Le Parti québécois voulait «son moment PKP», a dit Jean-François Lisée pour expliquer son retrait de la course à sa direction. M. Lisée a ainsi privé le parti de débats qui l'auraient enrichi, mais il a vu juste. Pierre Karl Péladeau a en effet obtenu 57,6 % des votes dès le premier tour de scrutin.
C'était la partie facile de l'aventure dans laquelle s'est engagé l'actionnaire majoritaire de Québecor, principal empire médiatique du Québec. Les défis qui l'attendent sont immenses. Ils mettront à l'épreuve son intelligence, son leadership, son sens politique, sa capacité d'apprendre et de maîtriser des dossiers complexes, sa capacité à gérer ses émotions, son empathie face à ses proches (députés, collaborateurs, militants), sa capacité de mobiliser ses troupes et de séduire les électeurs. Autrement dit, sa capacité à devenir une bête politique. C'est un passage obligé pour espérer devenir un jour premier ministre et vendre au peuple son projet de faire du Québec un pays.
Au départ, rien ne prédisposait PKP à se rendre jusque-là. S'il a franchi avec succès la première étape, c'est parce que les élites péquistes et les militants les plus pressés du parti l'ont vu comme le dernier espoir pour mener le Québec à l'indépendance. En effet, cet épisode pourrait bien être la dernière chance du PQ, car les jeunes délaissent ce parti, la proportion des «pure laine» au sein de l'ensemble de la population québécoise diminue et les indépendantistes sont divisés. Enfin, la social-démocratie, qui était à la base du projet péquiste, cohabite maintenant chez Québec solidaire. En conséquence, le PQ est un parti où la grande majorité des Québécois ne se retrouvent plus, comme en témoignent les 25 % d'appui qu'il a obtenus aux dernières élections générales d'avril 2014.
Une tâche herculéenne
Ce contexte explique la tâche herculéenne qui attend Pierre Karl Péladeau. Celle-ci se décline en cinq enjeux principaux :
1. Prouver que l'indépendance du Québec est une proposition rentable. Parce qu'il en a fait son «unique objectif», il se le fera rappeler constamment. Pourtant, cela ne semble pas possible objectivement. Selon les derniers comptes économiques, l'ensemble du Québec (gouvernement, citoyens, entreprises, municipalités, etc.) reçoit du fédéral 16 milliards de dollars de plus annuellement que les impôts, les taxes et les droits que le fédéral perçoit au Québec. De cette somme, la péréquation compte pour 8 G$.
Contrairement aux militants qui sont capables d'un acte de foi, l'ensemble de la population voudra être assuré que l'indépendance ne constitue pas une épée de Damoclès sur l'avenir et la prospérité du Québec. Craignant l'incertitude comme la peste, les investisseurs et les décideurs du milieu des affaires recherchent la stabilité. En mettant à l'avant-plan l'indépendance, l'effet PKP produira le contraire. L'homme d'affaires saura-t-il rassurer les Québécois, comme le croient les stratèges du parti ? Ce n'est pas sûr, puisque c'est sous le leadership de PKP que Québecor s'est repliée au Québec après la faillite des imprimeries Quebecor World et la revente, au quart du prix payé, des journaux acquis au Canada anglais. Québecor se redéploie à l'extérieur du Québec, mais c'est grâce à Vidéotron, société acquise par un montage financier audacieux de la Caisse de dépôt.
2. Apprendre à être le chef d'un parti politique dont il ne sera pas roi et maître. Il aura à négocier avec d'autres têtes fortes, à donner à son parti de la substance (au lieu de se contenter de blâmer le fédéral pour tout et rien), à faire des choix politiques difficiles, à maintenir l'unité parmi un ensemble hétéroclite de personnes sur le plan des idées et des valeurs, à user d'astuces, à travailler sans relâche, à être capable de prendre position rapidement, à contrôler ses émotions malgré les coups fourrés qui arriveront de partout.
3. Devenir crédible auprès de l'ensemble de la population. PKP a un problème d'authenticité. Il a défendu des valeurs associées à la droite. Il a orchestré 14 lock-outs et il s'est opposé à une réforme du Code du travail qui aurait interdit les briseurs de grève dans les entreprises virtuelles. Il a financé des partis fédéralistes avant de se tourner vers le PQ. Il se dit aujourd'hui progressiste. Il attaque l'austérité budgétaire, mais sans dire ce qu'il ferait s'il était à la tête du gouvernement. Il devra prendre position sur des enjeux importants, ce qu'il a évité de faire jusqu'à maintenant, et cesser de se dédire le lendemain.
4. Rallier les jeunes et les citoyens d'origine autre que ceux qui sont nés au Québec, deux clientèles qui s'éloignent du PQ. C'est facile de s'engager à le faire, mais ce sera autre chose de réussir. PKP se dissociera-t-il de la «charte des valeurs», qui a fait mal paraître le PQ sur le plan de la diversité ?
5. Résoudre le conflit d'intérêts majeur entre le fait de contrôler Québecor (40 % des médias du Québec) et d'être chef de l'opposition, et peut-être un jour, premier ministre. Cette situation est une insulte à l'intelligence de quiconque respecte la démocratie, mais PKP entend bien garder ses deux statuts. Espérons que la commission parlementaire qui abordera sous peu cet enjeu permettra d'y voir plus clair, et que le code d'éthique et de déontologie des députés sera clarifié.