Fini les maîtresses, les bars à hôtesses et les extravagances : les responsables chinois sont priés de donner l'exemple de la bonne moralité, dans le cadre de la campagne d'éradication de la corruption lancée par le Parti communiste au pouvoir.
On ne compte plus les campagnes de ce genre, et d'ailleurs depuis bien avant l'arrivée du PCC au pouvoir en 1949, mais cette fois le ton est inhabituellement sévère et le lien clairement fait entre corruption et immoralité: 95% des responsables faisant l'objet d'une enquête pour corruption entretenaient une maîtresse, selon Qi Peiwen, chargé de l'application des nouvelles consignes.
"Il n'est tout simplement pas possible d'entretenir une maîtresse avec votre salaire parce que ce genre de train de vie exige énormément d'argent liquide. Alors que faites-vous quand vous n'avez pas d'argent? Naturellement, vous utilisez votre pouvoir pour en trouver", a expliqué M. Qi devant une assemblée de fonctionnaires.
Le message a été relayé le mois dernier dans ses discours par Li Yuanchao, chef du Département de l'Organisation du Comité central du Parti communiste chinois (PCC), qui nomme les hauts responsables. Le PCC semble avoir vraiment pris conscience du danger que représente la corruption pour son autorité et son système de valeurs, dans ce pays de 1,3 milliard d'habitants en plein développement.
Le retour de morale de la société vise aussi la pornographie, les contenus obscènes et la publicité pour les services sexuels sur Internet, s'inscrivant tout naturellement dans le cadre de l'action du gouvernement pour contrôler les contenus potentiellement subversifs de la Toile. Les autorités ont ainsi censuré plus de 1.400 écrits et 20 sites Web, dont certains parlaient de relations sexuelles d'une nuit, d'échangisme ou d'abus sexuels "contraires à la décence", selon l'Administration générale de la presse et des publications.
Mais en l'absence de définition légale d'un contenu indécent, les censeurs interdisent à peu près tout ce qu'ils veulent, des blogs et autres sites personnels de dissidents aux pages sur des réseaux comme Facebook, YouTube et Twitter. Le gouvernement a toutefois dû faire marche arrière sous la pression de l'opinion publique récemment, quand il a voulu imposer des filtres anti-pornographie sur tous les ordinateurs, au risque d'empêcher l'accès à des contenus tout à fait innocents.
C'est bien le signe de ce que les Chinois supportent de moins en moins la main-mise du Parti sur leur vie privée. Bien qu'il conserve le contrôle politique absolu du pays, le PCC, avec ses 73 millions d'adhérents, n'est d'ailleurs plus tout-puissant en matière d'emploi, de logement et d'autorisations de déplacement. Il n'impose plus non plus aux fonctionnaires de demander la permission de leur patron pour se marier.
Pour June Teufel Dreyer, spécialiste de la Chine à l'Université de Miami, la tendance moralisatrice actuelle découle probablement "de l'idée que les gens qui aiment le plaisir ne travaillent pas autant qu'ils le pourraient". En outre, la puissance chinoise est le fruit de 30 ans d'efforts et "le régime a sans aucun doute remarqué que, dans les autres sociétés, la génération créatrice de prospérité est souvent suivie par une génération frivole", ajoute-t-il.
Ainsi le pouvoir a-t-il mis l'accent sur la vie dissolue de Chen Liangyu, ancien chef du PCC à Shanghaï, le plus haut responsable tombé ces dernières années. Il a été présenté comme un homme aux multiples maîtresses, avec une insistance qui est apparue comme une volonté d'affaiblir la position de ceux dont il avait fait la carrière. On remarque aussi que la campagne de moralisation actuelle coïncide avec les condamnations de 16 hauts responsables chinois cette année, soit quatre fois plus qu'en 2008.
Pendant cette campagne, les responsables du Parti pourront recevoir des blâmes si l'on découvre par exemple qu'ils fréquentent des bars à hôtesses, a prévenu Li Yuanchao. Un facteur important pourrait toutefois nuire à l'efficacité de ce retour aux bonnes moeurs: le Parti ne tient pas non plus à exposer encore davantage de corruption qu'il n'en a reconnue.
