Paul Tellier: Ottawa pourrait exiger davantage pour soutenir Bombardier

Publié le 03/11/2015 à 11:37

Paul Tellier: Ottawa pourrait exiger davantage pour soutenir Bombardier

Publié le 03/11/2015 à 11:37

Par Matthieu Charest

Paul Tellier, ex-pdg de Bombardier

Paul Tellier a été pdg de Bombardier(Tor., BBD.B) de 2003 à 2004, juste avant que le géant de l’aérospatial québécois ne lance le développement du C Series. Les Affaires s’est entretenu avec lui au sujet du programme et du financement qui lui a accordé Québec la semaine dernière.

Les Affaires - M. Tellier, Bombardier a-t-elle bien fait d’aller de l’avant avec le CSeries? Aujourd’hui, en 2015, qu’en pensez-vous?

Paul Tellier - Je n’ai jamais douté que Bombardier pouvait bâtir un appareil de cette grosseur-là et que cet appareil-là performerait. «The record speaks for itself». Bombardier a beaucoup de compétences techniques et ses avions ont été des succès. Que ce soit le regional jet, le Q400 - un franc succès - et le Global Express, qui est encore aujourd’hui, je pense bien, ce qu’il y a de mieux au monde. […]

Ce que j’ai toujours craint, c’est que [Boeing et Airbus] n’acceptent pas que Bombardier joue dans leurs plates-bandes. Et ces craintes-là se sont réalisées. Boeing, avec son 737, a un avion très performant et ils ont joué avec la grosseur; ils le diminuent ou ils l’augmentent, ils changent les moteurs et ainsi de suite… Airbus, c’est là même chose. Eux, ils ont le 320, qu’ils ont augmenté à 321 ou descendu à 319. Quand on regarde le succès d’Embraer ou le succès de Bombardier, c’est qu’ils se sont tenus en dessous de ça.

Les Affaires publiera ce jeudi une édition spéciale sur Bombardier, qui comprend plusieurs analyses, chroniques et articles de fond.

Je suis confiant que le CSeries va être un succès sur le plan technique. Maintenant, c’est un défi en ce qui concerne la mise en marché. Ce sera donc un avion intéressant, mais qui risque d’être extrêmement difficile à mettre en marché. Parce que les gros opérateurs, les grosses flottes, ont déjà beaucoup d’investissements avec les deux gros fabricants [Airbus et Boeing]. Vous pourriez me dire il existe déjà des opérateurs comme Lufthansa [qui opère des produits Bombardier], mais ça ne fait rien.

Cela dit, je leur souhaite de tout cœur un franc succès au niveau technique et au niveau des ventes.

L.A. - Êtes-vous optimiste à l'égard des ventes?

P.T. - C’est un défi.

L.A. - Quant à l’intervention de Québec, qui a pris une participation de 1,3 G$CA dans le C Series, est-ce une bonne nouvelle? Et est-ce suffisant?

P.T. - Je pense que c’est une excellente nouvelle. […] C’est évident que cet avion-là coûte cher et qu’il exerce une pression sur la santé financière de Bombardier. Ce 1,3 G$ va leur être extrêmement utile.

L.A. - Vous connaissez très bien l’appareil [gouvernemental] fédéral. Pensez-vous que le nouveau gouvernement libéral n’aura pas le choix d’investir dans Bombardier, à l’instar de Québec?

P.T. - Je ne sais pas. La situation est différente, parce que Québec protège des dizaines de milliers d’emplois très bien rémunérés dans la région métropolitaine. La dimension est plus «Québec» qu’«Ottawa». Est-ce que le gouvernement canadien, qui a déjà prêté à Bombardier au fil des ans, va vouloir le refaire? Je ne sais pas. Et s’il décide de le faire, va-t-il le faire de la même façon? Ça, c’est une question très importante.

L.A. - Justement, que pensez-vous de la méthode employée par le gouvernement du Québec pour aider Bombardier?

P.T. - La transaction semble être bien structurée. Je ne commenterai pas plus là-dessus. [Quant au] gouvernement canadien, il pourrait sûrement exiger davantage. Vous savez, pour être très direct, je siège sur des conseils d’administration depuis 30 ans. Habituellement, quand une société est en difficulté et que les choses ne s’améliorent pas, un, on fait sauter le pdg; deux, si ça ne change pas, on fait sauter le «chairman»; et trois, très souvent, si ça ne s’améliore pas, les investisseurs institutionnels exigent des changements au sein même du conseil d’administration.

Est-ce que Québec pouvait négocier différemment? Je ne sais pas. […] Je pense que le risque du fédéral est moins grand, car c’est moins dans leur cour, ils ont une responsabilité à l’échelle nationale. Est-ce qu’ils négocieraient différemment? Ça reste à voir.

L.A. - Le contrôle de la famille Beaudoin sur Bombardier, c’est un enjeu qui a été soulevé à maintes reprises. Est-ce qu’il faut changer la gouvernance de l’entreprise?

P.T. - Mettez-vous à la place d’un investisseur. […] Ces sociétés-là examinent les résultats et les mesures qui sont prises ou qui devraient être prises pour améliorer la situation […] Je ne veux pas aller plus loin que ça.

Je pense que certains changements peuvent augmenter considérablement la confiance des investisseurs. […] C’est peut-être pour ça que le gouvernement canadien voudra jouer cette carte-là.

L.A. - Que pensez-vous de M. Bellemare comme pdg?

P.T. - Alain a une très bonne expérience, une bonne feuille de route et il connaît l’industrie. […] C’est un excellent choix. La question c’est de savoir dans quelle mesure il va avoir la latitude [nécessaire] pour [réaliser] un changement important. […] Je pense que si on lui donne toute la latitude dont il a besoin, Alain devrait réussir.

Si vous retournez en arrière, il y a eu des gens très compétents chez Bombardier, et puis qui ont sauté. Raymond Royer - j’ai beaucoup de respect pour Raymond - a fait beaucoup chez Bombardier. […] Et je sais pour lui avoir succédé que Bob Brown [Robert E. Brown] avait fait un excellent travail. Les erreurs qui ont été [commises] durant le séjour de Bob, ce n’était pas dans le secteur dont il avait la responsabilité.

L.A. - Pensez-vous que M. Bellemare va jouir de la latitude dont il a besoin?

P.T. - Comme on dit en latin : time will tell! (Rires)

L.A. - C’est un peu le jour de la marmotte, la situation actuelle ressemble beaucoup à votre situation en 2003?

P.T. - Oui. Et je dois dire que quand j’étais là, j’ai eu de la latitude. Mais à un moment donné on trouvait ça très difficile: il ne pouvait pas y avoir deux conducteurs de l’autobus. Donc il y en a un qui a dû partir.

[Aujourd’hui], c’est de savoir dans quelle mesure cet appui-là va se perpétuer aussi longtemps que c’est nécessaire.

CV

Paul Tellier a été greffier du Conseil privé sous Mulroney, entre 1985 et 1992. Entre 1992 et 2002, il est pdg du CN. Après son passage à la tête de Bombardier, de 2003 à 2004, il siège sur plusieurs conseils d’administration. À ce jour, il est notamment membre du CA de Rio Tinto et de Global Terminals.

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