dans le contexte économique actuel, lancer des produits dont le prix de vente est plus élevé que le prix de vente habituel d'AbitibiBowater n'est-il pas téméraire ? Ce serait plutôt nécessaire, croit le PDG, et ce, en raison du contexte économique difficile. " Si vous fermez des installations sans lancer de produits, vous ne faites que diminuer vos activités. Ce n'est pas notre intention. Nous avons besoin de nouvelles avenues de croissance, et ce, en dehors du papier journal. " Puis, il ajoute : " Les consommateurs veulent des produits qui respectent l'environnement, mais ils réclament aussi de la qualité. Par exemple, ils préféreront toujours la feuille lustrée aux autres types de papiers plus mats. En fait, les clients voudront toujours le plus beau papier possible ; il reste à voir comment le produire de façon plus écologique ".

Tout est dans la communication

L'environnement n'est pas un sujet facile pour les forestières, et le PDG d'AbitibiBowater le reconnaît sans détour. Mais il affirme aussi que le problème tient beaucoup à la communication. " Au fil des ans, nous avons posé des gestes positifs pour l'environnement, mais nous n'avons jamais su les communiquer. Et dès qu'un organisme ou un individu remettait en question nos pratiques, nous avions le réflexe de nous braquer. Nous avons mal communiqué. Aujourd'hui, nous essayons d'être plus ouverts, d'intégrer nos faits d'armes à notre message, d'être plus réceptifs au dialogue, et de ne plus nous mettre sur la défensive. "

Il ne faut pas se leurrer : les forestières ne cherchent pas seulement à soulager leur conscience et à faire bonne impression. " Faire pousser des arbres et maintenir les forêts en bonne santé est crucial pour nos activités, admet le dirigeant. C'est tout de même curieux, ce discours selon lequel les forestières détruisent la forêt... Nos installations sont là pendant des décennies ou pendant plus de 100 ans, dans certains cas. Si nous détruisions les forêts, nous ne pourrions pas être longtemps à un même endroit. Il faut gérer un cycle de vie. "

Les forêts canadiennes sont bien gérées, affirme le PDG. Bien mieux que bon nombre de forêts à l'étranger, où les normes sont beaucoup moins strictes. Ce qui, ajoute-t-il, pose un défi, car entre les préoccupations environnementales et le jeu d'une concurrence par moments déloyale, il faut trouver l'équilibre. Dans ce contexte, une stratégie comme le pari d'un papier écologique plus cher peut être considérée comme audacieuse, surtout qu'il faut aussi composer avec des défis comme l'approvisionnement. Les sociétés forestières attendent toujours que le gouvernement provincial clarifie les règles de son régime forestier. " Pourquoi croyez-vous que le niveau d'investissement a été si bas pendant des décennies ? demande le gestionnaire. Ailleurs dans le monde, de grandes installations sont en construction. On ne voit pas ça ici parce qu'il y a trop d'incertitude. Avec un contrat de location de 25 ans et des options de renouvellement de cinq ans, votre horizon de travail est toujours de cinq ans. Investir dans des installations modernes, c'est miser un milliard de dollars et compter sur une durée de vie de 50 ou 60 ans. " Le dossier n'est pas impossible à régler, croit-il. " Je pense que le dialogue est fructueux et que nous avançons dans la bonne direction. Mais nous avons besoin d'une industrie concurrentielle et en bonne santé. "

Il y a aussi les coûts de l'énergie. " Nous avons besoin de découvrir du pétrole au Québec ! " blague-t-il. Plus sérieusement, la hausse du prix du pétrole n'a pas fini d'avoir un impact. Comment composer avec la hausse du prix des produits chimiques et autres dérivés pétroliers dont la société forestière dépend pour sa production ? " La menace est énorme. On parle de centaines de millions de dollars par an pour une entreprise comme la nôtre. Ça pourrait entraîner des dépenses supplémentaires de plus de 200 millions de dollars. " Pour en comprendre l'importance, soulignons que la société a perdu 400 millions de dollars en 2007 sur un chiffre d'affaires de 3,9 milliards.

La solution que le haut dirigeant suggère ne fera pas sourire ses clients. " Il faut augmenter les prix. Ça met de la pression sur nos clients et sur l'économie, mais nous n'avons pas le choix. Regardez l'industrie aérienne : elle doit le faire aussi. Certaines compagnies, comme Delta, émergeaient à peine de la faillite et elles risquent de se retrouver dans cette situation encore une fois. "

La perception du Conseil de l'industrie forestière

Guy Chevrette, patron du Conseil de l'industrie forestière du Québec, a ses propres idées sur la gestion des risques énergétiques. Selon lui, le Québec possède un grand potentiel pour produire de l'énergie propre. " Le bois peut être extraordinaire pour faire de l'éthanol et de la biomasse. Nous avons beaucoup d'eau, beaucoup de vent, sans doute du gaz naturel qui dort. Nous avons également une forêt qui est loin d'être en péril. "

Pour sa part, David J. Paterson estime que la production d'énergie soulève des questions chez AbitibiBowater en raison des coûts de démarrage. " La partie la plus difficile, c'est d'investir. Les installations pour la biomasse peuvent coûter plus de 80 millions de dollars, et leur mise sur pied peut demander plus d'un an. Il faut que ce soit un bon investissement sur cinq à dix ans. Quand le baril de pétrole coûte 130 dollars américains, c'est un choix valable. Mais qu'arrive-t-il si les prix baissent et que la consommation de combustibles fossiles devient économique ? Toutefois, je crois quand même que la biomasse est un excellent choix, parce que le baril de pétrole ne reviendra pas à 30 dollars. "

Que pense Guy Chevrette du lancement de produits plus " verts " par des forestières comme AbitibiBowater ? " Vu la crise conjoncturelle du secteur forestier, ça servirait sans doute plus aux marchés extérieurs qu'à ceux de l'Amérique du Nord, répond-il. On ne changera pas les règles du marché en ce qui concerne l'offre et la demande. Mais ces stratégies sont de bonne guerre et elles rapportent de l'argent. " Cependant, il est clair pour lui que la consolidation n'est pas terminée. " Nous avons tous les coûts fixes (usines, emplois, équipement) pour utiliser 300 000 mètres cubes de matière première, alors que nous travaillons actuellement avec seulement 100 000 mètres cubes. Tant que la restructuration ne sera pas terminée, notre secteur ne sera pas pleinement concurrentiel. " Et, tout comme le PDG d'AbitibiBowater, Guy Chevrette insiste sur la nécessité que le gouvernement du Québec lève l'incertitude sur l'approvisionnement et clarifie sa stratégie forestière. " Sinon, qui investira sans avoir de garanties là-dessus ? Nous avons encore du chemin à faire avant d'arriver au but et nous ne savons pas quand les choses seront plus claires. C'est malheureux. "

En gros, les forestières ne sont pas sorties du bois.

Cet article a été publié dans la revue Commerce en août 2008.

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