Comment la Chine a pris le contrôle les métaux stratégiques

Publié le 04/10/2019 à 18:30

Comment la Chine a pris le contrôle les métaux stratégiques

Publié le 04/10/2019 à 18:30

Une femme debout sur les rives d'un "lac toxique" entouré de raffineries de terres rares près de la ville de Baotou, en Mongolie intérieure. (Source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Au fil des décennies, la Chine a minutieusement avancé ses pions pour contrôler les réserves et la production des métaux stratégiques pour les industries de pointe. Des gouvernements et des entreprises commencent à s’en inquiéter, mais les Chinois ont pris une avance considérable. Est-il trop tard pour réagir?

Signe de cette inquiétude, le Globe and Mail a révélé cette semaine que les États-Unis et le Canada travaillent sur un projet (le «join action plan» ) pour réduire la domination de la Chine dans le secteur des terres rares, qui regroupent une famille de 17 éléments, dont le néodyme et le dysprosium.

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Ainsi, pour diminuer leur dépendance à la Chine, Ottawa et Washington veulent développer des projets miniers de terres rares en Amérique du Nord. Le sol canadien contient plusieurs gisements, notamment au Québec, mais il ne sont pas développés en raison de la difficulté à rentabiliser cette production.

Plusieurs entreprises utilisent ces métaux stratégiques dans les technologies de pointe. Ils servent notamment à fabriquer des batteries rechargeables, des turbines d'éoliennes et d'autres applications dans les secteurs militaire, médical, scientifique et de l'aérospatiale.

Ce sont des secteurs névralgiques aux États-Unis et eu Canada, de même que dans plusieurs pays industrialisés comme l'Allemagne ou le Japon. Aussi, un accès restreint aux terres rares dans le cas d'un conflit commercial avec la Chine ou, pis encore, d'une guerre dans le futur, serait une catastrophe pour les autres économies développées. 

Une dizaine de pays produisent des terres rares dans le monde. Toutefois, la Chine contrôle le marché avec une production qui s’est élevée à 120 000 tonnes en 2018 (71% de la production mondiale).

C’est beaucoup plus que l'Australie (20 000 tonnes) et les États-Unis (15 000 tonnes), respectivement deuxième et troisième pays producteur, selon les données du U.S. Geological Survey.

De plus, la Chine contrôle 40% des réserves mondiales de terres rares.

Une situation qui permet à la deuxième écomomie de la planète de dominer la majeure partie la chaîne de valeur de ces minerais stratégiques, et ce, de leur extraction à leur transformation en composants pour fabriquer des technologies de pointe.

Les terres rares ne sont pas les seuls métaux stratégiques où la Chine a une position dominante, souligne Foreign Policy.

Le magazine américain a récemment publié une analyse exhaustive sur le web (Mining the future : how China is set to dominate the next industrial revolution) dans laquelle il documente et chiffre «la concentration sans précédent du pouvoir de marché» des Chinois dans ce domaine.

Cette concentration n’est pas le fruit du hasard.

Le 13e plan quinquennal de la Chine (2016 à 2020) déclare que ce cycle est «une période de bataille décisive» pour le métal non ferreux et pour la construction d’une société plus riche.

Cette stratégie minière est coordonnée avec la stratégie industrielle du Made in China 2025.

Cette dernière vise à faire du pays LA puissance manufacturière en termes de qualité en 2049 (année du centenaire de la fondation de la Chine communiste) dans dix secteurs prioritaires, incluant les nouveaux matériaux, les nouvelles technologies de l’information avancée, de même que les véhicules et les équipements électriques.

 

Un robot d'échange de batteries remplace les batteries d'une voiture électrique à la plus grande station de charge de véhicules électriques de Chine, à Pékin, en Chine. (source photo: Getty)

Comment la Chine avance ses pions

Pour asseoir sa domination dans les métaux stratégiques, la Chine déploie ses grandes sociétés d’État et ses grandes firmes privées (toujours près du pouvoir communiste) aux quatre coins de la planète pour développer et sécuriser les gisements miniers dans d'autres pays, et ce, par le fruit d’acquisitions ou de prises de participation dans le capital de sociétés locales.

Foreign Policy souligne que les activités de la Chine en République démocratique du Congo (RDC) est un cas d’espèce de la stratégie de Pékin.

Après des décennies de relations bilatérales, les Chinois possèdent ou exercent aujourd’hui une influence sur plus de la moitié de la production de cobalt du Congo, en plus d’avoir une implication importante dans son industrie minière.

Le cobalt est un élément de plus en plus utilisé dans diverses industries dans le monde. Or, le Congo abrite près des deux tiers de la production mondiale de cobalt ainsi que la moitié des réserves connues.

La Chine est également active en Afrique du Sud, notamment dans une région abritant la plus grande réserve de platine au monde, une matière première critique pour fabriquer des convertisseurs catalytiques qui servent à réduire les émissions des voitures.

La Chine est aussi très impliquée dans les pays dits ressources plus développés.

Ainsi, les entreprises chinoises renforcent leur mainmise sur des ressources stratégiques comme le niobium, au Brésil, ou le tantale, en Australie.

Le lithium est une autre matière première dans le collimateur de la Chine. Trois pays (le Chili, l’Argentine et l’Australie) abritent près de 90% de la production mondiale de lithium et plus des trois quarts des réserves connues.

Or, en seulement six ans, les entreprises chinoises en sont venues à exercer une influence sur plus de 59% des ressources de lithium dans le monde.

Le Québec n’échappe pas à l’ère d’influence de la Chine. En 2016, une société chinoise, Jilin Jien Nickel Industry, a acheté la mine Québec Lithium pour la renommer North American Lithium, en Abitibi-Témiscamingue.

Toutefois, la production a été suspendue cette année, et la société s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements financiers.

Les autorités chinoises s’assurent aussi de contrôler les métaux stratégiques en Chine. En 1990, Pékin a déclaré que les terres rares étaient une ressource stratégique et a interdit aux entreprises étrangères d'y investir.

Une arme géopolitique

La Chine les utilise aussi pour faire des pressions politiques, comme sur le Japon, en 2010.

Pendant quelques semaines, la Chine a alors suspendu ses exportations de terres rares à destination de la troisième économie mondiale, après que des patrouilleurs japonais eurent arraisonné, le 8 septembre, un chalutier chinois près d'îlots disputés par Pékin et Tokyo.

Cet embargo a donné froid dans le dos à plusieurs industries japonaises de haute technologie, et a commencé à faire réfléchir des gouvernements et des entreprises ailleurs dans le monde.

La présente guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a d'ailleurs accéléré la réflexion dans les milieux économique et politique américains, en leur faisant prendre conscience que Pékin peut se servir des terres rares pour faire pression sur Washington.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la volonté de l’administration Trump et du gouvernement de Justin Trudeau de réduire la dépendance de l’industrie nord-américaine aux importations de terres rares en provenance de la Chine.

Cela dit, on ne peut pas créer une nouvelle chaîne de valeur (extraction, transformation, production) dans ces métaux stratégiques du jour au lendemain. Il faut du temps, beaucoup d’argent, sans parler d’un marché mondial favorable en termes de prix.

C’est le projet d’une décennie.

Un peu comme l’aménagement de La voie maritime du Saint-Laurent, dans les années 1950, qui a relié la région des Grands lacs aux marchés mondiaux, en plus de sécuriser les approvisionnements américains de minerais en provenance de la Côte-Nord, au Québec.

De plus, l’industrie nord-américaine fait sensiblement face aux mêmes enjeux avec d’autres métaux stratégiques comme le cobalt.

Aussi, la route vers une plus grande autonomie sera très longue.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand