«Parce que nous sommes en 2015», a répondu Justin Trudeau quand on lui a demandé pourquoi il avait nommé autant d'hommes que de femmes à son conseil des ministres.
Cette réponse toute simple a été reprise par plusieurs médias étrangers pour marquer le changement que représente Justin Trudeau par rapport à son prédécesseur, Stephen Harper, et peut-être aussi pour envoyer un message dans des capitales plus conservatrices. Cette parité est nouvelle dans le monde anglo-saxon, mais elle existe déjà en France. La Finlande a 62 % de femmes dans son conseil des ministres et la Suède en a 52 %.
Le nouveau conseil des ministres du Parlement canadien est équilibré sur les plans de l'expérience et de l'âge, et admirablement diversifié. Cela reflète notre société, qui est inclusive. On y trouve deux Autochtones (Jody Wilson-Raybould, Hunter Tootoo) et une demi-douzaine de personnes provenant de minorités culturelles, dont certaines sont nées à l'étranger, soit deux Indiens sikhs (Harjit Singh Sajjan et Amarjeet Sohi) et une réfugiée afghane musulmane (Maryam Monsef), ainsi qu'un fils et une fille d'immigrants indiens (Navdeep Bains et Bardish Chagger). Un avocat paraplégique (Kent Hehr) représentera les Anciens Combattants.
Une championne paralympique (Carla Qualtrough) s'occupera des sports et des handicapés. Une demi-douzaine de ministres ont fait du travail communautaire au Canada et à l'étranger. Deux femmes médecins occupent des postes clés : Jane Philpott à la Santé et Carolyn Bennett aux Affaires autochtones. La science, qu'avait méprisée Stephen Harper, n'a pas été oubliée.
Les provinces sont représentées selon leur importance relative. L'Ontario a onze ministres et le Québec, sept, en incluant Justin Trudeau.
Rupture de style
Les premiers jours du gouvernement Trudeau sont révélateurs de la rupture effectuée avec le style et les valeurs conservatrices du gouvernement Harper. En témoignent la cérémonie d'assermentation ouverte en partie au public, la tenue de téléconférences avec des étudiants de cinq écoles du pays, le lancement du processus d'immigration de 25 000 réfugiés syriens d'ici la fin de l'année, le retour du recensement long avec obligation d'y répondre, la priorité donnée à l'enquête sur les femmes autochtones victimes de crime et la participation du premier ministre à quatre conférences mondiales rapprochées, dont une sur l'environnement et les changements climatiques, à laquelle les provinces seront invitées.
On a convoqué les députés le 3 décembre pour une session, où sera présenté en priorité un projet de loi modifiant l'impôt des particuliers. Pas de surprise ici. On allégera l'impôt de la classe moyenne, mais on accroîtra celui des plus riches, tel que promis en campagne électorale.
La où le style de M. Trudeau tranche le plus avec celui de ses prédécesseurs, c'est par son engagement de décentraliser la gestion de l'État. C'est plus tard qu'on pourra évaluer le niveau d'autonomie des ministres sous M. Trudeau, contrairement à ceux sous M. Harper, qui se faisaient dicter leurs communications.
Même chose pour les diplomates, à qui M. Trudeau a écrit pour leur dire de «pratiquer une diplomatie énergique avec les autres diplomates, les fonctionnaires des pays hôtes, la société civile et les médias avec les moyens à [leur] disposition, tels les contacts directs et les médias sociaux». Réaction d'un diplomate : «C'est un vent de fraîcheur, un style complètement différent, un geste de confiance». Cette ouverture du nouveau gouvernement réjouit aussi les fonctionnaires et les scientifiques qui étaient muselés.
Le fait que M. Trudeau a gardé pour lui la responsabilité des affaires intergouvernementales indique aussi sa volonté d'entretenir un dialogue avec les provinces, contrairement à son prédécesseur qui les ignorait.
Engagement à l'international
Enfin, le gouvernement Trudeau renforcera la présence canadienne à l'étranger. Il se rapprochera des États-Unis, préférera les initiatives de paix à la guerre, et voudra réintégrer le conseil de sécurité de l'ONU, d'où le Canada s'est fait sortir en 2010, une humiliation pour notre pays.
Justin Trudeau marquera la vie politique canadienne sur le plan intérieur et la perception qu'on en aura de l'extérieur. Il s'exprime bien, est charismatique et est un communicateur très habile, comme on a pu le constater pendant la campagne électorale sans faille qu'il a menée.
Patrick Brazeau l'avait aussi sous-estimé quand il l'a défié à la boxe, tout comme Stephen Harper dans une sphère où il se pensait maître.
Un ex-ministre avait été impressionné par Justin Trudeau un certain 4 octobre 2000. «Je crois que la famille Trudeau n'a pas dit son dernier mot. Nous pourrions entendre parler beaucoup plus de ce jeune homme», avait alors dit Claude Ryan après avoir entendu l'éloge funèbre adressé à son père lors des funérailles de ce dernier. L'ancien directeur du Devoir avait vu juste.
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