Échouer, c'est réussir autrement

Publié le 07/05/2010 à 13:37

Échouer, c'est réussir autrement

Publié le 07/05/2010 à 13:37

Par Premium

En entraînant nos cerveaux à apprivoiser l’échec, nous ouvrons la voie à de nouvelles découvertes. C’est ce que nous apprennent les derniers développements dans le domaine des neurosciences.

Mai 1964, dans une banlieue du New Jersey. Deux astronomes de Bell Labs, Arno Penzias et Robert Wilson, manipulent un radiotélescope à l’affût des confins de l’espace. Leur objectif : détecter la moindre parcelle de radiation dans la Voie lactée, puis cartographier ces vastes étendues de l’Univers dépourvues d’étoiles brillantes. Autrement dit, les deux chercheurs ont besoin d’un récepteur particulièrement sensible, capable de distinguer le plus petit signal. Ils modifient donc un vieux radiotélescope, auquel ils ajoutent des amplificateurs et un système de calibrage permettant de renforcer un peu plus les signaux venus de l’espace. Mais ces modifications rendent l’appareil trop sensible : chaque fois que les deux astronomes le pointent vers le ciel, ils perçoivent un bruit de fond continu, des parasites qui nuisent à toutes leurs observations. Il s’agit là d’un problème technique vraiment très ennuyeux...

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Au début, les deux astronomes croient qu’il s’agit d’un bruit terrestre provenant de la ville de New York, toute proche. Toutefois, quand ils dirigent leur radiotélescope vers Manhattan, les bruits parasites n’augmentent pas. Puis, ils se disent que ce grésillement découle de la récente explosion d’une bombe dans la haute atmosphère à la suite d’un essai nucléaire. Cette hypothèse ne tient pas la route non plus, puisque le niveau des interférences reste constant. Il y a aussi le problème que causent les pigeons : un couple a établi son nid dans le récepteur et y a laissé une trace de ce que les chercheurs appelleront plus tard « de la matière diélectrique blanche ». Les scientifiques chassent les pigeons et nettoient les dégâts, toujours sans succès: plus forts que jamais, les bruits parasites ne disparaissent pas.

Au cours de l’année suivante, les deux astronomes tentent d’ignorer ce bruit de friture en se concentrant sur des observations qui n’exigent pas un silence cosmique ou une précision absolue. Ils isolent les joints d’acier à l’aide de ruban adhésif aluminium, gardent le récepteur le plus propre possible et espèrent que le changement de climat éliminera les interférences. Ils attendent la nouvelle saison, puis une autre, et une autre encore. Rien à faire : les parasites persistent et les empêchent d’entendre les faibles signaux radio qu’ils cherchent à détecter. Leur télescope est un échec.

Les leçons de la science

Professeur et chercheur à l’Université de Toronto, Kevin Dunbar s’intéresse aux travaux de ses collègues et essaie d’expliquer pourquoi ils réussissent ou échouent. Les philosophes ont longtemps spéculé sur la façon dont surviennent les découvertes scientifiques, mais le chercheur veut aller plus loin. À ses yeux, le modèle abstrait de la méthode scientifique – ce processus en sept étapes auquel sont entraînés les étu¬diants – ne peut tout expliquer, pas plus que la foi aveugle des scientifiques à l’égard de la logique et de l’objectivité. Kevin Dunbar est convaincu que les scientifiques ne réfléchissent pas toujours de la manière recommandée dans les manuels.

Intuitivement, il croit que les philosophes de la science, depuis Aristote jusqu’à Karl Popper, ont négligé quelque chose d’important qui se produit dans les laboratoires. (Comme le physicien Richard Feynman l’a si justement évoqué, « la philosophie de la science est à peu près aussi utile aux scientifiques que l’ornithologie l’est aux oiseaux ».) Le chercheur décide donc de mener sa propre enquête in vivo, pour tenter d’en apprendre le plus possible sur les errances qui surviennent lors de vraies expériences. Au début des années 1990, il lance un projet de recherche sans précédent : l’observation des activités dans quatre laboratoires de biochimie de l’Université Stanford.

Au cours de l’année suivante, il entreprend donc d’observer les détenteurs de doctorat et leurs éprouvettes, comme un ornithologue à l’affût de sa nuée d’oiseaux. Il enregistre les échanges dans les salles de conférences, arpente les corridors les oreilles grandes ouvertes, lit les demandes de subventions et les brouillons d’articles à paraître, participe aux rencontres en laboratoire, enregistre entrevue après entrevue… Il jette même un coup d’œil furtif au contenu des ordinateurs portables ! Il passera quatre ans à analyser ces données. « Je ne suis pas sûr d’avoir bien évalué dans quoi je m’embarquais, explique Kevin Dunbar. J’ai demandé un accès total au laboratoire et je l’ai obtenu. Mais il y avait tellement d’éléments dont je devais suivre la trace ! »

Kevin Dunbar tire de cette étude in vivo une conclusion troublante : la science est un domaine où la quête de résultats est profondément frustrante. Même en utilisant des techniques éprouvées, les chercheurs obtiennent des résultats inattendus dans plus de 50 % des cas. (Dans certains laboratoires, ce chiffre dépasse même les 75 %.) « Les scientifiques élaborent tous des théories très complexes pour prédire ce qui devrait se produire, mais les résultats déjouent constamment leurs pronostics, souligne Kevin Dunbar. Il arrive souvent qu’un chercheur passe un mois sur un projet, puis rejette toutes les données recueillies parce qu’elles n’ont aucun sens. » Parfois, ils cherchent une protéine spécifique, sans la trouver. D’autres fois, ils constatent qu’un échantillon d’ADN contient un gène aberrant. Le contexte varie, mais le résultat reste le même : les scientifiques cherchent x et trouvent y.

Remise en question

Kevin Dunbar était fasciné par ces statistiques. Après tout, le processus scientifique n’est-il pas censé être une recherche ordonnée de la vérité, pleine d’hypothèses élégantes et de variables contrôlées ? (À titre d’exemple, Thomas Kuhn, le philosophe des sciences du XXe siècle, décrivait la science comme le type de recherche au cours duquel « tout, sauf l’élément le plus obscur du résultat, est connu à l’avance ».) Kevin Dunbar a observé les expérimentations de plus près – il a interrogé les scientifiques sur les détails les plus insignifiants –, et il a vite constaté que la vision idéaliste que Thomas Kuhn avait du travail en laboratoire ne tenait pas la route.

En fait, la réalité est tout autre : on obtient plutôt une suite sans fin de mauvaises surprises. Certains modèles de recherche ne fonctionnent tout simplement pas, de nombreuses données ne peuvent être reproduites, et même les études les plus modestes sont truffées d’anomalies. « Or, on ne parle pas ici de personnes négligentes, souligne Kevin Dunbar. Ces scientifiques œuvrent dans certains des laboratoires les plus avancés du monde. Pourtant, les expériences leur révèlent rarement ce qu’ils s’attendent à découvrir. Voilà la face cachée de la science. »

Comment les chercheurs parviennent-ils à composer avec autant de données imprévisibles ? Comment peuvent-ils surmonter autant d’échecs ? Au fil de son étude, Kevin Dunbar a compris que la vaste majorité des travailleurs de laboratoire adoptent la même stratégie de base : leur première réaction consiste à remettre en question la méthode utilisée. Ils concluent que les découvertes étonnantes résultent d’une simple erreur qui découle peut-être du mauvais fonctionnement d’une machine ou d’une enzyme qui s’est détériorée. « Les scientifiques tentent de laisser de côté ce qu’ils ne comprennent pas, comme s’ils ne voulaient pas y croire », souligne Kevin Dunbar.

L’expérience est alors reprise avec soin. Quelquefois, l’anomalie disparaît, ce qui résout le problème. Mais généralement, le phénomène étrange demeure, et c’est alors que les choses deviennent intéressantes.

Un réflexe du cerveau

Selon Kevin Dunbar, même quand une erreur identique se répète à plusieurs reprises, autrement dit, quand une anomalie est constante, la plupart des chercheurs ne poussent pas leur investigation plus loin. « Compte tenu de la quantité phénoménale de données inattendues en science, il est tout simplement impossible de tout explorer. Les chercheurs doivent donc sélectionner et étudier ce qui retient leur attention, mais ils sont loin de faire toujours le bon choix », croit Kevin Dunbar. Souvent, les résultats sont mis de côté. Les scientifiques ont découvert un fait nouveau, mais ils considèrent cette découverte comme un échec.

La raison pour laquelle nous résistons autant aux informations anormales – et qui explique pourquoi les chercheurs croient automatiquement qu’un résultat inattendu découle d’une erreur stupide – prend racine dans le fonctionnement du cerveau humain. Au cours des dernières décennies, les psychologues ont décortiqué le mythe de l’objectivité. En fait, nous créons notre réalité en cherchant des preuves qui viendront confirmer nos croyances. Même si nous prétendons que nous fonctionnons de manière empirique et que notre vision repose sur l’observation des faits, nous portons des œillères chaque fois que l’information obtenue contre‑dit nos théories. Autrement dit, le problème, en science, ce n’est pas que la majo¬rité des expé¬riences échouent : c’est que la majorité des échecs sont ignorés.

En même temps qu’il essaie de mieux comprendre comment les individus traitent les données discordantes, Kevin Dunbar effectue ses propres expériences. Dans une recherche menée en 2003, il demande à des étudiants de premier cycle de l’Université Dartmouth, au New Hampshire, de visionner quelques courtes présentations vidéo montrant des balles de différentes grosseurs en train de tomber. Dans le premier clip, les deux balles tombent à la même vitesse. Dans le deuxième, la plus grosse balle tombe plus vite. Il s’agit d’une reproduction de la célèbre expérience de Galilée (d’une authenticité douteuse) au cours de laquelle il aurait laissé tomber de la tour de Pise deux boulets de canon de taille différente. Tous les boulets en métal seraient tombés exactement à la même vitesse, réfutant ainsi les théories d’Aristote selon lesquelles les objets plus lourds étaient entraînés vers le sol plus rapidement.

Kevin Dunbar demande aux étudiants qui regardent les vidéos de choisir le clip illustrant le mieux la théorie de la gravité. Sans surprise, les étudiants de premier cycle qui n’ont aucune formation en physique contestent les prétentions de Galilée (intuitivement, nous pensons tous comme Aristote). Ils considèrent comme très peu réaliste que deux boules de taille différente tombent à la même vitesse, même après en avoir vu la démonstration sur vidéo. Puis, Kevin Dunbar branche les sujets à un appareil d’imagerie par résonance magnétique et découvre alors que le fait de montrer le bon clip vidéo aux étudiants sans formation en physique déclenche un réflexe particulier dans leur cerveau : une poussée de sang dans leur cortex du corps calleux antérieur (CCCA), cette bande de tissus située au centre du cerveau. Le CCCA est généralement associé à la perception des erreurs et des contradictions. Les neuroscientifiques le décrivent souvent comme le circuit « Ah, merde ! ».

Jusqu’ici, pas de surprise : sur le plan scien¬tifique, la plupart des étudiants de premier cycle sont illettrés. Kevin Dunbar mène alors la même expérience avec des étudiants en physique. Comme prévu, leur formation leur permet de trouver l’erreur, et c’est donc le clip vidéo inexact qui déclenche chez eux le réflexe du CCCA. Mais une autre région du cerveau peut aussi s’activer quand nous sommes confrontés à une réalité divergente : il s’agit du cortex préfrontal dorsolatéral (CPD), situé juste derrière le front, l’une des dernières régions du cerveau à se développer chez les jeunes adultes. Le CPD joue pourtant un rôle vital dans la suppression des images prétendument indésirables, en élimi¬nant ces pensées qui ne correspondent pas à nos idées reçues. Chez les scientifiques, cette faculté représente un problème.

Quand les étudiants en physique voient la vidéo erronée, leur CPD s’active et efface ces images de leur esprit. Dans la plupart des situations, cette sélection est une compétence cognitive essentielle. (Quand le CPD est endommagé, les victimes ont souvent du mal à se concentrer et ne parviennent plus à filtrer les stimuli sans importance.) Toutefois, quand il s’agit de remarquer des anomalies, un cortex préfrontal efficace devient un obstacle majeur et censure continuellement nos perceptions, effaçant des faits de notre mémoire. Car le CCCA correspond au circuit « Ah, merde ! », mais le CPD s’apparente à la touche « Effacer » ! Or, quand le CCCA et le CPD fonctionnent simultanément, « les individus ne s’aperçoivent tout simplement pas que quelque chose cloche, et ils effacent même cette information de leur esprit », précise Kevin Dunbar.

Autrement dit, notre cerveau n’accorde pas le même statut à toutes les données. Quand il est question d’interpréter nos expériences, nous voyons ce que nous voulons bien voir et nous ne nous occupons pas du reste. Les étudiants en physique, par exemple, n’ont pas regardé la vidéo en se demandant si Galilée avait pu se tromper. Ils adhèrent à la théorie et n’accordent aucune attention à tout ce qu’elle ne parvient pas à expliquer. Nos croyances constituent donc une source d’aveuglement.

Cette étude soulève une question évidente : si les êtres humains, y compris les scientifiques, s’en tiennent à leurs croyances, comment expliquer les avancées de la science ? Autrement dit, comment apprenons-nous à réinterpréter un échec pour lui trouver une solution ?

C’est justement le défi auquel étaient confrontés Arno Penzias et Robert Wilson quand ils bricolaient leur télescope. Le bruit de fond demeurait inexplicable, mais il devenait de plus en plus difficile à ignorer, ne serait-ce que par sa présence continue. Après avoir passé une année entière à tenter d’éliminer les bruits parasites, après avoir cru qu’il ne s’agissait que d’un problème mécanique, d’un phénomène sans importance qui était peut-être même dû à la présence de fientes de pigeons, Arno Penzias et Robert Wilson ont commencé à explorer la possibilité que cela puisse cacher une découverte. Peut-être y avait-il une explication ?

Une affaire de marginalité ?

En 1918, le sociologue Thorstein Veblen reçoit d’un magazine populaire consacré au milieu juif américain le mandat d’écrire un article sur la façon dont la « productivité intellectuelle » juive serait affectée si on donnait aux Juifs un pays. À l’époque, le sionisme était en voie de devenir un mouvement politique potentiel, et l’éditeur du magazine a cru que le sociologue en viendrait à une conclusion évidente : un État juif déclencherait un boom intellectuel, puisque les Juifs cesseraient d’être ralentis par l’antisémitisme institutionnel. Provocateur, Thorstein Veblen renverse la prémisse et allègue plutôt que les réalisations scientifiques des Juifs – à ce moment-là, Albert Einstein s’apprête à remporter le prix Nobel et Sigmund Freud est un auteur renommé – sont largement attribuables à leur marginalité sociale. Autrement dit, la persécution ne freine pas les Juifs : elle les stimule.

Selon Thorstein Veblen, cela s’explique par le fait que les Juifs, qui sont de perpétuels étrangers là où ils passent, sont sceptiques et remettent tout en question. Prenons le cas d’Albert Einstein, qui mène ses travaux les plus percutants à l’époque où il n’est qu’un simple préposé aux brevets à Berne, en Suisse. Selon la logique de Thorstein Veblen, si le savant avait étudié dans une grande université allemande, il serait devenu un autre professeur de physique qui aurait eu avantage à préserver le statu quo sur les questions spatiotemporelles. Il n’aurait jamais remarqué les anomalies qui lui ont permis de développer la théorie de la relativité.

Comme on pouvait s’y attendre, l’article de Thorstein Veblen soulève la controverse, et pas seulement parce qu’il est l’œuvre d’un luthérien du Wisconsin. Conscient que l’on peut interpréter ses écrits comme faisant l’éloge de l’antisémitisme, l’éditeur du magazine n’est pas très heureux. Pourtant, l’idée maîtresse du texte reste fondamentale : il y a des avantages à pen-ser comme un marginal. Quand on examine un problème de l’extérieur, on a plus de chances de découvrir ce qui cloche. Plutôt que de mettre de côté les anomalies, on les prend alors au sérieux, et de nouvelles théories peuvent émerger.

Malheureusement, la science moderne compte nombre d’experts enfermés dans des disciplines très pointues. Les chercheurs ont tous étudié les mêmes livres, qui semblent régler la question des faits gouvernant le monde. Thomas Kuhn, le philosophe de la science, en a conclu que les seuls scientifiques capables de comprendre les anomalies – et donc de changer de paradigmes et d’amorcer des révolutions – sont « soit très jeunes, soit des débutants dans leur spécialité ». Autrement dit, ce sont des étrangers parfaits, naïfs et purs qui demeurent ouverts aux échecs menant à de nouvelles possibilités.

Cependant, Kevin Dunbar, qui a passé des années à observer les scientifiques de Stanford se creuser les méninges et échouer, croit que cette vision romantique du nouveau venu brillant et réceptif n’explique pas tout. Au fond, la plupart des avancées scientifiques sont modestes ; il s’agit rarement de révolutions. Et, contrairement à l’hypothèse qui découle de la conclusion de Veblen, les percées scientifiques résultent souvent du travail de chercheurs bien établis. « Ce ne sont pas des personnages comme Einstein qui travaillent de l’extérieur, mais des individus qui obtiennent de grosses subventions », précise-t-il. Mais comment donc ont-ils surmonté l’aveuglement dû à l’échec ?

Le travail d’équipe chez les scientifiques

Même si les progrès scientifiques sont généralement perçus comme autant de quêtes individuelles, Kevin Dunbar constate que la plupart des nouvelles idées émergent des ren-contres de laboratoire, ces réunions hebdomadaires au cours desquelles les chercheurs présen-tent leurs données. Fait à signaler, l’élément le plus important de cette démarche n’est pas la présentation elle-même, mais bien le débat qui s’ensuit. Kevin Dunbar constate que les questions posées avec scepticisme, lors d’échanges de groupe parfois houleux, aboutissent souvent à des découvertes puisqu’elles obligent les scien¬tifiques à réexaminer des données qu’ils ont d’abord ignorées. Une seule démarche de validation suffit pour transformer des scientifiques en « étrangers temporaires » capables de jeter un regard neuf sur leurs propres travaux.

Cependant, toutes les rencontres de laboratoire ne connaissent pas le même succès. Kevin Dunbar raconte l’histoire de deux laboratoires qui se sont butés au même problème expérimental: les protéines qu’ils tentaient de mesurer collaient à un filtre, empêchant l’analyse des données. « L’un des laboratoires accueillait plusieurs personnes venant de différentes spécialités, explique-t-il. Il y avait des biochimistes, des biologistes moléculaires, des généticiens et des étudiants en médecine. » L’autre laboratoire, au contraire, ne comptait que des spécialistes de la bactérie E. coli. Kevin Dunbar a observé comment chacun des groupes a abordé le problème. Les experts du E. coli ont passé de nombreuses semaines à tester méthodiquement toutes sortes de possibilités. « C’était extrêmement inefficace, souligne-t-il. Ils ont certes résolu le problème, mais ils ont perdu un temps précieux. »

Dans le laboratoire où se trouvaient divers types d’experts, les chercheurs ont surmonté le problème au cours d’une seule rencontre de groupe. Comme aucun des scientifiques n’était un expert en protéines, ils ont discuté d’un vaste éventail de solutions. Au début, leurs discussions ne semblaient mener nulle part. Mais des solutions prometteuses ont rapidement commencé à émerger. « Dix minutes plus tard, le problème de cette protéine était résolu. Et cela a semblé facile », raconte Kevin Dunbar.

Quand ce dernier lit la transcription de la rencontre, il découvre que la diversité des scientifiques sur le plan intellectuel les a obligés à s’exprimer au moyen de métaphores et d’analogies – contrairement au groupe E. coli, qui utilisait un langage plus spécialisé. Ces abstractions ont joué un rôle essentiel dans la résolution du problème puisqu’elles ont incité les scientifiques à réévaluer leurs hypothèses. L’obligation d’expliquer le problème à d’autres personnes les a forcés à y réfléchir ne serait-ce que quelques instants, comme le ferait un intellectuel marginal.

Voilà pourquoi la contribution des autres est si importante : ils remettent en question notre bagage cognitif. « Je l’ai vu à plusieurs reprises, souligne Kevin Dunbar. Un scientifique s’efforce de décrire son approche, car il est un peu sur la défensive. Puis, son visage affiche un regard interrogateur, comme s’il venait de comprendre quelque chose d’important. »

Bien sûr, cette « découverte importante », c’est cette erreur d’expérimentation qui est perçue comme un échec. La solution se trouve là depuis le tout début, mais on ne s’en rend pas compte avant d’en avoir discuté avec un collègue ou d’en avoir parlé par analogie. L’erreur prend alors tout son sens. Bref, Bob Dylan avait raison : il n’y a pas de plus grand succès que l’échec.

En ce qui concerne les deux astronomes, c’est une conversation anodine avec un étranger qui a tout fait débloquer. Un collègue d’Arno Penzias lui a suggéré de communiquer avec Robert Dicke, un scientifique de Princeton formé en physique nucléaire, plutôt qu’avec un astrophysicien. Ce spécialiste doit sa renommée à ses travaux sur les systèmes de radar qu’il a menés durant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, il s’est intéressé aux applications potentielles de la technologie du radar dans le domaine de l’astronomie et à une théorie, plutôt bizarre à l’époque, appelée le « Big Bang », selon laquelle le cosmos s’est développé à partir d’une explosion. D’après lui, cette explosion aurait été tellement forte qu’elle aurait rempli l’univers d’éclats cosmiques provenant d’un résidu radioactif du « Bang » d’origine. (Cette hypothèse a d’abord été émise en 1948 par les physiciens George Gamow, Ralph Alpher et Robert Herman, mais à l’époque, elle a été largement ignorée par la communauté des astronomes.) Robert Dicke n’a qu’un problème : il ne parvient pas à détecter ce résidu à l’aide des télescopes habituels, et il prévoit en construire un à moins d’une heure de route au sud de celui de Bell Labs.

Au début de 1965, Arno Penzias passe donc un coup de fil à Robert Dicke. Il veut savoir comment cet expert du radar et des radiotélescopes explique ces fameux parasites qui le rendent fou. La réaction de Robert Dicke ne tarde pas : « Les gars, on vient de se faire damer le pion ! » lance-t-il à ses confrères. Quelqu’un d’autre a trouvé ce que lui et son équipe cherchaient : les radiations laissées par la naissance de l’Univers. Le processus avait été frustrant pour Arno Penzias et Robert Wilson. Ils ont été submergés par ce problème et ont passé beaucoup trop de temps à nettoyer la fiente des pigeons. Mais ils ont finalement découvert d’où venaient ces détestables parasites. Leur échec leur a simplement permis de répondre à une question différente de celle qu’ils s’étaient posée. Toute cette frustration leur a quand même bien servi : en 1978, ils ont reçu le prix Nobel de physique.

Comment apprendre de nos échecs

Trop souvent, nous croyons qu’une expérience ratée représente une perte de temps. Voici plutôt comment en tirer profit.

1. Vérifiez vos hypothèses: Demandez-vous pourquoi vos résultats vous laissent un sentiment d’échec. Quelle prémisse viennent-ils contredire ? Peut-être s’agit-il d’une hypothèse erronée, et non d’une expérience qui a échoué.

2. Consultez des amateurs: Parlez de votre expérience à des personnes qui n’y connaissent rien. En leur expliquant votre travail dans des mots simples, vous obtiendrez peut-être un nouvel éclairage.

3. Prenez garde à l’aveuglement: Il est normal de filtrer l’information qui contredit nos idées reçues. La seule façon d’éviter ce phénomène, c’est d’en prendre conscience.

4. Favorisez la diversité: Si tous ceux qui travaillent à résoudre un problème parlent le même langage, toutes ces personnes explorent sans doute le problème à partir des mêmes hypothèses.

Ma plus grande erreur

Mike Tyson, boxeur: « J’ai rarement perdu un combat contre un autre boxeur, mais j’en ai perdu plusieurs contre moi-même. Je suis content d’avoir connu des hauts et des bas. Mon mentor, Cus D’Amato, disait souvent : “L’adversité renforce les forts et affaiblit les faibles.” C’est leur insécurité qui a fait en sorte que des leaders comme Alexandre le Grand et Genghis Khan sont devenus de grands hommes. J’ai connu plus d’adversité que la plupart des grands boxeurs. Je me place en tête de liste à cause de ce que j’ai vu de mes propres yeux et de ce que mon cœur a supporté. »

Bill Clinton, ancien président des États-Unis: « Quand j’étais jeune, j’ai souvent perdu des élections scolaires, en partie parce que je me fondais dans la masse au lieu d’être un leader. Par la suite, quand j’ai perdu des concours de musique, ça m’a fait encore plus mal. C’est ma mère qui m’a appris à ne pas m’apitoyer sur mon sort. Elle me disait : “Tu as une bonne santé, une bonne tête et de bons amis. Réjouis-toi de ce que tu as et essaie d’en tirer le maximum.” Quand je n’ai pas été réélu comme gouverneur de l’Arkansas, en 1980, il ne semblait plus y avoir d’avenir politique pour moi. J’étais probablement le plus jeune ancien gouverneur de toute l’histoire des États-Unis ! Cependant, si je n’avais pas été défait à cette époque, je ne serais sans doute jamais devenu président. J’étais à l’article de la mort sur le plan politique, mais c’est justement ce qui m’a rendu plus sensible et m’a fait comprendre que, quand les autres pensent que tu as cessé de les écouter, tu es un homme fini. »

Meg Whitman, ancienne PDG d’eBay: « Quand je suis arrivée chez eBay, en 1998, l’entreprise connaissait une forte croissance : ses revenus augmentaient de 70 % chaque mois. Nous avons continué à améliorer le site Web, mais nous n’investissions pas assez pour suivre le rythme. Si vous pensez que le trafic de votre site grimpera de 150 % par an, préparez-vous à affronter une croissance de 250 % ! À 17 heures, le 10 juin 1999, le site s’est effondré. Toute une base de données servant à la plateforme commerciale était corrompue. J’ai appelé mon assistante et je lui ai dit : “Je pense qu’on va rester ici pendant un bon moment. On a besoin de lits, de sacs de couchage, d’articles d’hygiène et de serviettes.” On a transformé des salles de conférences en dortoirs. Je suis moi-même restée sur place 24 heures sur 24 pendant la majeure partie de l’été. En fin de compte, j’ai réalisé que nous avions besoin d’un nouveau technicien en chef. Un chasseur de têtes m’a recommandé Maynard Webb, qui était chez Gateway. J’ai appelé son patron et je lui ai dit : “J’ai besoin de Maynard Webb sur-le-champ.” Il a été tellement surpris qu’il a simplement balbutié : “OK !” Nous avons mis au moins six mois à rebâtir le site, qui fonctionne maintenant 99,99 % du temps. On apprend beaucoup, quand on frôle la catastrophe…»

Terry Gilliam, réalisateur de films: « Durant ma première année d’université, j’ai été moniteur dans un camp d’été dans les montagnes de San Bernardino, en Californie. Les campeurs venaient de Beverly Hills ; c’était des enfants de stars. Il y avait entre autres la fille du grand comédien Danny Kaye, le fils de Hedy Lamarr et celui de William Wyler, un producteur américain qui a notamment réalisé Ben Hur. J’étais leur moniteur en art dramatique, mais je n’avais jamais touché à ce domaine jusque-là. Le camp durait huit semaines et, pendant la sixième, il y avait la Journée des parents. On m’avait confié la responsabilité de monter Alice au pays des merveilles. J’avais des idées de grandeur : je voulais des costumes formidables, une scène fantastique, tout le tralala. Mais rien ne fonctionnait. Quelques jours avant l’arrivée des parents, j’ai tout arrêté. La direction du camp était horrifiée et je suis devenu sa tête de Turc. Il y avait quelque chose de terrible à s’approcher si près du but et à voir tout s’effondrer. C’est probablement l’expérience qui m’a donné le plus de cauchemars de toute ma vie. Je pense que c’est pour ça que je me lance aujourd’hui dans mes projets avec autant d’ardeur. Je me dis que je vais continuer jusqu’à ce que tout s’écroule, mais que cette fois-ci, ça ne sera pas à cause de moi ! » 

Nick Denton, fondateur de Gawker Media: « En 2004, pendant mes vacances au Brésil, j’ai appris que Jason Calacanis avait monté un réseau de blogues concurrent, et engagé Pete Rojas, éditeur de notre site de gadgets Gizmodo. Moi, le grand financier, je me trouvais là, en train de me détendre, m’arrêtant dans un café Internet pour y découvrir que l’un de mes principaux employés travaillait secrètement à concevoir une copie conforme de mon site. Sur le plan des affaires, c’est l’équivalent de se faire frapper dans les couilles ! Engadget a vite surpassé Gizmodo. Pourtant, aujourd’hui, je suis reconnaissant à Jason Calacanis : je me la coulais douce, et sa trahison a réveillé le battant en moi. Maintenant, Gizmodo enregistre 10 fois le trafic de l’époque et écrase Engadget. Rien n’est jamais aussi terrible ou aussi extraordinaire que cela semble l‘être au départ. »

Jason Kilar, patron de la plateforme vidéo Hulu: « Je dirigeais le secteur des DVD chez Amazon.com. Durant l’automne 2000, nous avons voulu savoir si nous pouvions baisser nos prix et faire quand même de l’argent. Nous avons décidé de faire un essai : 50 % des personnes qui achetaient un DVD sur Amazon payaient le prix courant, et l’autre moitié obtenait un prix réduit. Certains acheteurs ont remarqué la différence de prix et se sont crus victimes de discrimination. Toute l’histoire a éclaté sur Internet et, un jour, des reporters télé nous attendaient dehors, aux portes du siège social. J’ai envoyé un courriel à Jeff Bezos, qui voulait savoir ce qui s’était passé, pourquoi cela était arrivé et quelle était la meilleure intervention que nous puissions faire. Le lendemain matin, il s’est présenté au Early Show de CBS et il a tout expliqué. Ce moment critique m’a appris qu’une perception peut rapidement s’imposer comme étant la réalité. Il était très important pour nous de ne pas faire comme si nous avions des choses à cacher, mais de dire franchement à notre clientèle ce qui s’était produit. »

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