Plus de polyvalence pour plus de productivité dans la construction


Édition du 21 Février 2024

Plus de polyvalence pour plus de productivité dans la construction


Édition du 21 Février 2024

«Le projet de loi du ministre Boulet vise à atténuer des rigidités. Tout en cherchant à atténuer certains écueils qui apparaîtront en cours d’étude du projet, gardons à l’esprit que le mieux est l’ennemi du bien.» (Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Alors que la plupart des entreprises se modernisent et visent une efficacité accrue, l’industrie de la construction du Québec subit un écart de productivité d’environ 10 % avec celle de l’Ontario.

Selon une étude de la firme d’analyse stratégique AppEco, une polyvalence accrue des salariés de l’industrie de la construction du Québec lui aurait permis de récupérer environ 21 millions d’heures en 2022 et d’augmenter la valeur de sa production à 47,31$/heure, au lieu de 45,61$. On aurait ainsi comblé le tiers de son écart de productivité avec l’Ontario, où la valeur de la production était de 50,90$/heure. Cette hausse d’efficacité aurait accru la valeur de la production de l’industrie de 975 millions de dollars.

Un tel gain aurait été grandement utile pour atténuer la pénurie actuelle de 12 000 emplois dans l’industrie et pour pourvoir les 16 000 postes de travail additionnels prévus en 2026.

Cette étude a été faite pour l’Association de la construction, qui réunit environ 20 000 entreprises du secteur. Elle comprend une enquête faite auprès de 112 entrepreneurs de différents secteurs. À une question sur les mesures qui auraient une « répercussion élevée » sur l’accroissement de la productivité sur les chantiers, 43 % des répondants ont mentionné la polyvalence des travailleurs, 35 %, la formation, et 33 %, la mobilité. De plus, les répondants jugent que ces trois mesures auraient une « répercussion modérée » respective de 20 %, 19 % et 17 %.

La productivité de l’industrie de la construction a reculé depuis 2003 en termes réels (en excluant l’effet de l’inflation), alors que la production de biens et la production de services ont enregistré des gains importants.

Indicateur révélateur de cette sous-productivité, le nombre d’heures moyennes travaillées par emploi a reculé légèrement depuis 20 ans. Cela explique que, parallèlement à la croissance cumulative de 90 % du volume produit et en dépit des investissements de capital accrus entre 1997 et 2022, le nombre de travailleurs a augmenté de 88 % pendant cette même période.

La baisse de productivité s’est surtout fait sentir dans les travaux de génie et la construction de bâtiments non résidentiels. En revanche, elle s’est accrue de façon notable ces dernières années dans la construction de tours d’habitations, alors qu’elle a baissé dans les petits projets (maisons individuelles et en rangée).

 

Moins d’innovation

Nos entreprises de construction sont moins innovantes que celles de l’Ontario. Selon une étude de Statistique Canada faite en 2019, seulement 36 % des entreprises québécoises disaient mener des activités d’innovation, alors que celles de l’Ontario en faisaient dans une proportion de 49 % (46 % dans l’ensemble du pays).

Comment expliquer cet écart alors que les entreprises du Québec investissent plus en équipement, en machinerie et en propriété intellectuelle que celles de l’ensemble des autres régions du Canada ? Cette incohérence apparente tiendrait à des facteurs intangibles, comme les entraves à la formation, à la polyvalence et à la mobilité de la main-d’œuvre ainsi qu’au processus de planification des projets et à la rigidité du cadre réglementaire. Avec raison, le projet de loi du ministre du Travail, Jean Boulet, sur la modernisation de la loi R-20 prévoit des mesures pour accélérer la négociation des conventions collectives et simplifier la gestion des relations de travail l’industrie.

 

Projet de loi

Mais c’est surtout au problème de la productivité que s’adresse la réforme du ministre, une première depuis 30 ans. Celle-ci est devenue non seulement nécessaire pour les raisons mentionnées plus haut, mais elle se révèle d’autant plus stratégique que le volume de projets de construction n’a probablement jamais été aussi élevé en proportion de la main-d’œuvre disponible.

Le Plan québécois des infrastructures (routes, établissements de santé et d’enseignement, maisons des aînés, etc.) prévoit des investissements de 150 milliards de dollars (G$) en dix ans et Hydro-Québec aura besoin de 35 000 travailleurs de la construction par année pendant dix ans. Pensons aussi aux investissements pour la filière batterie, à plusieurs autres projets industriels, au logement, au transport collectif, etc.

Le projet de loi comprend deux mesures principales : améliorer la mobilité interrégionale des travailleurs en réduisant de 1500 à 750 le nombre d’heures pour être reconnu « salarié préférentiel » dans une région donnée, et accroître la polyvalence des travailleurs sur les chantiers de construction. Il propose aussi des actions pour rendre plus flexible la formation des travailleurs (création d’une attestation d’études professionnelles), ouvrir l’industrie aux femmes, aux Autochtones, aux non-Blancs et aux personnes immigrantes. N’est-il pas invraisemblable que le Canada n’ait admis que 455 travailleurs étrangers spécialisés en construction en 2023, alors que l’industrie compte 1,6 million de postes de travail ? Qu’attend-on pour faciliter la reconnaissance des formations reçues à l’étranger ?

C’est de bonne guerre pour les syndicats de monter aux barricades pour protéger les droits acquis, mais la souplesse demandée ne videra pas les régions, n’accroîtra pas les accidents du travail et ne réduira pas la qualité du travail si les partenaires du marché du travail coopèrent dans la recherche de solutions optimales.

Il y a moyen de protéger beaucoup d’emplois dans les régions tout en offrant des conditions plus facilitantes aux entrepreneurs dans certaines circonstances et pour des besoins spécifiques. Les 25 métiers reconnus au Québec (il y en a 7 en Ontario) ne sont pas abolis, mais pourquoi ne pas permettre à des travailleurs d’accomplir des tâches connexes en dehors des métiers spécialisés qui restent protégés (électricité, tuyauterie, mécanique d’ascenseurs, réfrigération, protection incendie, opérateurs de grues) ? Pourquoi un plâtrier ne pourrait-il pas aussi faire de la peinture ? Pourquoi un couvreur ne pourrait-il pas poser une feuille de contreplaqué ?

Le projet de loi du ministre Boulet vise à atténuer des rigidités. Tout en cherchant à atténuer certains écueils qui apparaîtront en cours d’étude du projet, gardons à l’esprit que le mieux est l’ennemi du bien.

 

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J’aime 

Le projet du gouvernement du Québec de permettre à des entreprises de produire leur propre électricité et d’en revendre à une autre entreprise n’est pas une privatisation d’Hydro-Québec. Si de tels projets se réalisent, le coût pour produire cette énergie sera beaucoup plus élevé (10-11 cents le kWh) que le tarif L (5,3 cents) d’Hydro-Québec pour les grandes entreprises, ce qui veut dire que la quantité d’électricité ainsi produite restera marginale. Cette production, qui sera financée par des capitaux privés, allègerait le bilan d’Hydro-Québec, dont les besoins de financement à venir s’annoncent énormes.

 

Je n’aime pas 

Grâce à la complicité de la Russie, qui consacre une partie de son budget militaire à sa guerre contre l’Ukraine, la Chine augmente rapidement sa présence dans l’Arctique. Selon Strider Technologies, firme américaine de renseignements stratégiques, 359 sociétés chinoises (en hausse de 87 % en 18 mois) avaient, en juin 2023, un permis d’exploitation dans le territoire russe de l’Arctique, qui recèle d’importantes ressources et où plusieurs brise-glace s’activent pour entretenir une nouvelle voie de transport maritime. La Russie y renforce sa présence militaire, ce qui inquiète grandement les pays scandinaves qui, comme le Canada, ont une frontière avec le pays de Vladimir Poutine. Curieusement, les autorités canadiennes ne semblent pas s’inquiéter outre mesure de cette situation.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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