" Nous n'avons aucune intention de céder notre place à Air Canada "

Publié le 30/01/2010 à 00:00

" Nous n'avons aucune intention de céder notre place à Air Canada "

Publié le 30/01/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Robert J. Deluce, le pdg de Porter Airlines, pilote des avions depuis son adolescence. Tout comme ses six frères et son père, qui était pilote pendant la Deuxième Guerre mondiale. La famille Deluce possède des transporteurs régionaux depuis les années 1970. À 59 ans, Robert J. Deluce projette l'image d'un homme calme, poli et discret. Toutefois, les faits montrent son sens politique aigu - il est reconnu comme un négociateur habile -, qui lui a permis d'établir un monopole sur l'île de Toronto. Toujours prêt pour une bonne bataille - il a choisi le raton-laveur, un animal qui dérange son voisinage, comme logo pour Porter -, il en a mené contre le maire de Toronto ainsi que contre plusieurs politiciens municipaux. Sans compter son rival de toujours : Air Canada. Nous l'avons joint à ses bureaux, sur l'île de Toronto.

Diane Bérard - Porter a le sens du marketing. En fait, sa réussite semble avant tout être une question de marketing.

Robert J. Deluce - C'est à moitié vrai. Nous avons travaillé fort pour être différents des autres transporteurs, pour créer un buzz et faire du bouche à oreille autour de notre marque. Par exemple, nous avons misé sur la nostalgie d'une époque passée, quand voler était une aventure, un plaisir. Cependant, s'il n'y avait rien de concret derrière ce buzz, nous n'aurions pas enregistré des profits après sept mois d'opération, ni tenu le coup depuis trois ans.

D. B. - Tout de même...

La plupart des entreprises conçoivent leur produit d'abord et leur marketing après. Pour Porter, le marketing était une partie intégrante de la stratégie dès le départ.

D. B. - Vous affirmez que les entreprises sont pensées en fonction des gestionnaires et non des clients. Expliquez.

R. J. D. - Toutes les industries reposent sur le même principe : les efforts sont consacrés à uniformiser les procédures et à les communiquer aux employés pour qu'ils les exécutent machinalement. Ceci dans le but de simplifier la gestion. Pour faciliter le travail des gestionnaires, nous avons choisi de traiter les clients comme des marchandises. En pensant ainsi, il est impossible d'imaginer une compagnie aérienne qui offre des petits extras, qui s'ajuste aux demandes de la clientèle et qui donne du pouvoir à ses employés pour y répondre.

D. B. - En quoi Porter pense-t-elle " clients " ?

R.J. D. - Prenez ce passager qui avait acheté une tarte pour son souper en famille. Un transporteur régulier l'aurait confisquée juste avant qu'il n'embarque dans l'avion. L'agent de Porter, lui, a décidé de passer la tarte aux rayons X, puis de la porter lui-même jusqu'à l'intérieur de l'avion pour la remettre au passager. Évidemment, celui-ci était ravi.

D. B. - Avec son logo rigolo et ses uniformes rétro, votre compagnie se veut cool. Êtes-vous aussi cool qu'elle ?

R. J. D. - Je suis plutôt du genre à surmonter les embûches. Je ne me laisse pas dépasser quand il y a trop d'action. Je trouve mon rythme. Et je considère que les problèmes ralentissent l'action, ils ne l'arrêtent pas.

Toutes les compagnies aériennes doivent annuler des vols et retarder des départs. C'est la vie. En affaires, ce qui vous démarque, c'est la façon dont vous rebondissez. On vous juge sur la façon dont vous gérez les irritants.

D. B. - Vous avez déjà dit que Porter n'est pas un transporteur au rabais.

R. J. D. - C'est exact. Notre stratégie d'affaires n'est pas fondée sur les prix. Cependant, si un de nos concurrents veut démarrer une guerre des prix, il nous trouvera sur son chemin.

D. B. - Porter est née de l'insatisfaction des voyageurs face au manque de service des transporteurs aériens. Ce modèle peut-il tenir à long terme ?

R. J. D. - Vous voulez dire que d'autres nous imiteront ? Bonne chance. Demander à un transporteur établi d'offrir un niveau de service équivalent au nôtre est un défi aussi grand que de tenter d'enlever ses rayures d'un zèbre.

D. B. - Air Canada a tout de même ramené un certain niveau de service sur ses vols.

R. J. D. - Calin Ravenescu [N.D.L.R. : le pdg d'Air Canada depuis avril 2009] est très intelligent et je reconnais tout ce qu'il a accompli en si peu de temps. Mais le plus difficile est à venir. Comme je viens de le dire, changer la culture d'une entreprise est une mission quasi impossible, et ceux qui s'y attaquent doivent être patients. Ce qui donne à Porter le temps de poursuivre son expansion.

D. B. - Si les " vieux " transporteurs ne peuvent pas adapter votre formule, un nouveau concurrent pourrait-il la copier ?

R. J. D. - Les transporteurs établis sont impitoyables et voraces. Vous n'avez aucune idée de tout ce qu'ils peuvent mettre en oeuvre pour briser un nouvel arrivant. Le cimetière des compagnies aériennes est bondé. Tous ceux qui se sont frottés aux compagnies établies vous diront qu'ils n'auraient jamais cru subir un tel traitement.

D. B. - Pourquoi Porter a-t-elle tenu le coup, alors que d'autres nouveaux venus ont disparu ?

R. J. D. - Parce que nous avons mis cinq ans à penser notre entreprise avant de la lancer. La peur d'échouer nous a poussés à prendre des assurances pour tout. Nous sommes propriétaires du terminal d'où nous décollons, ce qui constitue une exception pour un transporteur régional; nous avons réduit le risque financier en achetant des avions qui consomment 40 % moins d'essence que les modèles similaires utilisés par nos concurrents; notre équipe de gestion est triée sur le volet. Et puis, nous avons eu tout le financement nécessaire.

D. B. - Porter n'était donc pas le pari qu'il semblait ?

R. J. D. - Pas du tout. Je sais que le monde des affaires n'est pas fait pour ceux qui ont l'estomac fragile, mais je ne suis pas un joueur de poker. Je choisis mes projets avec prudence, et je crois que rien ne remplace la préparation et le travail. La réussite tient aux détails. C'est parce qu'ils l'ont oublié que les transporteurs aériens ont laissé la porte ouverte à une compagnie comme Porter.

D. B. - L'année 2010 sera mouvementée : Air Canada a l'intention de ramener Jazz Air en force sur l'île de Toronto.

R. J. D. - Ce n'est pas parce qu'Air Canada a exprimé ce désir que nous céderons notre place. Jazz Air a volé à partir de l'île de Toronto pendant 16 ans. L'un après l'autre, les pdg ont eu le loisir de développer cet aéroport. Ils n'ont rien fait. Aujourd'hui, si un concurrent veut s'installer à nos côtés, il lui faudra être patient. Il y a certaines restrictions à respecter, un nombre limité de vols peut décoller d'ici. Et puis, nous avons déjà offert des emplacements à Air Canada, et la direction ne nous a jamais répondu. Je ne comprends pas ce soudain regain d'intérêt de sa part.

D. B. - Vous avez détrôné WestJet comme numéro 2 dans le couloir Toronto-Montréal-Ottawa. Quelle est la suite pour 2010 ?

R. J. D. - Nous investissons 50 millions de dollars pour agrandir notre terminal et nous prévoyons ajouter des vols vers les États-Unis et l'Ouest canadien.

D. B. - On évoque aussi une entrée en Bourse...

R. J. D. - Pour l'instant, je n'en vois pas la nécessité. Nous avons le financement nécessaire pour réaliser nos projets.

D. B. - Qu'est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir la nuit ?

R. J. D. - Le défi de conserver une culture de service à la clientèle avec 600 employés de plus que l'an dernier [N.D.L.R. Porter employait 400 personnes en janvier 2009]. Sans notre niveau de service, nous serions comme les autres.

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