Préparez-vous au protectionnisme américain

Publié le 14/05/2016 à 06:39

Préparez-vous au protectionnisme américain

Publié le 14/05/2016 à 06:39

ANALYSE DU RISQUE - Peu importe qui remportera la course à la Maison Blanche en novembre, il y a une forte probabilité que les États-Unis soient un pays plus protectionniste, affirment plusieurs analystes. Une situation qui risque d'affecter les investisseurs canadiens aux États-Unis.

«Que ce soit Donald Trump ou Hillary Clinton, il y aura plus de protectionnisme, car la population américaine est de moins en moins favorable au libre-échange», souligne Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale.

Par exemple, Donald Trump (qui sera selon toute vraisemblance le candidat républicain lors de la campagne présidentielle cet automne) propose d'imposer des tarifs douaniers sur les importations chinoises.

De leur côté, les deux candidats à l'investiture démocrate, Hillary Clinton (qui sera selon toute vraisemblance la candidate démocrate pour la présidentielle) et Bernie Sanders, sont contre le Partenariat Transpacifique (PTP), un accord de libre-échange.

«Le libre-échange n'est pas promu aux États-Unis, bien au contraire», déplore Raymond Chrétien, associé et conseiller stratégique chez Fasken Martineau et ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis.

L'ancien diplomate s'inquiète du fait que les lobbys d'affaires aux États-Unis ne montent pas aux barricades pour défendre la libéralisation des échanges.

Le protectionnisme est bien ancré dans le discours public

Bien entendu, durant les primaires et les caucus à l'investiture républicaine et démocrate, les candidats adoptent souvent des positions jugées plus extrémistes - à gauche comme à droite - afin de gagner l'appui des électeurs.

Par exemple, en 2008, lors la course à l'investiture démocrate, Barack Obama s'était engagé à renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Or, il ne l'a pas fait une fois devenu président.

La présente course à la Maison Blanche est toutefois différente des précédentes, fait remarquer John Parisella, fellow au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM) et ancien délégué général du Québec New York.

Selon lui, le discours protectionnisme a tellement pris de l'ampleur durant les primaires et les caucus qu'il ne voit pas comment le prochain locataire de Maison Blanche pourra changer de discours du jour au lendemain. «Cela ne peut pas s'atténuer», dit-il.

Quelle forme prendrait ce protectionnisme?

Outre le renforcement possible des clauses dites du Buy American (achats du gouvernement fédéral) et du Buy America (projets de transport public financés par le gouvernement fédéral), le protectionnisme se manifesterait probablement sous la forme de tarifs douaniers, notamment contre les importations en provenance de la Chine.

Mais il pourrait aussi viser directement le Canada avec le bois d'oeuvre, car l'Accord de 2006 sur le bois d'oeuvre résineux a pris fin en octobre 2015.

Impact sur la Bourse

Comment ce protectionnisme pourrait-il affecter les investisseurs canadiens?

Essentiellement par le biais de leurs participations dans le capital d'entreprises américaines, dont la compétitivité dépend de leurs approvisionnements en Chine, selon Francis Généreux, économiste principal au Mouvement Desjardins.

«Une augmentation de leurs coûts de production suivie d'une baisse de leurs bénéfices pourrait réduire la valeur de leurs actions.»

Par ailleurs, l'imposition de tarifs sur les importations chinoises aux États-Unis provoquerait à coup sûr la colère de la Chine, qui pourrait alors limiter l'accès de son propre marché aux sociétés américaines.

Les investisseurs qui ont des placements dans de grandes entreprises exportatrices aux États-Unis pourraient donc aussi pâtir de cette situation.

La Chine est un marché d'exportation stratégique. En 2015, les expéditions américaines y ont totalisé 116 milliards de dollars américains, sans parler des investissements réalisés dans ce pays.

Les États-Unis sont le bastion du protectionnisme

Si la montée du protectionnisme aux États-Unis inquiète les Canadiens, ce n'est toutefois pas une première dans leur histoire.

En fait, les États-Unis sont devenus un pays libre-échangiste uniquement après la Deuxième Guerre mondiale, quand leur économie dominait plus que jamais le monde, rappellent les historiens.

Les premières manifestations du protectionnisme aux États-Unis remontent aussi loin que dans les années 1790, selon le Wall Street Journal.

Alexander Hamilton, le premier secrétaire américain au Trésor, affirmait à l'époque que le pays devait imposer des tarifs pour protéger ses industries naissantes - les «infanted industries» - de la concurrence étrangère.

Tout au long du 19e siècle, les lois américaines ont été très protectionnistes, avec des tarifs douaniers frôlant les 50% en 1830.

Le protectionnisme américain s'est aussi manifesté fortement durant la terrible Dépression des années 1930, notamment avec la loi Hawley-Smoot. Le tarif moyen sur les importations protégées est alors passé de 39% à 53%.

En 1945, au zénith de leur puissance économique et face une Europe en ruine, les États-Unis sont alors devenus les plus ardents défenseurs du libre-échange.

Une stratégie qui a mené à la mise en place du GATT (l'Accord général sur les traifs et le commerce) en 1948, une entente internationale qui a permis de réduire les tarifs dans le monde et de relancer les échanges commerciaux.

Washington a aussi milité pour créer l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, qui gère depuis le GATT.

Voilà pourquoi la montée du protectionnisme chez nos voisins du sud inquiète de plus en plus les analystes et les investisseurs. Ces dernières décennies, les républicains étaient plutôt libre-échangistes et les démocrates plutôt protectionnistes.

Aujourd'hui, les deux partis critiquent ou s'opposent ouvertement à la libéralisation des échanges commerciaux.

Les États-Unis pourraient-ils redevenir un bastion du protectionnisme?

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand