Donner vie à ses bonnes idées

Publié le 30/05/2013 à 14:06

Donner vie à ses bonnes idées

Publié le 30/05/2013 à 14:06

Par Premium

Innover ne se limite pas à contrôler les éléments qui nous appartiennent, nous dit Ron Adner. Nous devons également comprendre les liens qui unissent les autres parties.

Une entrevue réalisée par Chris Gusen, Rotman magazine

Dans votre ouvrage The Wide Lens, vous écrivez que l’innovation constitue un problème pour tout le monde parce qu’on la considère comme une panacée. Pourquoi tout ce battage autour de l’innovation, et pourquoi répond-elle rarement aux attentes ?

Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de battage, par opposition à de l’espoir. Par innover, on entend fondamentalement « faire quelque chose de différent pour améliorer la situation ». Le problème qui se pose, toutefois, c’est qu’il s’agit de deux affirmations distinctes. Une nouvelle façon de faire ne se traduira pas nécessairement par une amélioration. Nous savons par contre qu’il faut beaucoup de travail pour faire une chose différemment, sans garantie de succès. On pense souvent avoir une idée formidable et on commence à investir pour la concrétiser, puis on se rend compte que malgré tous ces efforts, d’autres pièces du casse-tête ne s’emboîtent pas. Ces pièces manquantes sont des angles morts, et ce livre explique comment on peut utiliser une nouvelle gamme d’outils pour voir à quoi ces autres pièces ressemblent avant même de les avoir trouvées.###

Vous soutenez que pour penser et agir dans notre monde de plus en plus interdépendant, les gestionnaires doivent adopter une « stratégie écosystémique ». Qu’est-ce qui définit cette approche ?

Cette approche exige que les gestionnaires examinent le système dans lequel ils projettent d’innover et qu’ils tentent de cerner deux types de risques écosystémiques. Cette exigence vaut pour toute personne qui compte sur un quelconque effort coordonné pour réaliser le changement, qu’elle œuvre dans le monde des affaires ou dans le secteur des organismes sans but lucratif ou qu’elle tente simplement d’envoyer les enfants à l’école à l’heure le matin. Le premier risque est lié à la co-innovation, et pour l’évaluer, on doit se demander qui d’autre devra innover pour assurer la réussite de notre innovation. Donc, outre la personne qui fait quelque chose de différent, on doit se demander qui d’autre doit changer ses façons de faire. Le second type de risque écosystémique est lié à la chaîne d’adoption : qui d’autre doit se rallier avant que le client final puisse voir la pleine proposition de valeur ?

À certains égards, on tente par cette approche de rendre plus explicite ce que tout bon gestionnaire fait de façon intuitive. Lorsqu’on travaille avec d’autres personnes, la coordination des efforts s’en trouve facilitée si tous les détails sont connus et l’approche bien expliquée.

Pouvons-nous parler un peu plus du risque lié à la co-innovation ? Vous mentionnez dans votre ouvrage The Wide Lens que « la logique de la co-innovation est une logique de multiplication, et non de moyennes. » Qu’entendez-vous par là ?

Lorsqu’on pense aux probabilités de réussite d’une innovation, le problème est de se rendre compte à quel point il sera difficile d’apporter ces changements – non seulement dans le cas de notre innovation, mais aussi dans celui des autres innovations qui devront voir le jour pour que la nôtre atteigne le client final. Chaque fois qu’il est question de probabilités, on parle de cette logique de multiplication. Par conséquent, si mes chances de gagner mon pari sont de 50 % et que vous avez autant de chance de gagner le vôtre, il est important de ne pas s’en contenter et de se dire « bon, je suppose que les chances de réussite du système sont de 50 % ». C’est comme tirer à pile ou face, on doit se souvenir que 50 fois 50 % égale 25 %. Une fois qu’on le reconnaît, on peut mieux définir ses attentes et commencer à se poser des questions quant à l’objectif visé.

On peut changer ces probabilités en affectant des ressources à des endroits différents et en renforçant les maillons faibles, ainsi qu’en changeant les objectifs et les délais d’exécution, par exemple. Si j’estime que les probabilités que je réalise mon projet cette année sont de 50%, je peux évaluer que si on m’accordait six mois de plus, cette probabilité pourrait atteindre 80 %. Pendant qu’on pense à la façon dont on veut répartir ces ressources et prioriser l’investissement, non seulement des fonds mais aussi des efforts, on veut avoir une vision globale du risque avant de prendre des engagements.

Avec The Wide Lens, vous tentez d’expliciter le concept et de créer un cadre de travail pour l’application de quelque chose que les gens font parfois intuitivement, n’est-ce pas ?

Nos intuitions ont tendance à se concentrer sur des moyennes. Si, en entrant dans une salle du conseil, on aperçoit quatre personnes confiantes, on se dit « tout se passera bien ». On ne pensera pas aux probabilités individuelles de réussite ni en quoi celles-ci peuvent augmenter le risque d’échec.

Qu’en est-il du risque lié à la chaîne d’adoption ? Vous écrivez que bien que de nombreuses organisations soient félicitées pour l’accent qu’elles mettent sur le client, il suffit d’examiner la chaîne d’adoption d’une innovation pour constater que les entreprises ont rarement un client seulement. Comment la chaîne d’adoption révèle-t-elle ces autres clients ?

Eh bien, l’idée de la chaîne d’adoption, c’est de reconnaître que, outre la personne qui tente de mener le bal, soit celle qui en bénéficiera au final, il y a souvent beaucoup d’autres intermédiaires qui doivent décider de participer. Si nous ne parvenons pas à les rallier tous, nous ne pouvons pas réellement offrir à ce client final ce qui serait une offre spectaculaire.

Dans le livre, j’utilise l’exemple de deux lecteurs électroniques : le Kindle d’Amazon et le lecteur de Sony. Sony a un lecteur électronique fantastique, qu’elle a lancé en 2006. C’est un appareil remarquable, mais la structure que lui a donnée Sony rend les éditeurs très mal à l’aise. L’appareil est élégant et présente toutes sortes de fonctionnalités, mais comme la société ne parvient pas à convaincre un partenaire crucial de sa chaîne d’adoption, soit les éditeurs, à offrir des livres électroniques compatibles avec son lecteur, Sony se retrouve avec un appareil qui n’offre pas au client une réelle proposition de valeur. Par contre, lorsqu’Amazon a conçu le Kindle, elle ciblait nettement les éditeurs et elle a rendu le produit moins attrayant pour les utilisateurs finaux en ne leur permettant pas de partager ou d’imprimer les livres. Or, ces contraintes visaient explicitement à plaire aux éditeurs. Selon ce raisonnement, lorsqu’on reconnaît une chaîne d’adoption, on prend conscience que le défi en tant qu’innovateur ne consiste pas à trouver la proposition gagnant-gagnant – dans laquelle on gagne et le client aussi – mais la proposition gagnant-gagnant-gagnant, dans laquelle on gagne, le partenaire de la chaîne d’adoption gagne et le client gagne. Si tout le monde n’est pas gagnant, on perd.

Bon nombre des exemples donnés dans votre livre mettent en scène de bons gestionnaires et des équipes de talent qui échouent néanmoins. Pourquoi des gens intelligents ne réussissent-ils pas à poser les bonnes questions ? Cela fait-il partie de la culture organisationnelle ? Ou est-ce davantage comme un angle mort à l’intérieur duquel les questions essentielles ne leur viennent tout simplement pas à l’esprit ?

Essentiellement, je crois qu’ils connaissent les différentes parties de l’écosystème, mais ils ne comprennent pas à quel point ils doivent se préoccuper des autres. Quand nous parvenons à une entente, c’est que vous dites que vous le voulez et que je dis que je le veux. Je me concentre donc sur ma partie, d’une part, parce que ma partie est difficile, d’autre part, parce que je la maîtrise. Si une innovation exige un quelconque changement de la part d’un partenaire, on doit y voir un risque pour soi-même. Une mauvaise gestion est aussi dommageable d’un côté que de l’autre. Par conséquent, pour la plupart des organisations, ce n’est pas qu’elles n’en sont pas conscientes, mais plutôt qu’elles n’investissent pas assez de ce côté. Et si elles n’investissent pas, c’est qu’elles n’ont pas la perspective nécessaire pour comprendre pourquoi il est si important de le faire, et comment investir et gérer cet investissement.

Il y a une différence fondamentale entre la « gestion de projet » et ce dont je parle dans ce livre. Dans la gestion de projet, qui consiste essentiellement à organiser des équipes, l’hypothèse de départ, c’est que l’on maîtrise la situation. Dans le cas de l’écosystème, on doit poser l’hypothèse que l’on ne maîtrise pas tous les éléments. On doit les réunir tous, même s’ils ne nous appartiennent pas. La question qui se pose est donc : une fois qu’on voit ces éléments, comment élabore-t-on une stratégie non seulement pour ce qu’on veut réunir, mais également pour la façon dont on s’y prendra. Comment va-t-on créer les incitations et comment les offrira-t-on ? On ne conçoit pas un projet d’un seul trait, mais plutôt par étapes.

Que peuvent faire les organisations et les équipes pour réaligner leur culture de façon à pouvoir élargir la perspective de leur approche ?

Ce qu’elles doivent faire, c’est changer la série de questions qu’elles se posent au début du projet. Donc, si vous avez une idée, la première question est : créera-t-elle de la valeur pour le client ? Le client peut être un étudiant, un employé du secteur de la santé, un employé de l’entreprise, un acheteur de voiture. La deuxième question est : pouvons-nous soutenir la concurrence ? Ce livre a pour but de montrer que ces questions ne suffisent pas.

Avant de dire « c’est une bonne idée, mettons-nous au travail », nous devons nous demander quelle autre innovation doit voir le jour. Qui d’autre doit innover ? Qui d’autre doit adopter notre innovation? Et nous devons avoir des réponses avant de nous lancer dans l’aventure. Nous devons esquisser le modèle de valeur dès le départ. Cette approche permettra d’établir les priorités des différents projets et de voir quels projets nous placeront dans un meilleur écosystème et quels projets nous mèneront dans un pire écosystème. Toutefois, même après nous être engagés dans un seul projet, l’approche changera la direction tout au cours de l’évolution de ce dernier ; l’échéancier ou la portée pourraient changer. Parfois, l’approche vous indiquera de ralentir la cadence et, parfois, de l’accélérer. Cependant, une fois que vous aurez une vision globale, votre façon d’aborder le travail changera. Nous devons aussi avoir une vision globale à l’intérieur de l’organisation. Chaque fois que de multiples équipes interagissent, nous avons tout un écosystème à gérer.

Lorsque nous envisageons une innovation, il est important de ne penser qu’à ajouter de nouveaux éléments. Dans un écosystème, une innovation implique la création de nouveaux liens. Prenons le cas de Michelin, la société savait qu’il y a les constructeurs d’automobiles et les garages et, au départ, elle communiquait avec les deux. Michelin ne comprenait pas qu’elle devait travailler avec les garages ; elle n’a tout simplement pas compris qu’il y avait un nouveau lien avec eux. Cela a mené à un désastre. Ce sont les éléments de ce type qui requièrent réellement une approche systématique de cartographie de l’écosystème, et c’est à cela que sert l’outil de création du modèle de valeur. Je crois qu’il est plus facile de comprendre le concept de « nouveaux liens » quand on pense à l’écosystème interne. On n’ajoute pas souvent de nouveaux services, mais on demande à des services d’adopter de nouvelles façons d’interagir. Chaque fois qu’un projet d’innovation exige quelque chose de ce genre, on doit élargir sa perspective pour comprendre vraiment comment structurer cette collaboration au sein de l’écosystème.

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