Au coeur de la R-D allemande

Publié le 26/10/2013 à 00:00, mis à jour le 24/10/2013 à 15:04

Au coeur de la R-D allemande

Publié le 26/10/2013 à 00:00, mis à jour le 24/10/2013 à 15:04

La collaboration entre universités et entreprises est au coeur du processus d'innovation en Allemagne. Un modèle cité en exemple partout dans le monde et qui a inspiré la politique d'innovation dévoilée par Québec la semaine dernière. Notre journaliste François Normand s'est rendu en Allemagne pour comprendre la façon dont Germany Inc. innove grâce aux universités.

Pendant des années, les ingénieurs d'Audi se sont arraché les cheveux en raison du bruit de la friction du vent sur les voitures. Pour régler ce problème, le constructeur s'est alors tourné vers des chercheurs universitaires qui ont trouvé une solution : combler le mince espace entre les portes et la structure de la voiture. Résultat ? Audi vend aujourd'hui des voitures beaucoup plus silencieuses que par le passé.

«Nous avons beaucoup amélioré la qualité de la conduite de nos véhicules. C'est impressionnant !» dit Peter F. Tropschuh, responsable la collaboration universitaire et de la responsabilité sociale chez Audi, après une visite de l'immense complexe industriel de l'entreprise à Ingolstadt. Avec ses 2,6 millions de mètres carrés, soit l'équivalent de 290 terrains de soccer, l'usine d'Audi à Ingolstadt est la plus importante du constructeur automobile.

Cette innovation antibruit dont profite Audi n'est qu'un exemple des retombées économiques des partenariats entre les entreprises allemandes et le milieu universitaire. Une collaboration pratiquement inscrite dans l'ADN du Germany Inc. Et qui constitue un aimant puissant, car un grand nombre de travailleurs quittent l'industrie pour travailler dans les milieux de l'enseignement.

Klaus Diepold en est un bel exemple. Pendant 10 ans, ce docteur en ingénierie électrique a travaillé dans les TI. Il a notamment fait sa marque chez Dynapel System, un développeur américain de logiciels, pour lequel il a inventé des outils de postproduction. Aujourd'hui, il enseigne à l'université technique de Munich (TUM). «J'ai laissé l'industrie, car je voulais transmettre mes connaissances, passer le flambeau à la prochaine génération d'ingénieurs», confie celui qui enseigne au Département d'ingénierie électrique et des TI. Ses étudiants et les entreprises qui confient des mandats de recherche à la TUM, comme le géant de l'aérospatiale EADS, profitent de son expérience passée dans l'entreprise privée.

En général, les industriels allemands collaborent avec les universités - en Allemagne et à l'étranger - pour trois raisons surtout : résoudre des problèmes techniques à court terme ; recruter les meilleurs talents avant qu'ils n'arrivent sur le marché du travail (des docteurs sont aussi embauchés après avoir travaillé sur des projets dans les entreprises) ; déceler les tendances qui transformeront leur secteur d'activité à long terme.

Des efforts qui se complètent

Si certaines sociétés dans le monde ont tendance à fermer leurs centres de R-D pour sous-traiter au public et au privé, notamment dans le secteur pharmaceutique, ce n'est pas le cas des sociétés que nous avons visitées en Allemagne. Pour elles, la collaboration avec les milieux universitaires est complémentaire à leurs propres activités de R-D.

Pour sa part, Audi collabore avec 26 établissements en Europe, aux États-Unis et en Chine. La proximité géographique est fondamentale. «Nous travaillons avec des universités situées près de nos usines afin d'avoir la meilleure synergie possible. Jamais une usine en Chine ne collaborera avec une université en Allemagne», assure Peter F. Tropschuh.

Les partenariats sont établis en fonction de mandats précis visant l'amélioration de ses produits ou de sa productivité. Par exemple, l'université Stanford en Californie réalise des recherches en électronique, tandis que l'université Eötvös Loránd de Budapest, en Hongrie, planche sur le stockage d'énergie dans des batteries au lithium. Pour améliorer ses pratiques en droit, en marketing ou en gestion, Audi collabore avec l'université Louis-et-Maximilien de Munich.

Son concurrent BMW a une approche en deux temps. L'entreprise travaille avec les universités prestigieuses pour dégager des tendances à long terme, comme les enjeux de mobilité dans les villes. «On ne peut pas demander aux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de faire des tests ou de régler des problèmes pour nous ! Ils ne seront pas intéressés», dit, le sourire en coin, Mirjam Storim, en entrevue au siège social de BMW à Munich.

Pour résoudre des problèmes ou développer des produits, la multinationale se tourne vers des établissements spécialisés comme la TUM. Ses scientifiques travaillent par exemple avec les ingénieurs de BMW pour commercialiser une voiture électrique efficace et abordable. Il s'agit du projet Visio.M, dans lequel le gouvernement allemand a investi 10,8 millions d'euros (14,9 G$ CA). D'autres constructeurs automobiles sont aussi du nombre.

BASF collabore avec 600 universités

Difficile de chiffrer les investissements des entreprises allemandes dans ces partenariats. Chose certaine, ils doivent donner des résultats, insiste Michael Roeper, vice-président de la R-D chez le chimiste BASF, à Ludwigshafen, en Rhénanie-Palatinat. «Nous finançons des projets de coopération bien définis ; pas du pelletage de nuages ! Il est important que ces investissements soient ancrés avec notre stratégie d'innovation.»

Dans le monde, BASF collabore avec 600 universités, centres de recherche et entreprises sur divers projets. En mars 2013, la multinationale allemande a lancé le North American Center for Research on Advanced Materials (NORA). De concert avec l'université Harvard, le MIT et l'université du Massachusetts, BASF y développera de nouveaux matériaux pour les secteurs de l'automobile, de l'énergie et de la construction.

Deux facteurs incitent les chercheurs universitaires à collaborer avec les entreprises en Allemagne, disent les gens que nous avons interviewés : l'occasion de travailler sur des projets stimulants et la possibilité de publier les résultats de leurs recherches dans des publications spécialisées - ils peuvent le faire sans travailler pour l'industrie, mais c'est généralement sur de la recherche fondamentale et non pas appliquée. «C'est autorisé, mais on discute avec le chercheur afin d'évaluer ce qu'on peut publier», précise Mirjam Storim, de BMW.

Protéger la propriété intellectuelle

L'enjeu est de taille pour les entreprises : elles doivent protéger leur propriété intellectuelle par des contrats de confidentialité. Toutefois, la clé est d'établir des relations de confiance, disent les industriels. Une relation où des informations de plus en plus stratégiques sont partagées au fil des ans.

L'espionnage industriel effectué par des États constitue aussi un danger, admet Peter F. Tropschuh. «Nous n'avons jamais eu de problèmes, mais nous sommes prudents quand nous travaillons avec des partenaires chinois», dit-il. En Chine, Audi collabore avec quatre universités. Le constructeur automobile ne partage toutefois pas le même type d'information sensible que celle que divulguent, par exemple, des établissements en Europe ou aux États-Unis.

L'indépendance intellectuelle des universités est un autre enjeu avec lequel les entreprises doivent jongler. Comme ici, celles-ci passent par l'intermédiaire d'une chaire pour financer des travaux de recherche qui les intéressent.

Par exemple, EADS finance une chaire de la TUM consacrée à la recherche sur les hélicoptères (ingénierie, systèmes, etc.), par l'intermédiaire de sa division Eurocopter. «Comme c'est la seule chaire universitaire en Europe qui se consacre à ce domaine, nous nous attendons à ce qu'elle fasse de la recherche dans celui-ci. Mais nous n'influençons pas les travaux réalisés par les chercheurs», affirme Detlef Müller-Wiesner, vice-président principal et responsable des projets d'innovation, chez EADS.

Alexander Papaderos, directeur du bureau des licences et des brevets à la TUM, confirme que les entreprises allemandes qui collaborent avec les universités ne le font pas de manière désintéressée. «Il n'y a pas de pression, mais plutôt certains souhaits de l'industrie», dit-il. Mais, comme la constitution allemande garantit l'indépendance des universités (rien de moins), les chercheurs et les professeurs peuvent l'invoquer si des entreprises poussent trop.

Ce reportage a été rendu possible grâce au soutien de la Représentation de l'État de Bavière au Québec.

FRANÇOIS. NORMAND@tc.tc

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