L'ADN des innovateurs

Publié le 07/05/2010 à 13:35

L'ADN des innovateurs

Publié le 07/05/2010 à 13:35

Par Premium

Des visionnaires comme Steve Jobs (Apple), Jeff Bezos (Amazon) et Michael Lazaridis (RIM) font l’admiration de tous. Où trouvent-ils donc leurs idées révolutionnaires ? Dans une utilisation particulière de talents que nous avons tous.

On croit que seuls les génies sont capables d’innover en affaires. Or, les innovateurs possèdent simplement ce qu’on appelle une « intelligence créative », qui favorise la découverte et qui va au-delà de l’aptitude à utiliser l’hémisphère droit de son cerveau : en fait, les deux côtés de celui-ci travaillent alors ensemble pour exploiter cinq éléments essentiels à la découverte de nouvelles idées.

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1.LA CAPACITÉ D’ASSOCIATION

Cette aptitude permet d’établir des liens entre des idées qui n’ont apparemment rien à voir les unes avec les autres. Elle représente l’élément central de l’ADN de l’innovateur. L’auteur Frans Johansson décrit ce phénomène comme « l’effet Médicis », en référence à l’explosion créative survenue à Florence au tournant des XVe et XVIe siècles, quand la famille Médicis a mis sa fortune à la disposition de tous les créatifs du monde, favorisant une concentration des forces créatives de l’Europe à Florence et réunissant un grand nombre d’experts : sculpteurs, scientifiques, poètes, philosophes, peintres et architectes.

Résultat : de nouvelles idées ont foisonné au croisement des champs d’activité respectifs de ces innovateurs, pavant la voie à l’ère de la Renaissance, une des périodes les plus riches de l’his¬toire sur le plan culturel. Pour bien saisir les principes de l’association, il faut comprendre le fonctionnement du cer¬veau. Celui-ci n’enregistre pas l’information comme un dictionnaire, où on trouve le mot « théâtre » à la lettre « T ». Il associe plutôt le mot « théâtre » à un nombre incalculable d’expériences de notre vie. Certains de ces liens sont très logiques (« Place des Arts » ou « entracte »), tandis que d’autres peuvent sembler moins évidents (un sentiment d’anxiété dû à une performance ratée au secondaire). Ainsi, plus nos expériences et nos connaissances sont diversifiées, plus notre cerveau peut créer des liens. Chaque fois qu’on apprend quelque chose, cela déclenche de nouvelles associations neuronales qui se traduisent chez certains par des idées originales. Steve Jobs ne cesse d’ailleurs de le répéter : « La créativité consiste à faire des rapprochements. »

Les entreprises novatrices prospèrent en exploitant à bon escient les associations issues d’idées divergentes. Par exemple, Pierre Omidyar a lancé eBay en 1996, après avoir associé trois éléments disparates : son idée de créer des marchés plus efficaces, après avoir été exclu du premier appel public à l’épargne d’une cyberentreprise en plein essor au milieu des années 1990 ; le désir de sa fiancée de trouver des distributeurs de bonbons Pez (des pièces de collection très difficiles à dénicher) ; l’inefficacité des petites annonces locales pour se procurer ces distributeurs.

De la même manière, Steve Jobs parvient à trouver des idées neuves en série parce qu’il a passé sa vie à explorer de nouveaux domaines entre lesquels il n’existait aucun lien, de l’art de la calligraphie jusqu’aux moindres détails mécaniques d’une Mercedes-Benz en passant par la pratique de la méditation dans un ashram indien.

La démarche associative ressemble à un « muscle mental » qui se renforce quand on y associe d’autres aptitudes à la découverte. À mesure que les innovateurs adoptent ce type de comportement, ils développent leur capacité de générer des idées qui peuvent ensuite être jumelées.

2. LE QUESTIONNEMENT

Il y a un demi-siècle déjà, le théoricien du management Peter Drucker écrivait : « Le plus important et le plus difficile, ce n’est jamais d’obtenir les bonnes réponses, mais de trouver la bonne question. » De fait, les innovateurs posent constamment des questions qui défient le bon sens ou, comme le dit Ratan Tata, président du Groupe Tata, ils « mettent en doute ce qui ne fait aucun doute ».

Meg Whitman, ancien PDG de eBay, a travaillé avec bon nombre d’innovateurs, dont les fondateurs de eBay, de PayPal et de Skype. « Ils s’amu¬sent tous à bousculer l’ordre établi, raconte-t-elle. Comme ils ont horreur du statu quo, ils passent une bonne partie de leurs journées à se demander comment changer le monde. Par exemple, quand ils participent à des brainstormings, ils aiment poser des questions comme “Et si nous faisions ceci, que se passerait-il ?” ».

Ainsi, Michael Dell se souvient que l’idée de fonder Dell Computer a germé quand il s’est demandé pourquoi un ordinateur coûtait cinq fois la somme de ses composants. « Quand je démontais un ordinateur, je constatais que cet appareil, qui se vendait 3 000 $, contenait des pièces valant au total 600 $ », dit-il.

Voici trois trucs qui vous aideront à vous poser des questions pertinentes :

DEMANDEZ-VOUS POURQUOI, PUIS POURQUOI PAS, ET, ENFIN, QU’EST-CE QUI ARRIVERAIT SI…

La plupart des gestionnaires cherchent comment rendre les processus existants – qui représentent le statu quo – un peu plus efficaces (par exemple, « Comment pourrions-nous améliorer nos ventes à Taïwan ? »). Les innovateurs, eux, seront davantage portés à lancer de nouvelles hypothèses ; par exemple, ils se diront : « Si nous réduisons de moitié la taille ou le poids de notre produit, quel effet cela aura-t-il sur sa valeur auprès de notre clientèle ? »

Ainsi, Marc Benioff, fondateur du fournisseur de logiciels de vente en ligne Salesforce.com, s’est posé une foule de questions après avoir vu naître Amazon et eBay, deux entreprises bâties sur une offre de services par Internet. « Pourquoi continuons-nous à télécharger et à mettre à niveau des logiciels comme nous le faisons depuis toujours, alors que nous pouvons maintenant le faire par Internet ? » s’est-il demandé. Cette question fondamentale a donné naissance à Salesforce.com.

IMAGINEZ LE CONTRAIRE

Dans son livre The Opposable Mind, Roger Martin, le doyen de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, écrit que les innovateurs ont « la capacité de garder en tête des idées diamétralement opposées ». Selon lui, « sans paniquer et sans choisir aucune des diverses solutions possibles, ils parviennent à en faire une synthèse qui présente un intérêt nettement supérieur à celui de chacune des idées de départ ».

En fait, les innovateurs aiment se faire l’avocat du diable. « Mon processus d’apprentissage a toujours consisté à être en désaccord avec ce qu’on m’enseignait et à choisir le point de vue opposé, poussant ainsi les autres à se justifier, dit Pierre Omidyar. Je me souviens que les autres enfants trouvaient ça extrêmement frustrant quand j’agissais de la sorte. » Demander aux autres ou se demander à soi-même d’imaginer une option complètement différente peut mener à des idées vraiment originales.

APPRÉCIEZ LES CONTRAINTES

La plupart d’entre nous n’aimons pas les contraintes. Pourtant, elles peuvent déclencher des réflexions intéressantes. D’ailleurs, un des neuf principes d’innovation de Google stipule que « la créativité aime la contrainte »…

Les gestionnaires peuvent se fixer des contraintes imaginaires pour démarrer leur ré¬flexion. Ils peuvent par exemple se demander : « Que ferions-nous si on nous interdisait légalement de vendre quoi que ce soit à notre clientèle actuelle l’an prochain ? Comment ferions-nous de l’argent ? »

3. L’OBSERVATION

Scott Cook, fondateur d’Intuit, a eu l’idée de créer son logiciel financier Quicken après avoir fait deux observations particulières. Tout d’abord, il a remarqué que sa femme devait faire beaucoup d’efforts pour tenir à jour les finances familiales. Ensuite, il a été émerveillé par le système Lisa, d’Apple, qui lui avait été présenté en avant-première. Immédiatement après avoir quitté le siège social d’Apple, il s’est rendu au restaurant le plus proche pour mettre ses pensées sur papier.

Il a alors eu l’idée de faciliter l’utilisation d’un logiciel financier en le présentant comme un des objets dont on a l’habitude de se servir quotidiennement, par exemple, un carnet de chèques. Finalement, en voulant régler un problème qu’éprouvait sa femme, Scott Cook a mis au point un produit novateur qui a décroché 50 % du marché des logiciels financiers dès la première année !

« Dans bien des cas, c’est en regardant les autres travailler et vivre que de nouvelles idées d’affaires nous viennent, explique-t-il. Ce qu’on observe nous amène à nous dire “Pourquoi font-ils ça ? Ça n’a aucun sens !” ».

La Nano est née d’une telle observation. Ratan Tata, président du conglomérat indien Tata, a eu l’idée de créer cette minuscule voiture, la moins chère du monde, en regardant une famille de quatre personnes déménager tous ses biens à l’aide d’un simple scooter. Pour y arriver, le groupe a dû innover dans la chaîne de production et de distribution, ce qui a bousculé l’ensemble du système de distribution automobile en Inde.

De son côté, Akio Toyoda, PDG de Toyota, met régulièrement en pratique la philosophie de Toyota appelée « Genchi Genbutsu », qui signifie « aller sur place et constater par soi-même ». Cela permet surtout de voir l’entreprise sous un angle que d’autres dirigeants n’ont jamais, ou très rarement.

4. LA TENDANCE À L’EXPÉRIMENTATION

Trop souvent, on associe l’expérimentation à des scientifiques en sarrau blanc ou à de grands inventeurs comme Thomas Edison. On oublie alors que les entrepreneurs les plus innovateurs testent, eux aussi, leurs nouvelles idées en créant des prototypes et en lançant des projets-pilotes. (Edison disait d’ailleurs « Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 moyens pour que ça ne fonctionne pas. »)

À ce chapitre, les exemples foisonnent : Michael Lazaridis ruminant la théorie de la relativité à l’école secondaire, Jeff Bezos démolissant son berceau quand il était encore bébé, Steve Jobs démontant un Walkman de Sony, ou encore Howard Schultz, le fondateur de Starbucks, parcourant l’Italie pour visiter des cafés...

La cyberlibrairie de Jeff Bezos n’a pas fait l’erreur de se reposer sur ses lauriers : Amazon s’est rapidement transformée en détaillant à rabais en ligne, offrant une vaste gamme de produits allant des jouets aux téléviseurs en passant par les électroménagers. Elle s’est même mise à innover sur le plan technologique en lançant sa liseuse Kindle. Jeff Bezos croit que l’expérimentation est tellement essentielle à l’innovation qu’il l’a institutionnalisée au sein de son entreprise. « J’invite sans cesse nos employés à s’aventurer hors des sentiers battus et à expérimenter, dit-il. Si nous parvenons à décentraliser suffisamment les processus pour expérimenter à faibles coûts, nous ferons des trouvailles grandioses. »Scott Cook insiste lui aussi sur l’importance de créer une culture d’entreprise qui valorise l’expérimentation. « Des échecs, nous en connaissons forcément, mais cela n’a pas d’importance, car nous en tirons toujours de précieux enseignements », dit-il.

5. L’APTITUDE AU RÉSEAUTAGE

La plupart des cadres réseautent dans le but d’établir des contacts qui serviront plus tard à leur entreprise, voire à leur propre carrière. Ceux pour qui l’innovation prime ont une tout autre approche du réseautage : ils ont du plaisir à côtoyer des gens de divers horizons, aux idées surprenantes et même déstabilisantes. Ils s’efforcent de visiter des pays dont la culture leur est étrangère et de rencontrer des personnes qui ont emprunté des routes différentes de la leur.

Les innovateurs aiment aussi participer à des conférences axées sur l’innovation, comme celles de Technology, Entertainment and Design (TED)1 ou de l’Aspen Ideas Festival 2. Ces rencontres rassemblent des artistes, des entrepreneurs, des universitaires, des politiciens, des aventu¬riers, des scientifiques et des penseurs du monde entier qui viennent présenter leurs plus récentes idées et parler de leurs passions et de leurs nouveaux projets.

D’ailleurs, Michael Lazaridis, le fondateur de Research In Motion (RIM), a eu l’idée de ce qui est devenu le BlackBerry en assistant à l’une de ces conférences, en 1987. Un conférencier décrivait alors un système de données sans fil conçu pour Coca-Cola qui permettait à des machines distributrices d’émettre un signal quand elles devaient être rechargées. « C’est à ce moment que l’idée m’est venue, se souvient-il. Je me suis rappelé ce que disait un de mes enseignants du secondaire : “Ne vous concentrez pas seulement sur les ordinateurs, parce que c’est la personne qui réunira l’informatique et la technologie sans fil qui changera tout.” »

Kent Bowen, le scientifique qui a fondé CPS Technologies, un fabricant d’un matériau composite en céramique, a affiché la devise suivante dans tous les bureaux de l’entreprise : « La vision requise pour résoudre les problèmes qui nous posent les plus grands défis vient de l’extérieur de notre industrie et du domaine scientifique. Nous devons faire preuve de fierté et de dynamisme quand vient le moment d’intégrer à notre travail des découvertes et des avancées qui proviennent d’ailleurs. »

Les scientifiques de CPS Technologies ont ainsi résolu des problèmes très complexes en discutant avec des experts qui évoluent dans d’autres sphères d’activité. Par exemple, le fait d’échanger avec un scientifique de Polaroid qui avait une vaste connaissance de la technologie du film leur a permis d’améliorer la résistance de leur matériau composite. De la même manière, des experts en technologie de conservation du sperme savaient comment empêcher la croissance de cristaux de glace sur les cellules pendant la congélation, et leur technique a été appliquée plus tard par CPS dans ses processus de fabrication.

Cent fois sur le métier…

La pensée novatrice peut sembler innée chez certains, mais il est important de souligner qu’elle peut aussi être développée et renforcée par une pratique soutenue.

L’aptitude qu’il importe le plus de pratiquer est le questionnement. Demander « Pourquoi ? » et « Pourquoi pas ? » peut contribuer à inciter les autres aptitudes à se mettre au travail. Posez aussi des questions qui, tout à la fois, imposent certaines contraintes et en éliminent d’autres ; cela vous aidera à voir un problème sous un angle différent. Essayez de consacrer chaque jour entre 15 et 30 minutes à la rédaction de 10 nouvelles questions susceptibles de bousculer le statu quo au sein de votre entreprise ou de votre industrie. « Si je posais toujours la même question, tout le monde pourrait la voir venir, explique Michael Dell. Je préfère demander aux autres des choses auxquelles ils ne s’attendent pas. C’est peut-être un peu cruel, mais j’aime vraiment arriver avec des questions pour lesquelles personne n’a de réponse instantanée. »

Pour aiguiser votre esprit d’observation, soyez attentif à la manière dont certains clients utilisent un produit ou un service dans leur environnement naturel. Passez une journée entière à observer soigneusement ce qu’ils en font. Ne portez aucun jugement sur ce que vous voyez : contentez-vous de jouer votre rôle de spectateur et observez tout ce qui se passe avec autant de neutralité que possible. Scott Cook conseille ainsi aux observateurs d’Intuit de se demander: « Qu’est-ce qui diffère de ce à quoi je m’attendais ? » Suivez également l’exemple de Richard Branson, le fondateur de Virgin, et prenez des notes partout où vous allez. Ou encore, imitez Jeff Bezos : « Je prends tout le temps des photos d’innovations vraiment mauvaises, et j’ai l’embarras du choix », confie-t-il, sourire en coin.

Pour renforcer votre capacité d’expérimen¬tation, tant sur le plan individuel qu’à l’échelle organisationnelle, abordez consciemment le travail et la vie en vous montrant prêt à mettre des hypothèses à l’épreuve. Participez à des colloques ou à des formations qui sont destinés à des cadres et qui sortent de votre champ d’expertise. Démontez un produit ou décomposez un processus qui vous intéresse. Lisez des livres qui tentent de prévoir les tendances émergentes. En voyage, ne négligez pas la possibilité d’en apprendre davantage sur la manière de vivre et de penser des personnes que vous serez amené à côtoyer. Élaborez de nouvelles hypothèses à partir des connaissances que vous venez d’acquérir et mettez-les à l’essai en cherchant de nouveaux produits ou des processus novateurs.

Enfin, pour améliorer votre aptitude à faire du réseautage créatif, demandez à cinq de vos connaissances qui aiment l’innovation comment elles s’y prennent pour stimuler leur pensée créatrice. Vous pouvez même demander à l’une d’elles de devenir votre mentor. Ou organisez régulièrement des « repas à idées » au cours desquels un invité inconnu des autres vous parlera de sa vie et de sa vision du monde, et où chacun sera amené à discuter d’idées qui lui semblent nouvelles.

1. LA CONFÉRENCE TED EST UNE IMPORTANTE RENCONTRE ANNUELLE QUI SE TIENT À MONTEREY, EN CALIFORNIE, ET, PLUS RÉCEMMENT, DEUX FOIS L’AN DANS D’AUTRES VILLES DU MONDE. ELLE SE DÉFINIT COMME UN « PROPAGATEUR D’IDÉES » ET MET GRATUITEMENT SUR SON SITE WEB LES MEILLEURES CONFÉRENCES.

2. L’ASPEN INSTITUTE ACCUEILLE CHAQUE ANNÉE CE FESTIVAL, QUI PRÉSENTE CERTAINS DES PLUS GRANDS PENSEURS, ÉCRIVAINS, ARTISTES, GENS D’AFFAIRES, PROFESSEURS ET DÉCIDEURS DES ÉTATS-UNIS ET DU MONDE ENTIER. <WWW.AIFESTIVAL.ORG>.

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