Comment avancer sereinement en terrain inconnu?

Publié le 07/10/2016 à 06:59

Comment avancer sereinement en terrain inconnu?

Publié le 07/10/2016 à 06:59

Amy Adams joue le rôle d'une linguiste dans le film "Premier contact"... Photo: DR

C'est drôle comme on trouve parfois de précieux enseignements là où l'on s'attend le moins à en trouver! J'ai pour vous, aujourd'hui, un exemple remarquable à ce sujet...

La semaine dernière, j'ai vu par hasard la bande-annonce du prochain film à sortir en salles du réalisateur québécois Denis Villeneuve, Premier contact (Arrival, en anglais). Il s'agit d'un film de science-fiction où une douzaine de vaisseaux extraterrestres arrivent sur Terre et... ne communiquent pas avec les êtres humains. Le gouvernement américain tente d'établir le contact avec celui qui s'est posé aux États-Unis, et, pour ce faire, recourt aux services d'une linguiste chevronnée, Louise Banks, l'héroïne du film interprétée par l'actrice Amy Adams.

NOUVEAUTÉ : Inscrivez-vous au webinaire gratuit que donnera bientôt Olivier Schmouker à propos de son nouveau livre «11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement» !

Le film est présenté comme l'adaptation d'une nouvelle de l'écrivain américain Ted Chaing, L'Histoire de ta vie (Story of your life, en anglais), parue en 1998. Mais, en regardant la bande-annonce, je me suis aussitôt souvenu d'une autre nouvelle de science-fiction que j'avais lue dans mon adolescence, Essayez de vous souvenir (Try to remember, en anglais), de nul autre que Frank Herbert, connu pour sa saga Dune; une nouvelle qui date, elle, de 1961. C'est que, là aussi, une linguiste chevronnée, Francine Millar, vient en aide au gouvernement américain pour entrer en contact avec un vaisseau extraterrestre qui s'est posé en Oregon et qui, depuis, reste muet...

Bref, je me suis replongé hier soir dans la nouvelle originelle avec délectation, savourant son intense suspens psychologique et lui trouvant même des dimensions philosophiques qui m'étaient complètement passées au-dessus de la tête lors de ma première lecture – c'est clair, les bons auteurs de science-fiction ont le chic pour nous projeter d'un coup dans des pensées vertigineuses. Et c'est alors que je me suis arrêté sur un passage renversant, comme surgi de nulle part! Laissez-moi vous conter ça...

Francine Millar est en pleine discussion tendue avec des généraux américains, cherchant à leur faire comprendre qu'une langue n'est pas qu'une construction logique de mots et de paroles, comme ils en sont fermement persuadés. Elle leur explique que l'on peut tout aussi bien s'exprimer avec juste... des gestes. Mieux, par la danse, c'est-à-dire la simple ondulation de son corps, on peut très bien communiquer à autrui une multitude de messages : la séduction, la haine, la timidité, etc.; ce que, d'ailleurs, semblent bel et bien faire les extraterrestres, d'après elle. C'est qu'à la base de toute communication, il n'y a, fondamentalement, qu'une seule chose : l'émotion qui nous traverse et que nous destinons à autrui.

Profond, n'est-ce pas?

Donc, Francine Millar s'arrache les cheveux pour faire comprendre aux militaires de carrière que pour communiquer avec quelqu'un d'autre, il ne faut pas se contenter de lui aboyer des ordres, comme ils ont pris l'habitude de le faire dans l'armée; et par suite, qu'ils sont les moins bien placés pour entrer en contact avec les extraterrestres. Vous voyez d'ici la tension...

Et là, elle leur lance un missile en pleine face! Elle leur demande, je cite : «Avez-vous jamais entendu raconter la façon dont le maréchal Foch planifiait ses campagnes militaires?»

Le maréchal Foch?! Mais que diable vient-il faire là? Théoricien militaire, il a connu nombre de revers tactiques lors de ses premières expérimentations sur le terrain, au début de la guerre de 14-18 : lourdes pertes sur la ligne Sarrebourg-Morhange, retraite de la Marne, première bataille d'Ypres, etc. Tout cela le fait tomber en disgrâce, si bien que le général Joffre finit par le relever de son commandement du Groupe d'armées du Nord (Gan).

Que lui reprochait-on, au juste? Sa doctrine d'offensive à outrance, qui avait engendré de sanglants échecs à l'armée française, en particulier lors des batailles de l'Artois et de la Somme. Une doctrine résumée par sa tirade lancée lors de la bataille de la Marne : «Mon centre cède, ma droite recule. Situation excellente, j'attaque!»

Fort heureusement pour lui, la donne a changé quelques temps plus tard, les Français en ayant assez de la guerre de tranchées. Le 26 mars 1918, il est nommé commandant-en-chef du front de l'Ouest, avec le titre de généralissime puisqu'il est chargé de piloter l'ensemble des forces en présence (les Britanniques et les Américains, en plus des Français). «Je me suis dit : essayons Foch! Au moins, nous mourrons le fusil à la main! J'ai laissé cet homme sensé, plein de raison qu'était Pétain; et j'ai adopté ce fou qu'était Foch. C'est le fou qui nous a tirés de là!», avait expliqué le président du Conseil Georges Clémenceau, après la guerre.

Revenons à présent à l'interrogation de Francine Millar... Comment, donc, s'y prenait le maréchal Foch pour planifier une campagne militaire? Eh bien, voici ce qu'elle en dit :

«Il faisait la liste de tous les éléments de son problème sur une feuille de papier. Et en haut, il mettait le plus petit dénominateur commun, en l'occurrence : "Problème – battre les Allemands". Rien de plus simple, rien de plus évident. Et pourtant, ce "battre l'ennemi" a fréquemment été négligé par des commandants trop engagés dans des manoeuvres compliquées.»

Par conséquent, il avait juste besoin d'un crayon et d'une feuille de papier. Et il procédait comme suit, par étapes :

1. Liste. Il dressait la liste de tous les composants de la problématique à résoudre, lesquels étaient inévitablement nombreux car la guerre de 14-18 était la toute première guerre mondiale et moderne, celle qui ne ressemblait en rien à toutes les autres guerres.

2. Analyse. Il analysait cette liste en se posant une seule question, mot après mot : «Quel est le ou les points communs entre ce mot et le suivant?» Ce qui lui permettait d'identifier les composants pertinents (ceux qui avaient le plus petit dénominateur commun) et les composants qui n'étaient pas pertinents (ceux qui n'avaient pas le plus petit dénominateur commun), ces derniers devant être écartés de la solution à trouver.

3. Solution. Et c'est ainsi qu'il parvenait à s'extraire du flou inhérent à l'inéprouvé, à avancer sereinement en terrain inconnu. C'est qu'en identifiant le plus petit dénominateur commun du problème rencontré, il mettait au jour le noeud de la problématique, et par suite, était à même de percevoir la meilleure voie à emprunter pour la résoudre.

À la fois simple et subtil, n'est-ce pas?

Vous le voyez bien, il est tout à fait possible de recourir à l'astuce du maréchal Foch pour, à votre tour, remporter la "Première guerre mondiale", à savoir résoudre le problème complexe sur lequel vous butez depuis des semaines. Il vous faut un crayon, du papier et un peu de temps devant vous pour dresser la liste des composants de la difficulté que vous avez à surmonter au travail (ou dans votre vie privée!) et l'analyser comme il se doit. Et enfin, dire un grand merci – comme moi – à Denis Villeneuve pour avoir permis, grâce à son film Premier contact, cette belle trouvaille!

En passant, le poète français René Char a dit dans Fureur et Mystère : «Comment vivre sans inconnu devant soi?»

Découvrez mes précédents billets

Mon groupe LinkedIn

Ma page Facebook

Mon compte Twitter

 

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

Blogues similaires

L’exclusion des cadres des casinos du droit à la syndicalisation serait constitutionnelle

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec a déposé une requête en accréditation syndicale en 2009.

Les salutations de Jacques Ménard... ainsi que les miennes

Édition du 30 Juin 2018 | René Vézina

CHRONIQUE. C'est vraiment la fin d'une époque chez BMO Groupe financier, Québec... et le début d'une nouvelle. ...