Famille recomposée : le casse-tête financier


Édition de Mai 2015

Famille recomposée : le casse-tête financier


Édition de Mai 2015

Si l'argent est un sujet de discorde dans bien des familles, imaginez ce qui se passe dans les familles recomposées. Entre mes enfants, les tiens et les nôtres, qui paiera quoi, comment, et pour qui ? Incursion dans le portefeuille complexe de ces tribus de plus en plus nombreuses.

Un conjoint, cinq enfants, deux ex, un emploi, un blogue... entre les dizaines de brassées de lavage par semaine et les recettes qu'elle triple pour nourrir sa horde, le quotidien d'Anne B-Godbout est tout sauf ennuyeux.

«C'est le bordel !» dit la jeune femme de 25 ans, qui décrit avec humour et dérision la réalité de sa famille recomposée de sept personnes qui dorment sous le même toit et qui fait l'objet d'un blogue sur le site Les Affaires.

La jeune mère a deux enfants de deux pères différents, et son conjoint, Hugo, a trois enfants nés d'une union précédente. Ce dernier a la garde exclusive de ses deux filles de 17 et 19 ans et de son fils de 15 ans. Anne a la garde exclusive de son fils de six ans, et la garde partagée de sa fille de quatre ans et demi avec le papa.

Confus ? Même la principale intéressée a parfois du mal à suivre ! «Ça nous a pris une bonne année avant de nous organiser et d'instaurer une forme de planification budgétaire... Encore là, ce n'est pas tout à fait au point !» avoue la jeune maman, qui a emménagé avec son conjoint actuel il y a deux ans et demi.

Les familles recomposées font face à des défis particuliers en matière de gestion des finances personnelles. En effet, chaque conjoint n'arrive pas qu'avec sa valise et sa marmaille, mais aussi avec un historique financier parfois déjà bien garni. Ex-conjoints, ex-hypothèques, ex-dettes communes, ex-prêts-auto...

«Les familles recomposées sont confrontées aux mêmes défis que les familles traditionnelles, mais de manière amplifiée. Ce n'est pas facile de parler de problèmes d'argent quand ceux-ci sont liés à la première relation», constate Guylaine Fauteux, directrice de l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) Lanaudière.

Son conseil : il vaut mieux régler d'abord sa séparation ou son divorce en bonne et due forme avant de cohabiter avec un nouveau ou une nouvelle conjointe. «Si on ne sait pas encore qui aura la garde des enfants ou encore si on recevra une pension, c'est plus difficile d'ajuster le budget.»

Pour répondre à cette nouvelle réalité, les ACEF de Lanaudière et de la Rive-Sud de Québec ont publié il y a deux ans le fascicule À vos amours, à vos affaires, dont une version complète a été adaptée pour les familles recomposées.

Des familles nombreuses

Qu'elles soient simples (un seul des deux conjoints a des enfants), complexes (les deux conjoints ont des enfants nés d'une union précédente), ou fécondes (le couple a un nouvel enfant ensemble), les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses au Québec.

Lors du dernier recensement de 2011, on comptait 132 555 familles recomposées (79 375 simples et 53 180 complexes) au Québec, ce qui représentait 16,1 % des couples avec enfants et 10,4 % de l'ensemble des familles québécoises, selon l'Institut de la Statistique du Québec (ISQ). Ce chiffre pourrait cependant être bien plus élevé qu'il n'y paraît, souligne Guylaine Fauteux.

«Comme le Québec est le champion de l'union libre, les familles se composent, se défont, se recomposent et se redéfont à un rythme plus fréquent», dit-elle.

Le Québec affiche d'ailleurs le taux le plus élevé de familles recomposées au Canada, où la moyenne est de 12,6 %. C'est aussi au Québec qu'on note le plus de diversité dans le type de familles et dans la gestion de leurs finances.

«La plupart d'entre elles se comportent comme un couple sans enfant, séparent les revenus et partagent les dépenses moitié-moitié ou au prorata du salaire de chacun, mais dès qu'un enfant arrive, elles ont tendance à faire comme les familles biparentales intactes, et à mettre plus de choses en commun», constate Hélène Belleau, professeure-chercheuse à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Ainsi, chaque conjoint perçoit son revenu, mais partage les dépenses communes comme la nourriture, le loyer et l'électricité à 50-50 ou au prorata de son revenu. Cette dernière méthode est particulièrement prisée des couples qui ont des revenus très inégaux.

Puis, dans 75 % des cas, note Hélène Belleau, chaque parent paie pour les dépenses liées à son enfant comme les vêtements, les médicaments, les frais de garde, les effets scolaires...

C'est le modèle qu'ont adopté Anne B-Godbout et son conjoint. «Comme nos situations sont très différentes, notre budget est difficile à mettre en commun», dit-elle. Son conjoint a la garde exclusive de ses trois enfants. Quant à Anne, elle reçoit une petite pension du père de son fils, et elle partage moitié-moitié les dépenses de sa fille avec le père.

Le salaire d'Hugo, qui travaille en informatique, représente pratiquement le double de celui d'Anne, qui oeuvre dans le secteur communautaire. «Mais en même temps, ses enfants sont plus vieux, donc coûtent plus cher», explique Anne. Les conjoints ont donc convenu qu'Hugo assumerait 60 % des coûts du loyer, de l'électricité, de l'auto hybride et des polices d'assurance, alors qu'Anne en paierait 40 %.

«Pour tout le reste, nous calculons les dépenses au prorata !» dit-elle en riant. Nul besoin de préciser que les trois ados d'Hugo mangent comme dix ! Les dépenses de nourriture sont donc divisées en conséquence. Dans cette famille, la facture d'épicerie s'élève facilement à 250 dollars par semaine. «Je cuisine des grandes batches le dimanche, et deux jours après, il n'en reste plus !» déplore la blogueuse.

Heureusement, la famille est végétarienne, souligne la jeune mère, ce qui lui permet d'économiser plusieurs dizaines de dollars par semaine sur l'achat de viande.

Chaque membre du couple a un compte personnel. Ils ont un compte conjoint, dans lequel ils versent automatiquement un montant à chaque paie pour couvrir les dépenses communes comme le loyer et l'électricité. Ils partagent la même carte de crédit pour leurs achats, et quand ils reçoivent leur relevé, le solde est divisé en deux pour les achats communs, et chacun paie ses achats personnels.

«Si j'ai un mois difficile, il compense, et de mon côté, comme le cellulaire de son fils est sur mon compte, je me rattrape sur autre chose», dit Anne. Excel et Google Doc sont devenus leurs meilleurs amis, et les deux chefs de famille s'assoient régulièrement pour faire le point.

Trop compliqué

Geneviève Lévesque et son conjoint, Éric Vachon, ont voulu s'éloigner le plus possible de cette lourdeur administrative en mettant au maximum tout en commun. «Ça devient épuisant de tout calculer», tranche Geneviève, qui tient sur les genoux la petite Madeleine, huit mois, la dernière de cette famille de quatre enfants.

«Au début de notre relation, on séparait les dépenses au prorata de nos revenus, mais on s'est vite rendu compte que plus la famille grandissait, plus ça devenait lourd et ça nous privait de notre temps en famille», dit-elle.

Le couple, qui vit ensemble depuis 11 ans, a eu trois filles, et avait au début la garde exclusive, puis la garde partagée de la fille d'Éric, qui a aujourd'hui 18 ans. Geneviève n'a jamais hésité à payer certaines dépenses pour elle. «Comme nos deux revenus sont équivalents, ça "annule" la pension alimentaire d'Éric, alors, même si je n'avais jamais voulu payer pour sa fille, j'aurais comblé ailleurs pour la différence. Ça devient des décisions familiales.» Elle cotise même pour la fille de son conjoint à un Régime enregistré d'épargnes-études (REEE), mais dans une proportion moindre que pour ses trois filles puisque la maman de l'aînée assumera aussi une partie des dépenses.

Il faut dire que le couple peut compter sur de bons revenus et que leur situation est quelque peu différente, puisque la majorité des enfants sont issus de la nouvelle union. «Ce n'est pas non plus comme si nous avions beaucoup de surplus pour des dépenses chacun de notre côté, dit Eric. La plupart d'entre elles sont des dépenses familiales. Nous avons choisi de placer la famille au centre de nos priorités.»

Dans la plupart des familles recomposées, le fait que le couple ait un enfant change la donne. «Souvent, l'arrivée d'un nouvel enfant vient souder ces familles, qui sont plus instables et plus fragiles les premières années», note Sylvie Lévesque, présidente de la Fédération québécoise des familles monoparentales et recomposées du Québec.

Un enfant en commun 

C'est aussi une question de valeurs par rapport à l'argent, soutiennent Caroline Roy et son conjoint, Carl Rioux. Ce dernier, directeur du développement des affaires dans une entreprise de technologie, n'a jamais hésité à sortir son portefeuille pour les deux filles de Caroline, nées d'un mariage précédent, et qui ont aujourd'hui 17 et 19 ans. Carl n'avait pas d'enfant lorsqu'il a rencontré Caroline.

Ensemble depuis 11 ans, les conjoints ont eu un fils, qui a aujourd'hui sept ans. «Quand j'étais plus serrée pour les filles, Carl me donnait un coup de pouce. Dans notre philosophie, nous sommes une seule et même famille», dit Caroline, qui travaille à son compte comme consultante en stratégie client. En échange, quand ce dernier s'est retrouvé six mois sans emploi, c'est Caroline qui a pris le relais.

Ce couple fait cependant figure d'exception. Une minorité de familles recomposées mettent ainsi leurs revenus en commun.

Pénalité fiscale

Et c'est sur la base du revenu familial que le gouvernement calcule les divers crédits d'impôt et certains tarifs, comme celui des frais de garde.

Les familles recomposées sont ainsi souvent pénalisées, note Guylaine Fauteux. Lorsque les nouveaux conjoints vivent ensemble depuis au moins un an, ils doivent se déclarer conjoints de fait, et leurs revenus sont alors considérés dans le calcul des impôts et des différentes mesures touchant les familles.

«Le gouvernement assume que les conjoints fourniront pour les enfants qui ne sont pas les leurs, alors que dans les faits, ça ne se passe pas comme ça», constate Hélène Belleau.

Les frais de garde sont un bon exemple. La nouvelle mesure qui consiste à moduler les tarifs en fonction du revenu familial pénalise particulièrement les femmes, qui gagnent encore le plus souvent un revenu moindre que leur nouveau conjoint et qui obtiennent encore le plus souvent la garde exclusive de leurs enfants.

«En emménageant avec mon nouveau conjoint, je perdais 800 dollars par mois», résume Anne B-Godbout. Comme elle devait ajouter le revenu de son conjoint au sien, le montant de ses allocations pour famille monoparentale et les différents crédits d'impôt pour enfants à charge ont fondu, tout comme le crédit d'impôt pour la TVQ et TPS, qui, lui, a complètement disparu.

«Et saviez-vous qu'à 18 ans, un enfant ne mange plus ?» dit-elle à la blague, faisant allusion aux filles de son conjoint qui, à 18 et 19 ans, ne sont plus considérées comme enfants à charge.

La Fédération des familles monoparentales et recomposées du Québec milite depuis quelques années pour que le gouvernement donne un sursis aux familles recomposées en début de relation, le temps qu'elles s'adaptent. D'autant plus que ces familles sont instables pendant les cinq premières années. «Tout part de là, ajoute Sylvie Lévesque. C'est la fiscalité qui détermine ensuite la manière dont les familles recomposées organiseront leurs finances.»

Cette situation n'a pas que des désavantages cependant. En vivant sous le même toit, les conjoints peuvent partager des dépenses, fractionner leur revenu ou allouer certains crédits d'impôt à l'un ou à l'autre des conjoints, en fonction de ce qui est le plus avantageux.

À moins d'avoir des revenus très élevés, dans le contexte actuel, emménager avec un nouveau conjoint signifie souvent une baisse du niveau de vie, selon Guylaine Fauteux, de l'ACEF. Car qui dit grande famille, dit aussi plus grande maison, plus grande auto, deuxième salle de bain... Là-dessus, les familles reconstituées apprennent à faire des concessions.

Chez les Vachon-Lévesque, on roule dans une Passat familiale 2003 qui affiche 277 000 km au compteur ! Anne B-Godbout court les friperies pour ses plus jeunes, et Caroline et Carl ont un style de vie axé sur la famille et les plaisirs simples. «Nous haïssons tous les deux le magasinage !» disent-ils. 

Pour Caroline Roy, tout est question de dosage. Les conjoints n'échangent pas de cadeaux de Noël ou d'anniversaire, voyagent peu et mangent très rarement au restaurant, puisqu'ils ont souvent à le faire dans le cadre de leur emploi. Par contre, quand le moment est venu de changer la deuxième voiture, le couple a jeté son dévolu sur une Fiat décapotable, un rêve que caressait Caroline.

Le secret de la réussite d'une famille recomposée est la communication, constate Denise Archambault, notaire. Celle-ci voit défiler dans son bureau bon nombre de conjoints et d'ex-conjoints qui n'ont pas réglé leur première union et qui s'embarquent dans une nouvelle relation. Erreur.

On ne peut arrêter un coeur de battre, mais on peut retarder le moment de s'installer ensemble pour de bon, le temps que les situations avec les ex-conjoints se règlent, «quitte à ce que l'un des deux conjoints emménage chez l'autre en lui versant un loyer», suggère Denise Archambault.

«Ces couples sont plus à risque d'une nouvelle rupture dans les premières années, note Sylvie Lévesque. Il faut compter souvent entre cinq et sept ans avant de pouvoir conclure à une certaine stabilité», dit-elle.

C'est aussi après un certain nombre d'années que la retraite, jusque-là gérée séparément la plupart du temps, sera considérée dans le couple de manière plus globale. Geneviève et Éric commencent à y penser plus sérieusement. Pour le moment, seul Geneviève cotise à un REER car Éric peut compter sur un fonds de pension de son employeur, mais cela ne sera pas suffisant, disent-ils. Chacun est bénéficiaire des placements de l'autre en cas de décès.

Même chose pour Caroline et Carl, qui cotisent chacun de leur côté à un REER.

Quant à Anne, la retraite est encore bien loin de ses préoccupations quotidiennes. «Je dois payer mes dettes avant», souligne la jeune femme, qui compte aussi reprendre les études universitaires qu'elle a interrompues à la naissance de son premier enfant, à 18 ans.

Son conjoint, de 21 ans son aîné, lui, y pense. Le fonds de pension a d'ailleurs été pour lui un critère important lorsqu'il a postulé pour son emploi actuel. Souvent, les couples qui forment des familles recomposées ne sont pas mariés, ils doivent donc conclure un contrat de vie commune pour s'assurer d'une répartition équitable du patrimoine familial advenant une séparation, mais rares sont ceux qui le prévoient, croyant à tort qu'ils ont les mêmes droits que les couples mariés.

«On n'est pas forts sur les papiers au Québec !» constate Sylvie Lévesque. Contrats de vie commune, testaments, mandats en cas d'inaptitude, ces documents sont encore plus importants lorsqu'on est en famille recomposée. Si des documents ont déjà été signés, il faut les revoir pour tenir compte de la nouvelle situation. Sinon, le ou la nouvelle conjointe pourrait se retrouver sans rien et devoir tout de même continuer à prendre soin des enfants en cas de décès du conjoint...

«On pourrait se retrouver dans une situation où l'un des conjoints survivants devient copropriétaire de la maison avec les enfants du défunt, ce qui n'est pas une position très agréable quand ils sont jeunes, car le parent biologique devient leur tuteur légal», explique Denise Archambault.

La veuve conjointe, de son côté, n'aura pas nécessairement les moyens de racheter la part du défunt. Beau casse-tête en perspective ! Il vaut mieux se protéger pour éviter de se décomposer...

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