Du lièvre à la tortue, le parcours de bien des entreprises

Publié le 04/11/2016 à 17:06, mis à jour le 05/11/2016 à 08:41

Du lièvre à la tortue, le parcours de bien des entreprises

Publié le 04/11/2016 à 17:06, mis à jour le 05/11/2016 à 08:41

Photo: 123rf.com

BLOGUE. Il est un principe mathématique qui dit que la croissance ne peut être soutenue indéfiniment à un rythme élevé. Toute belle histoire de croissance se heurte éventuellement à cette réalité incontournable. Les Microsoft, Apple et Wal-Mart qui ont connu des épisodes de forte croissance ont fini par ralentir et sont par la suite devenue des entreprises «matures». Comme mon père l’a écrit, «les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel… La Bourse est faite du même bois.»

Voilà un phénomène assez simple et reconnu par les investisseurs. Mais une société arrête-t-elle d’enrichir ses actionnaires à partir du moment où sa croissance stagne?

Je crois que de nombreux investisseurs se font prendre au jeu de l'extrapolation. Ils constatent qu'une société affiche de forts taux de croissance de leurs revenus et prévoient ni plus ni moins que cette croissance se maintiendra pendant plusieurs années. D'où les ratios d'évaluation élevés de la plupart des entreprises affichant une forte croissance.

À l'autre extrémité, il y a un grand nombre de sociétés dont la croissance est faible, inexistante ou même négative. Évidemment, ces titres s'échangent généralement à des ratios d'évaluation sensiblement plus faibles que ceux des sociétés de croissance.

À votre avis, dans quel lot l'investisseur est-il susceptible de trouver le plus d'occasions d'investissement intéressantes? Je suis persuadé que c'est parmi ces entreprises de moindre croissance. Pour au moins deux raisons.

Premièrement, comme je l'ai dit plus haut, les titres de sociétés matures se négocient souvent à des ratios d'évaluation raisonnables. Ainsi, contrairement aux titres de sociétés de forte croissance, ces sociétés sont beaucoup plus susceptibles de surprendre positivement que négativement. Il est plus facile pour une entreprise dont la croissance prévue est de 4% ou 5% de surpasser les attentes que pour celle dont la croissance prévue est de 20%.

Deuxièmement, il n'est pas toujours facile pour une entreprise de gérer efficacement une forte croissance. Ces sociétés ont souvent besoin de réinvestir massivement pour leur permettre de soutenir un taux de croissance élevé (je pense ici à une société comme Tesla), ce qui implique souvent des émissions d'actions et une rentabilité relativement faible. En revanche, la beauté d'une entreprise mature est qu'elle n'a généralement pas à investir beaucoup pour soutenir ses activités, ce qui implique souvent des flux de trésorerie excédentaires importants.

C'est à mon avis à ce niveau que les bons investissements boursiers se démarquent des investissements médiocres: l'allocation du capital. Le problème de bien des sociétés qui ont atteint la maturité est que, souvent, leurs dirigeants n'acceptent pas cette réalité.

Pour le dirigeant qui a piloté avec succès une période de forte croissance, il peut être difficile d'admettre que cette période est révolue. Cela peut mener à de mauvaises décisions en termes d'allocation de capital: ce dirigeant pourrait ainsi continuer d'investir des sommes importantes pour tenter de fouetter la croissance, en embauchant plus de vendeurs, en tentant de développer de nouveaux produits, en réalisant des acquisitions (à gros prix) d'une entreprise au fort potentiel de croissance, etc.

Par contre, le dirigeant rationnel qui accepte que la croissance de l'entreprise qu'il dirige a ralenti sensiblement peut trouver plusieurs avenues qui créeront de la valeur pour ses actionnaires.

À cette fin, des rachats d'actions sont un outil efficace de retourner du capital excédentaire aux investisseurs. Mais encore faut-il que son titre s'échange à un niveau d'évaluation raisonnable. Le versement de dividendes est une autre avenue. Ou une entreprise peut réaliser des acquisitions, mais à un prix raisonnable.

Plusieurs entreprises de chez nous ont grandement enrichi leurs actionnaires, même si elles évoluent dans des secteurs qui ne sont pas nécessairement en croissance: Groupe CGI, Alimentation Couche-Tard, Quincaillerie Richelieu, Stella-Jones, Canadien National, etc.

Tout comme la transition entre l'adolescence et l'âge adulte ne se fait pas sans heurts, celle d'une entreprise entre la croissance et la maturité n'est pas non plus une sinécure. Mais maturité ne signifie pas qu'il soit impossible de créer de la valeur pour ses actionnaires, bien au contraire. Il suffit qu'un dirigeant (ou peut-être de façon plus réaliste, le conseil d'administration) de l'entreprise qui vit cette transition le réalise pour que plusieurs nouvelles avenues de création de richesse s'offrent à lui.

Quant à moi, je continue de croire que les plus belles occasions d'investissement sont présentes parmi la pile innombrable de sociétés de croissance déchues. Jean de La Fontaine avait bien raison, mieux vaut parier sur la tortue.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.

 

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