Les limites de la Terre nous rattraperont un jour


Édition du 10 Avril 2024

Les limites de la Terre nous rattraperont un jour


Édition du 10 Avril 2024

(Photo: Nicole Geri pour Unsplash)

C’est mathématique : une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Cette loi de la physique fait en sorte que les entreprises seront un jour confrontées à des pénuries de ressources — possiblement dans ce siècle — qui les forceront à ralentir et à développer une efficience que nous n’arrivons pas à imaginer aujourd’hui.

La croissance économique telle que nous la connaissons depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale — avec une progression recherchée habituellement supérieure à 2 % par année — n’est donc pas soutenable à long terme. Au rythme de 2 %, le PIB double environ tous les 36 ans.

Même si ce scénario est lointain, les limites physiques de la Terre — les ressources non renouvelables, comme les énergies fossiles et les métaux — nous rattraperont un jour. Tout comme les émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis le début de l’ère industrielle nous ont rattrapés avec le réchauffement climatique.

Certes, on découvre toujours de nouvelles sources de pétrole ou de cuivre. En revanche, chaque ressource non renouvelable contient une quantité X. De même, chaque fois qu’on en extrait (X-1), on se rapproche du jour où il n’y en aura plus.

Si l’humanité était une PME, ce serait une organisation dont ses dépenses (la consommation de ressources) surpassent de plus en plus ses revenus fixes, qui ne peuvent pas augmenter (les limites physiques de la Terre). Elle fera un jour faillite si elle ne réduit pas ses dépenses.

De rares économistes, comme l’Américain Nicholas Georgescu-Roegen, auteur en 1971 de The Entropy Law and the Economic Process (La décroissance, 1979, aux éditions Sang de la terre), ont tenté d’alerter les décideurs quant à ce problème, mais sans succès.

C’est sans parler du rapport « Limites à la croissance » — le fameux rapport Meadows —, publié en 1972 par le Club de Rome (un regroupement d’intellectuels et de leaders d’affaires), qui a été mis à jour en 2002.

 

Lire aussi - La croissance, en as-tu vraiment besoin?

 

Le recyclage n’est pas LA solution

Le recyclage nous aidera à repousser ces limites, mais il faudra quand même consommer moins de ressources, disent les spécialistes.

En effet, même si on peut, en théorie, refondre à l’infini des métaux comme l’aluminium, le recyclage a lui aussi ses limites, selon l’article « Les limites physiques de la contribution du recyclage à l’approvisionnement en métaux », paru dans la revue française Annales des mines. Responsabilité et environnement en 2016.

Plusieurs métaux perdent leurs propriétés à force d’être fondus, sans parler des alliages qui compliquent ce processus. De plus, les métaux recyclables sont immobilisés en moyenne durant 35 ans dans des biens, des équipements, des bâtiments et des infrastructures. On ne peut donc pas les recycler pendant un certain temps.

La Terre produit aussi des ressources renouvelables (arbres, poissons, etc.), qui s’élèvent à quelque 50 milliards de tonnes métriques par année, rapportait en 2018 le magazine américain Foreign Policy (« Why Growth Can’t Be Green »), citant trois études scientifiques.

Or, nous avons dépassé cette limite en 2000, et notre consommation dépasse aujourd’hui les 70 milliards de tonnes.

Ce déficit écologique s’incarne dans le jour de dépassement de la Terre. Il s’est établi au 2 août en 2023 pour l’ensemble de l’humanité (le 13 mars pour le Canada), selon les calculs du Global Footprint Network. Et cette date arrive de plus en plus tôt dans l’année.

Ainsi, le 2 août, l’humanité avait déjà consommé l’ensemble des ressources renouvelables que la Terre peut reconstituer en une année de biocapacité. Pour soutenir son mode de vie, l’humanité aurait donc besoin de l’équivalent de 1,7 Terre en matière de surface.

Qu’on le veuille ou non, il manquera donc un jour de ressources pour fabriquer des biens, des voitures, des bâtiments, sans parler des équipements pour produire de l’énergie renouvelable et nourrir correctement l’humanité, selon le rapport Meadows.

 

Vers une vraie révolution de la durabilité ?

La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons éviter cet avenir sombre, selon les simulations du rapport Meadows. Mais cela nécessite une « révolution de la durabilité » de l’ampleur de la révolution agricole, il y a 10 000 ans, et de la révolution industrielle, au 18e siècle.

Dans ce scénario, l’humanité doit faire quatre choses : stabiliser la population mondiale à huit milliards d’habitants (son niveau actuel), plafonner la production industrielle, diminuer de 80 % l’utilisation des ressources non renouvelables et réduire de 90 % la pollution (qui contribue au déclin des rendements agricoles).

L’humanité doit aussi respecter trois conditions essentielles.

Le taux d’utilisation des ressources renouvelables ne doit pas excéder leur taux de régénération. Le taux d’utilisation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le taux auquel des substituts renouvelables à ces ressources sont développés. Le taux d’émission de pollution ne doit pas excéder la capacité d’assimilation de l’environnement.

C’est une grosse commande ! Si l’humanité réussit à faire tout cela à l’horizon 2100, notamment à l’aide de l’intelligence artificielle, elle sera alors en équilibre. La croissance matérielle sera maîtrisée aux côtés d’un développement plus qualitatif.

En revanche, une telle révolution nécessitera de revoir complètement le financement des programmes sociaux, alors que les gouvernements misent sur la croissance économique pour générer des recettes fiscales.

Cette civilisation devra aussi repenser le partage de la richesse dans un monde de sobriété économique où les ressources seront limitées.

L’avenir de nos petits enfants est entre nos mains.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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