Entrevue: Christophe Chenut, pdg de Lacoste

Publié le 25/02/2012 à 00:00

Entrevue: Christophe Chenut, pdg de Lacoste

Publié le 25/02/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Christophe Chenut, pdg de Lacoste

Christophe Chenut est le premier patron de Lacoste à ne pas appartenir à l'illustre famille. Ex-publicitaire, il a dirigé une équipe de soccer (le Stade de Reims) et un journal (L'Équipe) avant de joindre l'univers Lacoste. Appelé à la rescousse pour éteindre une crise familiale majeure et redonner de l'élan à la marque, l'homme de 49 ans a misé sur le changement plutôt que la continuité. Je l'ai rencontré à Montréal.

DIANE BÉRARD - La famille Lacoste vous a-t-elle confié un mandat particulier à votre arrivée, au printemps 2008?

CHRISTOPHE CHENUT - Oui, il fallait passer au chapitre suivant. Lacoste terminait le cycle Bernard Lacoste. Depuis des décennies, le fils du fondateur connaissait tout, contrôlait tout, créait tout.

D.B. - Comment vous y êtes-vous pris pour bâtir votre nid?

C.C. - En reconnaissant que je n'étais pas Bernard Lacoste. Bernard savait tout. Je ne savais rien. Je n'appartenais pas à la famille et je n'avais aucune expérience du secteur. Je ne pouvais pas gérer dans la continuité, quelle crédibilité aurais-je eue ? J'ai opté pour la seule stratégie réaliste dans une situation comme la mienne. Il me fallait une équipe pour me compléter et m'appuyer. Un nouveau dirigeant ne doit pas gérer comme son prédécesseur s'il n'en a pas les compétences.

D.B. - Combien de temps vous a-t-il fallu pour gagner la confiance de la famille?

C.C. - Mon cas est particulier, je fréquentais les membres de la famille Lacoste avant mon recrutement. Une famille d'entrepreneurs confiera toujours plus facilement la direction à quelqu'un qu'elle connaît. Mais, qu'à cela ne tienne, comme dirigeant, vous n'avez jamais la confiance de tous les membres d'une famille. Vous gagnez celle de certains. Et puis, la confiance va et vient, elle fluctue.

D.B. - Comment le personnel de Lacoste a-t-il accueilli le passage d'un système centralisé, mené par le fils du fondateur, à un système décentralisé?

C.C. - Comme je vous l'ai dit, je suis arrivé en fin de cycle. La majorité des dirigeants de l'ancienne équipe partaient à la retraite, ce qui m'a permis de faire les choses plus simplement. Quelques-uns dans l'équipe ne se sont pas adaptés. Ils sont partis ou je les ai «fait partir».

D.B. - Malgré l'entrée en Bourse de Facebook, son fondateur, Mark Zuckerberg, a conservé le contrôle, avec 57%. Certains saluent sa décision, d'autres la décrient. Un actionnariat concentré est-il préférable à un actionnariat dispersé?

C.C. - En France, l'entrée de LVMH [Louis Vuitton Moët Hennessy] au capital d'Hermès a provoqué le même tollé. La famille derrière Hermès s'est regroupée pour prévenir une offre publique d'achat, et Hermès a conservé le contrôle. Pour ma part, j'ai travaillé au sein d'un groupe coté en Bourse et pour deux sociétés familiales non cotées. Je préfère travailler pour les secondes. Comme dirigeant, vous avez le temps de construire. Vous n'avez pas à couper dix têtes parce que vous n'atteignez pas vos cibles trimestrielles. Je peux travailler sur des projets de trois et cinq ans sans changer de cap tous les trois mois.

D.B. - Les entreprises non cotées sont- elles plus humaines?

C.C. - Non. Elles n'ont pas le monopole de l'humanité. Danone, parmi d'autres, l'illustre bien. C'est une entreprise cotée et très humaine. Évitons d'opposer les deux modèles, on ne peut pas toujours trouver un actionnaire majoritaire. Et puis, la Bourse constitue parfois un relais nécessaire. Ainsi, l'entreprise familiale fonctionne peu par acquisitions et par endettement. Si c'est le modèle d'affaires et le genre d'aventure qu'un dirigeant recherche, alors il devrait viser une société cotée.

D.B. - Et, pour l'économie, qu'est-ce qui est le plus rentable: un actionnariat concentré ou un actionnariat dispersé?

C.C. - À long terme, sur 20 ou 30 ans, les deux modèles se valent. Même si elles empruntent des chemins différents, les entreprises cotées en Bourse et les entreprises à capital fermé atteignent les mêmes niveaux de développement, de croissance et de valorisation.

D.B. - Les ventes de Lacoste s'élèvent à 4 milliards d'euros, mais Lacoste ne fabrique rien. Expliquez-nous votre modèle d'entreprise.

C.C. - Lacoste est propriétaire de la marque et elle travaille avec huit licenciés, chacun étant responsable d'une catégorie de produit (vêtements, maroquinerie, parfums, chaussures, lunettes, linge de maison, montres, bijoux). À ces licenciés se greffent de 400 à 500 distributeurs dans 130 pays. Notre modèle est atypique, peu d'entreprises fonctionnent ainsi. René Lacoste a choisi ce modèle, parce que ce n'était pas un homme de production.

D.B. - Quels sont les avantages et les limites de ce modèle?

C.C. - C'est un système hyperpuissant, car il y a démultiplication. Lorsque vous déployez une stratégie, elle se propage rapidement dans le monde entier. Quelles en sont les limites ? Le système se compose d'humains; lorsque les hommes ne s'entendent pas, tout tourne au ralenti. C'est la même situation lorsqu'un des licenciés éprouve des problèmes économiques et n'investit pas au même rythme que les autres. Ma solution : multiplier les rencontres entre nos partenaires et compter sur l'émulation. Nous accumulons les données sur nos dix marchés les plus importants. Celles-ci sont fournies à tous et servent d'exemple à nos 110 autres marchés.

D.B. - Comment se portent vos affaires en France ? En Europe ?

C.C. - En France, 2011 fut une très bonne année. Pour l'Europe, c'est autre chose. La marque Lacoste a souffert en Espagne, en Grèce, en Italie... La croissance de nos ventes européennes plafonne à 1 ou 2 % par année. Ce n'est pas génial, mais je dirige une marque mondiale; en Amérique et en Asie, la croissance atteint les deux chiffres.

«J'ai travaillé au sein d'un groupe coté en Bourse et pour deux sociétés familiales non cotées. Je préfère travailler pour les secondes. Comme dirigeant, vous avez le temps de construire. Vous n'avez pas à couper dix têtes parce que vous n'atteignez pas vos cibles trimestrielles.»

LE CONTEXTE

Le Québec, une terre d'entreprises familiales, vit un important transfert générationnel et connaît un sérieux problème de relève. Premier dirigeant extérieur d'une entreprise familiale, Christophe Chenut connaît cette réalité.

SAVIEZ-VOUS QUE...

Christophe Chenut est administrateur du club de football Paris Saint-Germain.

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