Pourquoi tenir les baby-boomers responsables de la crise du logement au Canada

Publié le 02/11/2023 à 10:58

Pourquoi tenir les baby-boomers responsables de la crise du logement au Canada

Publié le 02/11/2023 à 10:58

(Photo: 123RF)

On pointe du doigt les baby-boomers (nés entre 1946 et 1964) pour expliquer les prix élevés et la faiblesse de l’offre sur le marché du logement au Canada. Mais quelle est leur part de responsabilité et dans quelle mesure ce blâme est-il juste ? 

Un article publié en janvier 2022 dans le National Post attribue la responsabilité de «l’effondrement du marché immobilier canadien» à l’augmentation du «vieillissement sur place» chez les baby-boomers. Et ce n’est pas le seul article du genre. En juillet 2021, un éditorial du New York Times a émis la même idée, à savoir que les baby-boomers, parce qu’ils ne «lâchaient pas prise», détenaient le plus grand patrimoine immobilier générationnel de l’histoire.

Le mois dernier, une note de Barclays affirmait que l’augmentation du nombre de baby-boomers américains était en partie responsable de la création de nouveaux ménages et de la pression exercée sur la demande de logements, remettant en cause la théorie selon laquelle une population vieillissante aurait besoin de moins de logements. 

 

Les baby-boomers vieillissent — et le font sur place

Au Canada, la motivation pour garder la maison peut être différente de celle des générations précédentes, suggère le rapport immobilier d’Engel & Volkers dans l’article du National Post : «La faiblesse record de l’offre immobilière au Canada est aggravée par une nouvelle tendance : les baby-boomers qui ne veulent pas quitter leur maison». L’article poursuit en indiquant que, traditionnellement, les personnes âgées avaient l’habitude de vendre leur maison familiale et de réduire la taille de leur logement ou d’emménager dans une maison de retraite. À présent, les boomers tranchent avec la tradition et vieillissent sur place.

Le mot «traditionnel» pose problème, observe Daren King, économiste à Banque Nationale du Canada — Marchés financiers. «Nous leur reprochons [aux baby-boomers] de rester chez eux. Mais c’est le cas de toutes les générations, les gens restent le plus longtemps possible dans leur maison.» En outre, «traditionnellement», il y a seulement deux générations, de nombreuses personnes âgées restaient dans la même maison toute leur vie et y demeuraient jusqu’à leur mort, alors que leur enfant le plus âgé emménageait avec elles.

L’argument ne tient pas compte du fait que les personnes âgées sont souvent encouragées par des programmes gouvernementaux à rester chez elles le plus longtemps possible. Par exemple, «si vous êtes une personne âgée en Colombie-Britannique, vous pouvez reporter les taxes d’habitation et ne les faire payer qu’à votre décès dans votre succession», explique Steve Saretsky, agent immobilier et blogueur à Vancouver. Au Québec, les personnes âgées bénéficient d’innombrables allègements fiscaux pour les dépenses d’entretien de la maison, et les services médicaux à domicile visent spécifiquement à les maintenir dans leur maison le plus longtemps possible.

La principale différence est qu’«auparavant, les gens mouraient dans leur maison à 65 ans, maintenant c’est à 95 ans», souligne John Pasalis, président de Realosophy Realty.

 

Les baby-boomers achètent-ils toutes les maisons ? Pas vraiment.

Selon le rapport de Barclays, la raison pour laquelle les choses vont si mal est exactement l’inverse: la génération des baby-boomers ne peut pas rester en place et, par conséquent, les baby-boomers s’emparent de la majorité des maisons, ce qui représente la majeure partie de la formation des ménages. Les auteurs reconnaissent la pénurie de biens immobiliers et le blocage des hypothèques, mais ils écrivent : «Bien que ces facteurs exacerbent la situation, nous pensons que le moteur le plus fondamental est l’augmentation de la demande de logements due au vieillissement de la population. (…) À mesure que le chef de famille vieillit, la taille du ménage (en termes de personnes) tend à devenir de plus en plus petite, les enfants quittant le foyer et les couples se séparant à la suite d’un divorce ou d’un décès.»

Selon Brian Bernard, directeur de la recherche sur les titres industriels chez Morningstar, il manquera aux États-Unis de trois à cinq millions d’unités de logement à la fin de 2022, et au Canada 1,8 million, selon Jean-Pierre Perrault, économiste en chef à la Banque Nationale du Canada.

Par ailleurs, si la thèse de Barclays peut s’appliquer aux États-Unis, il n’en va pas de même pour le Canada. «D’après mon expérience, les personnes âgées de plus de 65 ans n’achètent pas beaucoup», explique Steve Saretsky. Hormis les cas de divorce, la plupart des personnes qui quittent un logement n’ajoutent pas un ménage, souligne John Pasalis, elles passent seulement d’un logement à un autre, libérant ainsi un logement précédent pour la vente. Il s’agit d’une opération à somme nulle.

 

Les problèmes additionnels de l’immigration, du manque de construction et du zonage

«Je pense qu’il y a beaucoup de choses à blâmer, mais je ne rendrais pas les baby-boomers responsables en particulier», déclare Steve Saretsky. «C’est un peu exagéré de dire que c’est la faute des baby-boomers», renchérit John Pasalis. En effet, de nombreux autres «coupables» sont à blâmer.

«La construction ne suit tout simplement pas», rappelle Daren King, de la Banque Nationale. La banque estimait la pénurie à environ 1,8 million d’unités il y a deux ans, mais la Société canadienne d’hypothèques et de logement l’évalue actuellement à 3,52 millions d’unités.

Alors qu’il y a si peu de logements, le gouvernement canadien autorise des niveaux élevés d’immigration. «Le mois dernier, le Canada comptait 100 000 personnes de plus, dont 95% grâce à l’immigration, note Daren King. C’est l’équivalent de l’immigration en France pour une année, et cela a ajouté un million de personnes à la population du Canada l’année dernière. La croissance démographique est tout simplement trop forte pour la disponibilité de logements.»

Darren King souligne également la très faible productivité du secteur de la construction de logements, où l’automatisation et l’offre de maisons préfabriquées font défaut.

Par ailleurs, il existe de nombreux obstacles réglementaires à la construction de logements, notent John Pasalis et Steve Saretsky. Par exemple, «dans 66% de la zone géographique de Toronto, on ne peut construire que des maisons jumelées ou individuelles», souligne le premier. Le second reconnaît que cette situation est en partie imputable aux baby-boomers. «Ils ont certainement été plus volubiles pour s’opposer au développement et le bloquer», dit-il, mais il ne s’agit là que d’une partie d’un problème beaucoup plus vaste.

 

La recette du désastre dans l’immobilier canadien

Steve Saretsky énumère d’autres éléments : «La bureaucratie, une immigration excessive qui n’est pas viable, des banques centrales qui ont maintenu des taux d’intérêt proches de zéro pendant des années et un système bancaire qui a permis aux gens d’emprunter sept fois leurs revenus pour acheter une maison, cela a conduit à une frénésie d’emprunts…»

Rejeter la faute sur les baby-boomers relève plus d’une recherche d’un bouc émissaire que de l’analyse rationnelle. «Je pense que les personnes âgées travaillent simplement dans les limites du système dans lequel elles se trouvent», conclut Steve Saretsky.

 

Un texte de Yan Barcelo pour Morningstar

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