Entrevue: Hamid Kariem, v.-p. Marketing, Builtmart

Publié le 21/08/2010 à 00:00

Entrevue: Hamid Kariem, v.-p. Marketing, Builtmart

Publié le 21/08/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Hamid Kariem, v.-p. Marketing, Builtmart

Chaque mois, 300 000 conteneurs arrivent au port de Jebel Ali, à Abou Dabi, chargés de milliers de mètres de moquette, de pots de peinture, de chandeliers, de tuiles et d'autres articles de décoration-rénovation. Ceux-ci prennent ensuite le chemin des 20 magasins Builtmart dispersés dans les pays du Golfe et en Inde. Builtmart, c'est le Rona du monde arabe.

Le concept de tout sous un même toit a bouleversé les habitudes de magasinage des habitants de cette région du globe, qui avaient coutume de s'approvisionner auprès d'artisans. Imaginé par Rizwan Rajan, le fondateur du détaillantde matériaux de construction Danube, Builtmart a pris son envol grâce au tandem que M. Rajan a formé avec Hamid Kariem, un gestionnaire indien d'expérience. Après avoir supervisé le développement des affaires de deux multinationales, l'une hollandaise et l'autre norvégienne, Hamid Kariem a concrétisé le concept de Rizwan Rajan. L'équipe qu'ils forment - un entrepreneur et un gestionnaire - n'est pas sans rappeler celle que l'on trouve dans de nombreuses entreprises familiales québécoises. Nous avons réalisé l'entrevue avec Hamid Kariem à Montréal, en juillet, alors qu'il était de passage au Québec pour établir un premier contact avec des fournisseurs québécois intéressés à brasser dans affaires avec son entreprise.

Diane Bérard - En quoi le client d'une succursale Builtmart diffère-t-il de celui d'un magasin Rona ou Home Depot ?

Hamid Kariem - Avant l'ouverture de notre première succursale il y a deux ans, les femmes, qui composent la majorité de notre clientèle, achetaient leurs produits auprès des artisans locaux. Elles devaient donc visiter une dizaine de petits commerces pour combler leurs besoins. Notre formule à l'occidentale " tout sous un même toit " a complètement changé leurs habitudes. Mais nous savions qu'elles étaient prêtes pour un changement; la société émiratie a beaucoup évolué depuis 20 ans et le niveau d'éducation et d'ouverture sur le monde est plus grand.

D.B. - Quels défis particuliers cette clientèle pose-t-elle ?

H.K. - Tout est question de culture. Vous ne regardez pas la femme arabe dans les yeux, il n'est pas approprié de lui serrer la main et vous ne devez en aucun cas la toucher. Toutefois, à partir de l'instant où elle franchit les portes de votre commerce, elle devient votre cliente et si vous désirez lui vendre quelque chose, vous devez créer un contact avec elle, ne pas avoir l'air de l'éviter. Tout cela est très délicat, d'où la nécessité de former nos vendeurs. Nous avons recruté une femme pour donner cette formation.

D.B. - Devez-vous recruter uniquement des femmes pour servir vos clientes ?

H.K. - Non, tout comme il n'est pas nécessaire que tous nos vendeurs soient arabes. Ceux-ci viennent d'un peu partout, même des États-Unis, et s'expriment tous en arabe et en anglais.

D.B. - Il a deux ans, on ne trouvait aucun magasin Builtmart dans les pays du Golfe. Aujourd'hui, on en compte 20. Comment cette expansion fut-elle possible ?

H.K. - Patience, timing et organisation ! L'idée de Builtmart ne date pas d'hier, Rizwan Sajan, le fondateur de l'entreprise, l'a eue il y a quelques années déjà. Tandis qu'il se baladait avec son épouse pour acheter des articles de maison dans le quartier Karama, à Abou Dabi, il a constaté la fragmentation des commerces de ce secteur et la complexification pour le consommateur. Convaincu que les résidants du Golfe étaient mûrs pour une nouvelle formule, sans compter que le revenu par habitant ne cessait d'augmenter, il a amorcé sa réflexion. Entre temps, Rizwan continue l'expansion de sa société principale, Danube, spécialisée dans le commerce de matériaux de construction. Lorsque sa réflexion fut suffisamment avancée, et que les revenus de Danube permirent de financer une nouvelle division, Rizwan est venu me recruter.

D.B. - Rizwan Sajan a fondé son entreprise dans un petit logement de deux pièces avec 20 000 $ en poche. Vingt ans plus tard, il vous recrute pour passer à la phase deux du développement. Diriez-vous que votre tandem est typique ?

H.K. - Probablement. Abou Dabi ou Montréal, la réalité des affaires demeure la même : il arrive un moment où l'entrepreneur a besoin de renfort. Il ne peut être tout à la fois. Surtout s'il nourrit de grandes ambitions pour son entreprise. Rizwan souhaite recruter des professionnels de divers horizons. Or, pour les attirer, il devait " professionnaliser " son entreprise. C'est ce que nous avons fait ensemble depuis deux ans.

D.B. - Qu'avez-vous apporté à Danube et Builtmart ?

H.K. - Mes 25 années d'expérience en marketing et en développement des affaires au sein de deux multinationales. J'ai travaillé neuf ans chez Sigma Paints, en Hollande, puis 15 ans pour Jotun Paints, établie en Norvège. Dans les deux cas, j'ai touché à tout : marketing, R-D, ventes, gestion de la marque, politiques de conformité. Rizwan était mon client, nous avons donc commencé notre relation en négociant. Croyez-moi, c'est une excellente façon d'apprendre à se connaître !

D.B. - Considérez-vous Builtmart comme une marque ?

H.K. - Oui, et nous avons l'intention de l'implanter dans tous les pays du Golfe et bien plus loin encore. D'ailleurs, si vos lecteurs sont intéressés à ouvrir une franchise Builtmart au Québec, nous sommes ouverts.

D.B. - Comment avez-vous orchestré le lancement de Builtmart dans les pays du Golfe?

H.K. - Avant de se lancer, il faut organiser. J'avais deux missions simultanées : réorganiser Danube pour qu'elle accélère sa croissance et préparer l'arrivée de Builtmart. Pour Danube, j'ai créé un catalogue de produits de 100 pages présentant notre offre complète aux entrepreneurs et aux architectes. Puis, j'ai pris la route, mon catalogue sous le bras. Pendant neuf mois, j'ai donné plus de 50 séminaires à des professionnels de la construction pour leur rappeler l'existence de Danube.

En même temps, j'ai élaboré l'offre de Builtmart. En principe, nous visons des clients âgés de 25 à 55 ans gagnant 100 000 dirhams par année (2 848 $ CA). Il m'apparaissait toutefois essentiel de ratisser plus large pour attirer la plus vaste clientèle possible. Chez nous, vous trouverez des chandeliers à 5 et à 500 $. Nos produits sont fabriqués en Europe et dans les pays du Golfe aussi bien qu'en Extrême-Orient. D'ailleurs, nous avons amorcé une certaine intégration avec une usine en Chine, deux dans les Émirats et une autre à Oman.

D.B. - Rizwan Sajan n'est pas un Émirati, il est Indien. En quoi cela influence-t-il sa façon de voir les affaires ?

H.K. - La différence est importante. Les gens d'affaires émiratis sont plutôt conservateurs. Je ne suis pas convaincu que l'un d'eux aurait innové en démarrant un concept comme Builtmart. En général, ils se sentent plus à l'aise en mode réactif. Rizwan, lui, vient d'une autre culture et, en plus, il a roulé se bosse un peu partout avant de s'établir aux Émirats. Son style de gestion et son attitude face à la gestion du risque tranchent avec ceux d'un homme d'affaires émirati typique.

D.B. - Même si le tandem que vous formez avez Rizwan Sajan ressemble à ceux que l'on trouve dans plusieurs entreprises québécoises, l'environnement dans lequel vous évoluez, lui, n'a rien à voir avec ce que nous connaissons. Les Émirats Arabes Unis ne sont pas le Québec.

H.K. - En effet. Abou Dabi est dirigé par le sultan Khalifa bin Zayed Al Nahyan, qui a sa vision personnelle du développement de son État. Celle-ci est clairement établie dans un plan directeur qui s'échelonne jusqu'en 2030. Ce plan est une mine d'or pour notre entreprise. Nous savons exactement quels projets sont planifiés, à quelle date et selon quel échéancier. Nous connaissons aussi les besoins matériels qui y sont associés. Il ne nous reste qu'à ajuster notre stratégie pour répondre à ces besoins. Ainsi, notre division Danube peut fournir les matériaux requis pour la construction des nouveaux édifices souhaités par le prince. Et, puisque le plan directeur nous indique où se trouveront les futurs quartiers résidentiels, nous savons exactement où construire nos prochaines succursales Builtmart pour qu'elles soient rentables ! Si nous étions au Québec, nous ne pourrions pas mener notre développement ainsi, car votre croissance n'est pas planifiée et ce n'est pas le gouvernement qui la contrôle.

D.B. - Votre région n'a pas été épargnée par la crise économique. Comment se porte-t-elle aujourd'hui ?

H.K. - En fait, tout va pour le mieux. L'immobilier a chuté, ce qui permet aux entreprises dynamiques, et en bonne position financière comme la nôtre, d'acquérir des locaux à bas prix. Nous érigeons ainsi une barrière à l'entrée aux éventuels concurrents. De plus, notre économie repose principalement sur le pétrole. Or, tant que le prix du baril se situe au-dessus de 30 $ US, les entreprises de ce secteur font des profits. Comme vous voyez, nous ne serons pas pauvres de sitôt !

D.B. - Les médias occidentaux ont beaucoup parlé des problèmes financiers de certaines entreprises de Dubai.

Qu'en est-il de celles d'Abou Dabi ?

H.K. - Abou Dabi est le plus riche de tous les Émirats et le plus vaste : il occupe 87 % de la superficie totale. On y trouve 9 % des réserves mondiales de pétrole ainsi que 4 % des réserves de gaz. Celles-ci, conjuguées au plan de développement du sultan, nous donnent toutes les raisons de sourire.

Le pourquoi

La direction de Danube compte ajouter 10 magasins Builtmart en 2010 et 70 autres d'ici 2015. Elle est à la recherche de fournisseurs pour alimenter ses futurs établissements. Hamid Kariem était de passage à Montréal en juillet afin de nouer des contacts avec d'éventuels partenaires québécois, à l'invitation de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Le chiffre

50 0000

Superficie moyenne, en pieds carrés, d'un magasin Builtmart. C'est la moitié d'un Rona grande surface.

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