Les grands gagnants d’hier sont très rarement ceux de demain


Édition du 12 Août 2017

Les grands gagnants d’hier sont très rarement ceux de demain


Édition du 12 Août 2017

[Photo: 123rf]

Que ce soit dans le sport ou en Bourse, il est extrêmement rare que les champions réitèrent leurs exploits année après année et réalisent une performance exceptionnelle sur une longue période. Les Michael Phelps ou Amazon de ce monde finissent un jour ou l'autre par se faire distancer, perdre leur énergie des premières années ou s'écarter de leur stratégie initiale. Une évidence, répondrez-vous. Pourtant, trop d'investisseurs commettent l'erreur de privilégier les gagnants récents, croyant qu'ils continueront sur leur lancée.

Le classement des champions mondiaux de la création de richesse du Boston Consulting Group (BCG) illustre de multiples façons qu'une approche misant sur les vedettes du moment est rarement payante à long terme.

Le cabinet de consultation présente chaque année depuis 1999 son palmarès des entreprises qui en donnent le plus pour leur argent aux actionnaires. Le classement reflète ainsi le rendement total, soit l'appréciation du titre, le rendement du dividende et d'une multitude d'autres facteurs comme la croissance des revenus et le ratio cours-bénéfice des cinq années les plus récentes de 2 350 sociétés inscrites en Bourse. Certains filtres sont appliqués, dont un de taille, afin d'éliminer les plus petites des 32 entreprises retenues. De cette manière, on évite les distorsions.

J'ai passé en revue le classement de 2017 ainsi que ceux des cinq années précédentes. Il saute rapidement aux yeux que seulement une poignée d'entreprises se maintiennent dans le peloton de tête de leur industrie sur une longue période.

Parmi les rares sociétés canadiennes à figurer au palmarès, Alimentation Couche-Tard (ATD.B, 59,01 $) se démarque puisqu'elle se trouve dans le top 10 du commerce de détail pour une troisième année consécutive. Rappelons que le classement de 2017 reflète la performance de 2012 à 2016, que le palmarès de 2016 couvrait les années 2011 à 2015, et ainsi de suite.

La prestation de TFI International (TFII, 29,49 $) est aussi digne de mention : la société montréalaise de transport par camion, autrefois connue sous le nom de TransForce, a fait partie du palmarès à chacun de ces blocs de cinq ans depuis 2013, à l'exception de 2015.

La seule autre société canadienne à se hisser dans l'élite du rendement sur plusieurs années est le fabricant de pièces automobiles Linamar (LNR, 68,64 $). L'entreprise ontarienne s'est taillé une place au sommet de son industrie pour une quatrième fois d'affilée en 2017.

Ce qui fait trébucher les champions

On tire des enseignements de grande valeur en se penchant sur les classements des années passées. Des entreprises canadiennes qui figuraient parmi les championnes de leur industrie à l'époque sont aujourd'hui absentes du classement, pour différentes raisons. C'est le cas de BCE (BCE, 59,08 $) et du Canadien National (CNR, 100,37 $), présents en 2012. Cela ne veut pas dire que ces entreprises ont cessé de procurer un rendement décent, mais il leur est difficile de rester parmi les meilleures à cause de leur taille (comme BCE), de la faible croissance de leur industrie ou d'un recul cyclique de l'économie, comme ç'a été le cas pour le CN à cause de la dégringolade du prix des matières premières.

Le classement nous montre aussi que certaines championnes connaissent des accidents de parcours parce qu'elles ont dévié de leur stratégie initiale. Le cas de Valeant (VRX, 19,15 $), présente dans le palmarès pharmaceutique de 2012 à 2016, est un exemple édifiant.

Si on élargit le spectre à l'ensemble des entreprises de la planète, seulement 9 sociétés parmi les 200 plus importantes du monde ont réussi à se classer dans le premier quartile des créateurs de richesse dans au moins trois des quatre périodes de cinq ans, entre 1996 et 2016. Sept d'entre elles sont américaines.

On retrouve les pharmaceutiques Celgene et Gilead Sciences, l'éditeur de logiciels Adobe Systems, les cigarettiers Altria Group et Reynolds American, le fournisseur d'assurance maladie et de soins de santé UnitedHealth Group et Amazon (AMZN, XXX). La société de Jeff Bezos est la championne ultime sur une période de 20 ans, avec un rendement annuel totalisant 33 %. À noter qu'elle ne verse pas de dividendes.

Amazon a le vent dans les voiles et paraît invincible aux yeux de nombreux observateurs. Profitant de la générosité des investisseurs, elle déploie son capital dans une multitude de secteurs. La prime élevée qu'elle a accepté de verser aux actionnaires de la chaîne bio Whole Foods Market en est une preuve éloquente.

Maintenant que le géant du commerce en ligne a détruit de nombreuses rivales, qu'il se lance dans les magasins physiques et qu'il vole de succès en succès dans l'infonuagique, il est tentant de parier qu'Amazon enrichira ses actionnaires pendant encore longtemps. De nombreux analystes voient le titre doubler encore d'ici quelques années.

Peut-être que la domination du poids lourd de 488 G $ US va s'amplifier dans les prochaines années. En Bourse, pourtant, l'histoire risque de changer, ne serait-ce qu'au chapitre de l'évaluation que lui accordent les investisseurs.

Le problème de l'évaluation se présente aussi dans le cas de Dollarama. Si l'augmentation du ratio cours-bénéfice a en partie gonflé le rendement total de son titre ces dernières années, ce facteur jouera certainement moins à l'avenir. On peut en effet difficilement s'attendre à ce que le titre commande une valorisation plus généreuse que celle de 27 fois le bénéfice anticipé pour le prochain exercice. Idem pour le grand gagnant du palmarès 2017, Netflix (NFLX, 181,42 $US), dont le titre a été propulsé par une hausse de son ratio cours-bénéfice.

Même si j'insiste sur le fait que peu d'entreprises réussissent à rester parmi les as de la création de richesse sur une longue période, cela ne veut pas dire de laisser tomber vos titres gagnants.

Une entreprise dont l'industrie est en faible croissance peut enrichir ses actionnaires en redistribuant ses liquidités excédentaires sous forme de dividendes et de rachats d'actions, à l'image des cigarettiers. Évitez toutefois de tomber dans le piège d'extrapoler les succès récents des Amazon et des Netflix de ce monde et soyez à l'affût d'entreprises méconnues dont l'évaluation a le potentiel de grimper dans le temps.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin