«Gardez votre aide, mais divulguez vos contrats»

Publié le 17/11/2012 à 00:00

«Gardez votre aide, mais divulguez vos contrats»

Publié le 17/11/2012 à 00:00

Après avoir vendu son entreprise de téléphonie mobile Celtel pour 3,4 milliards de dollars en 2005, l'Anglo-Soudanais Mo Ibrahim a décidé de se consacrer à l'amélioration de la gouvernance sur le continent africain. M. Ibrahim a été sacré Entrepreneur de l'année lors du World Entrepreneurship Forum, tenu à Lyon à la fin d'octobre. Notre journaliste l'y a rencontré.

Les Affaires - Que peuvent faire les entreprises étrangères pour aider l'Afrique à améliorer sa gouvernance ?

Mo Ibrahim - C'est très simple : être transparentes. Cela nécessite entre autres de déclarer tous les contrats, y compris ceux des sociétés minières. Les affaires devraient être transparentes dans n'importe quel contexte. Pourquoi laissons-nous des gens d'affaires encourager la corruption sous prétexte que c'est l'Afrique ? C'est une attitude très bizarre. Lorsqu'un pays octroie des contrats de plusieurs milliards pour ses principales ressources, n'est-ce pas normal que les citoyens veuillent connaître les droits accordés et la contrepartie reçue ?

L.A. - Le problème vient d'ailleurs, alors ?

M.I. - Depuis plusieurs années, on parle de la corruption comme si c'était un phénomène africain. C'est tellement ridicule ! Pour chaque politicien africain corrompu, il y a peut-être 20 personnes d'affaires corrompues en provenance des États-Unis, de l'Europe et... du Canada ! La corruption est un crime commis par deux parties. Pourquoi ne parle-t-on pas de l'autre partie ?

L.A. - Que devrait faire le Canada, concrètement ?

M.I. - Je ne comprends pas que le Canada ne suive pas l'exemple des États-Unis en exigeant la transparence [par une loi anticorruption]. Quelle est la colonne vertébrale morale du Canada ? Ça m'étonne toujours que des Canadiens puissent me regarder dans les yeux et me parler de corruption, alors que vous permettez à vos entreprises de faire du dégât un peu partout sur le continent africain. C'est tellement ridicule que des pays offrent de l'aide humanitaire ! Gardez votre aide, mais déclarez vos contrats et payez vos impôts. Faisons affaire comme deux partenaires honorables. C'est ce que demande l'Afrique. Nous y gagnerons, et vous aussi.

L.A. - Y a-t-il des secteurs ou des types d'entreprises pires que d'autres ?

M.I. - Sans contredit, les secteurs de l'énergie et des mines, qui englobent une bonne partie des ressources naturelles de l'Afrique.

L.A. - Que dites-vous aux entreprises qui disent que les pots-de-vin sont nécessaires pour obtenir des contrats en Afrique ?

M.I. - Qui a créé cette culture ? Il est grand temps que les étrangers s'arrêtent une seconde et analysent leur discours. Si tout le monde s'entend pour arrêter la corruption, les politiciens n'auront pas le choix de s'y faire. Ils ne pourront quand même pas signer des contrats avec des Martiens ! [rires] Nous devons mettre en place des lois, les appliquer à tous et arrêter de se trouver des excuses.

L.A. - Qui est le mieux placé pour faire bouger les choses : les politiciens, les actionnaires ou les administrateurs ?

M.I. - Pendant plusieurs années, on a fait confiance à la direction et au conseil d'administration des entreprises pour résister à la corruption. Ils ne le font pas, malheureusement. Des pays ont donc commencé à adopter des lois, dont les États-Unis.

L.A. - Selon vous, la corruption se concentre beaucoup dans les dictatures. Que devrait faire une entreprise lorsqu'elle négocie avec une dictature ?

M.I. - Les lois anticorruption sont justement nécessaires pour régler les problèmes liés aux dictateurs. Si les entreprises de tous les pays doivent déclarer leurs contrats, les dictateurs n'auront plus de porte où cogner.

L.A. - Avons-nous besoin d'un organisme de réglementation mondial ?

M.I. - Oui, mais n'oubliez pas que la loi américaine couvre 70-80 % des entreprises, dont des sociétés chinoises cotées aux États-Unis. L'Europe a promis d'adopter une loi anticorruption. La question : quand le Canada compte-t-il faire de même ? Je ne comprends pas que des gouvernements traînent. Tout ce qu'il doit dire, c'est «nous serons honnêtes». Pourquoi des gens sont-ils contre ça ?

L.A. - Comment éviter la corruption ?

M.I. - Croyez-moi, l'Afrique n'est pas une jungle. J'ai construit 15 entreprises en Afrique, de taille considérable. Nous étions en Afrique subsaharienne, une partie difficile du continent. Dès le premier jour, nous avons décidé que nous ne paierions pas de pots-de-vin et nous ne l'avons jamais fait. Tous les chèques de plus de 30 000 $, ce qui était très peu pour une entreprise qui engrangeait un milliard en revenus par année, devaient être signés par le conseil. Même le pdg ne pouvait pas le signer. Ça a réglé la question. Il faut simplement garder le contact avec l'argent ! Si nous l'avons fait en travaillant dans 15 pays, pourquoi les multinationales ne seraient-elles pas capables de le faire ?

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