La menace du patriotisme industriel

Publié le 10/03/2012 à 00:00, mis à jour le 05/06/2013 à 08:41

La menace du patriotisme industriel

Publié le 10/03/2012 à 00:00, mis à jour le 05/06/2013 à 08:41

Par Pierre Théroux

De François Normand et Pierre Théroux. Après avoir déménagé leur production dans des pays émergents, bon nombre de fabricants américains et européens la rapatrient ou songent à le faire. Une question de coûts et de logistique, accentuée par les invitantes aides financières offertes dans des pays comme les États-Unis et la France, qui brandissent le drapeau du patriotisme industriel. Résultat : d'autres pertes d'emplois manufacturiers sont à prévoir au Québec.

Qu'ont en commun le fabricant de frisbees Wham O, le concepteur de cadenas Master Lock, le producteur de glacières Coleman et le fabricant d'écouteurs Sleek Audio ? Ces entreprises ont récemment rapatrié sur le territoire américain leur production de la Chine. Une tendance au repli manufacturier observée dans quelques pays occidentaux, principalement les États-Unis, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Chez nos voisins du Sud, un sondage réalisé en début d'année par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) indique que 58,1 % des entreprises manufacturières américaines songent à rapatrier une partie ou la totalité de leur production. Le mouvement est tel qu'une étude du Boston Consulting Group (BCG), publiée en janvier et intitulée «Made in America, again», annonce une renaissance industrielle aux États-Unis.

«L'avantage chinois s'estompe, tandis que les entreprises américaines redécouvrent les avantages d'une production locale», indique l'étude qui prévoit que ce phénomène s'accentuera au cours des cinq prochaines années.

L'organisme estime que les entreprises choisiront de garder en Chine la fabrication de produits de masse ou de ceux destinés aux marchés asiatiques. Elles rapatrieront leur production consacrée au marché nord-américain. D'autant que la hausse de l'automatisation et de la productivité des entreprises américaines permet de rattraper en partie les coûts du travail manuel des usines chinoises.

«Les entreprises doivent maintenant y réfléchir à deux fois avant de délocaliser leur production», dit Louis Duhamel, associé de la firme Deloitte, qui vient de publier une vaste étude sur l'avenir de l'industrie manufacturière au Québec.

Hausse marquée des coûts

Au début des années 2000, la décision de s'installer en Chine et dans un autre pays émergent était évidente pour certaines industries. L'abondance d'une main-d'oeuvre ouvrière bon marché a attiré nombre d'entreprises manufacturières, qui sont allées y construire des usines ou y trouver des fournisseurs.

Mais cet avantage s'effrite. En Chine, les salaires grimpent de près de 20 % par année depuis 2005 selon le BCG, qui estime qu'ils continueront sur cette lancée pour atteindre le taux horaire de 6,31 $ US d'ici 2015 dans les provinces à haute production manufacturière, comme Shanghai, Zhejiang et Jiangsu. De plus, il y a eu, ces dernières années en Chine, une hausse marquée des coûts de transport et d'énergie, l'appréciation du yuan et une forte augmentation du prix de l'immobilier industriel et des terrains, sans oublier les risques liés à la qualité des produits, aux délais de livraison ou encore au piratage de la technologie, note l'étude du BCG.

Par exemple, le prix moyen des terrains industriels en Chine s'élève à 10,22 $ US le pied carré, avec des pointes entre 15 $ et 21 $ dans les régions de Nanjing, Shanghai et Shenzhen. Or, les prix varient entre 1,30 $ et 7,43 $ dans les états américains du Tennessee, de la Caroline du Nord et de l'Alabama.

L'institut de recherche allemand Fraunhofer, qui s'est intéressé à la question, note que «ceux qui ont délocalisé n'avaient en vue que des réductions de coûts à court terme». La délocalisation vers l'Inde ou des pays du Sud-est asiatique ou d'Amérique latine pourrait à long terme se buter au même phénomène qu'en Chine, disent des observateurs.

Home, Sweet Home

La relocalisation se nourrit aussi des salaires moins élevés et des mesures incitatives financières qui ont cours dans certains États américains, notamment en Alabama et au Tennessee.

Dans son discours sur l'état de l'Union, en janvier, le président Obama a aussi fait du Made in USA le coeur de son projet de relance économique. Son programme An America Built To Last (Une Amérique construite pour durer) invite les multinationales américaines à rapatrier des emplois aux États-Unis.

Il est accompagné d'une série de mesures visant à récompenser les entreprises qui créent des emplois sur le sol américain ou cesseront de transférer des activités à l'étranger (crédit d'impôt), et à pénaliser celles qui délocalisent (suppression de leurs avantages fiscaux et création d'une taxe).

Des organisations américaines, comme Reshoring Initiative et l'Alliance for American Manufacturing, militent également en faveur du retour des emplois manufacturiers aux États-Unis.

La réindustrialisation est aussi à l'ordre du jour des candidats à l'élection présidentielle en France, où plusieurs entreprises reviennent également au pays. Comme le concepteur et fabricant de systèmes de vidéosurveillance TEB qui, en janvier dernier, a rapatrié de Chine sa production de caméras robotisées. Les raisons invoquées : la qualité, l'efficacité et, surtout, le secret industriel. L'an dernier, la fonderie Loiselet a aussi rapatrié des activités implantées auparavant en Chine et en Inde. Cette décision découlait en grande partie d'un financement obtenu dans le cadre du programme d'aide à la réindustrialisation d'OSEO, l'équivalent français d'Investissement Québec.

Pendant ce temps au Québec

Rares sont les entreprises canadiennes ou québécoises qui ont emboîté le pas. Mais «on voit des entreprises qui reconsidèrent leurs modèles, qui étudient différents scénarios, pour rester compétitives», note Carl Gravel, directeur national, Expansion mondiale à la Banque de développement du Canada.

Il faut dire que «pour revenir, il faut être parti, et il n'y a pas eu de déménagements massifs de la production québécoise, très peu en fait», dit Pierre Lefebvre, associé de la firme Secor.

Le phénomène de relocalisation touche néanmoins le Québec. Mais dans le mauvais sens. La décision d'Electrolux de fermer son usine de l'Assomption pour déménager à Memphis et celle de Mabe, un autre fabricant d'électroménagers, de transférer aussi une partie de sa production au sud de la frontière illustrent le nouvel eldorado américain et laissent entrevoir d'autres pertes d'emploi.

La région du Haut-Richelieu, en Montérégie, s'en inquiète. Elle regroupe une dizaine de filiales de sociétés américaines qui pourraient être tentées de répondre à l'appel du président Obama.

Le Conseil Économique du Haut-Richelieu souhaite d'ailleurs rencontrer leurs dirigeants pour faire le point.

«On veut connaître leur plan de match, savoir si on peut les accompagner pour s'assurer de garder des emplois s'ils envisageaient de partir», dit la directrice générale Sylvie Lacroix, qui entend aussi sensibiliser des organisations comme Investissement Québec et Emploi Québec.

Le gouvernement québécois doit-il pour autant bonifier ses avantages fiscaux en vue de garder des emplois manufacturiers ?

«Ce ne serait pas une bonne idée. Il faut plutôt offrir des conditions d'affaires attrayantes et un contexte fiscal avantageux à toutes les entreprises, pas seulement à celles qui songent à partir ou à revenir», dit Simon Prévost, président de Manufacturiers et exportateurs du Québec.

«Il faut choisir ses batailles, répond Louis Duhamel, de Deloitte. Si le Québec, pour préserver des emplois, veut garder des entreprises à faible valeur ajoutée dont les décisions se prennent loin d'ici, il faudra alors rivaliser avec des États comme le Tennessee. Mais peut-être doit-on plutôt aider des entreprises à plus forte valeur ajoutée qui ont de meilleures chances de pérennité ?»

933

Nombre de filiales étrangères du secteur manufacturier au Québec.

Elles emploient 80 971 personnes.

Sources : Dun and Bradstreet, MDEIE

58,1 %

Pourcentage des entreprises américaines qui songent à rapatrier leurs activités manufacturières

Source : Massachusetts Institute of Technology

pierre.theroux@tc.tc

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