Relancer Montréal en suivant l'exemple de Québec

Publié le 26/11/2011 à 00:00

Relancer Montréal en suivant l'exemple de Québec

Publié le 26/11/2011 à 00:00

En 2000, alors qu'il était président de la Chambre de commerce de Québec, Sam Hamad s'inquiétait de ce que le taux de chômage de la région de Québec soit en progression de 9 % à 9,3 %, tandis que celui de la province diminuait de 9,8 % à 8,5 %. Un petit miracle s'est produit depuis : le rapport s'est inversé et Québec est devenue championne de la création d'emplois, avec le plus faible taux de chômage des régions métropolitaines du pays.

Que s'est-il passé ?

Deux mots reviennent chez les observateurs et pourraient servir d'inspiration à Montréal : vision et cohésion. Le premier dépend des maires Jean-Paul L'Allier et Régis Labeaume ; le second, des fusions municipales de 2002.

«L'histoire des fusions, ça s'est terminé en bonne idée à Québec et en queue de poisson à Montréal», remarque Pierre Delorme, professeur au Département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM.

«À Montréal, le maire Tremblay s'est allié aux défusionnistes pour se faire élire. Il a essayé ensuite de les inciter à rester dans la grande ville en décentralisant les pouvoirs, mais ils sont partis quand même. Il a affaibli Montréal ; la ville n'a jamais été aussi faible», se désole-t-il, ajoutant que les meilleures idées du monde peuvent difficilement faire leur chemin aujourd'hui dans une structure «ingérable».

Redonner à la métropole une cohésion politique favoriserait son économie et permettrait d'attirer à sa tête des candidats à la mairie inspirants.

«Ceux qui ont des idées ou qui sont dynamiques ne sont pas attirés en ce moment par la chose municipale à Montréal. Qui a envie d'aller perdre son énergie dans un système dysfonctionnel ?» demande Pierre Delorme.

La force des fusions municipales

À Québec, les fusions municipales ont donné de la force au maire, qui n'a plus à lutter avec les banlieues pour jouer son rôle de ville centre et concevoir un développement cohérent. Mieux encore : les organismes économiques ont suivi le mouvement. Les chambres de commerce de Charlesbourg, Beauport et Sainte-Foy se sont unies à celle de Québec. D'autres fusions ont donné naissance à l'organisme de développement économique Québec International (QI) qui &#339uvre à l'échelle régionale, avec la collaboration de Lévis.

«Le succès de Québec est un travail de longue date et le résultat d'une volonté de travailler ensemble, estime le pdg de QI, Carl Viel. Nous avons mené une réflexion avec 150 gens d'affaires de la région pour cibler les secteurs forts. On est plus petits, c'est important de se tenir ensemble. On se voit souvent, on a une vision commune.»

Résultat : 60 % des emplois créés au cours de cinq dernières années viennent des secteurs d'excellence ciblés, soit les technologies appliquées, les assurances, la biopharmaceutique, la transformation alimentaire et les bâtiments verts. Québec n'est plus seulement une ville de fonctionnaires.

Québec a une autre force : ses maires qui, depuis 20 ans, lui donnent du souffle.

«Québec a su faire de bons choix depuis longtemps, observe Pierre Côté, consultant en marketing et communication. Jean-Paul L'Allier a eu une vision et a su la mettre en place ; d'autres l'ont concrétisée. C'est rare de voir des politiciens dotés d'une vision. C'est ce qui est arrivé à Québec : on s'est donné l'idée de ce que la ville pourrait être.»

Le maire L'Allier (1989-2005) a réanimé le centre-ville en faisant de Saint-Roch une petite Mecque des technos, et il a jeté les bases de l'embellissement de la capitale. C'est aussi sous sa gouverne que l'économie de Québec s'est diversifiée.

Depuis 2007, Régis Labeaume évolue dans ce sillage. Son plan d'urbanisme pour densifier et réaménager Sainte-Foy et l'horrible boulevard Laurier inspire. De la modernité vers le patrimoine : c'est selon ce parcours que, dans quelques années, nous entrerons dans Québec.

«Ça donne confiance que la ville continuera de se développer, souligne Carl Viel. La ville a une vision d'avenir. C'est important de ne pas travailler juste pour demain, mais pour les années à venir.»

Cette vision va contre l'étalement urbain, un phénomène qui guette toutes les villes d'importance et qui fait très mal à Montréal, où les besoins en infrastructures routières donnent le vertige. La pauvreté colle au centre de l'île, et ce sont les citoyens les moins fortunés qui doivent soutenir les services de la ville centre. Pierre Delorme, qui fait aussi partie du groupe d'étude sur Montréal, rêve pour la métropole d'un plan de densification urbaine : «Il faut faire confiance aux urbanistes, libres de penser en fonction du bien public. C'est ce que L'Allier a fait.»

Si les bases du succès économique de Québec remontent au début du millénaire, ce sont néanmoins les Fêtes du 400e qui semblent avoir consolidé les forces de la ville.

«Ça a poussé la région vers le haut, note Carl Viel chez Québec International. C'était une démonstration de réussite et de notre capacité à faire rayonner la ville.» Montréal saura-t-elle en faire autant lors de son 375e anniversaire, en 2017?

Le vent a tourné en 2008

Avant les célébrations, personne n'y croyait. La population et les médias gardaient le souvenir amer de l'échec de Québec 1984 et redoutaient une autre déconvenue. Quand Régis Labeaume a appelé à la rescousse le directeur du Festival d'été Daniel Gélinas pour piloter les Fêtes, et quand un premier succès a été entendu avec la «Symphonie des mille» de Mahler au Colisée, le vent a tourné.

«Il y a eu un élan qu'on ressent encore, et tout ça est beaucoup lié à un changement d'attitude», analyse Pierre Côté, qui a mis au point l'Indice relatif de bonheur (IRB).

De fait, Québec (au 10e rang des villes les plus heureuses - Montréal figurant au 21e rang) affiche un niveau d'optimisme supérieur à la moyenne nationale de l'IRB. Et ses élus ne se font pas prier pour nourrir cet optimisme qui avait longtemps fait défaut à la ville.

À Québec, «la culture rayonne, le tourisme se renouvelle, le sport mobilise et l'économie fleurit, disait récemment à la Chambre de commerce et d'industrie de Québec le ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, Sam Hamad. À Québec, il n'y a plus de sommets assez hauts, il n'y a plus de projets assez fous.»

No 1 Québec a été classée ville d'affaires numéro 1 au Canada et aux États-Unis par KPMG en 2010.

ÇA BOUGE !

Un exemple de cohésion à Québec ? L'alliance des gens d'affaires avec la culture et le sport. Pour une troisième année, la communauté d'affaires de Québec contribue financièrement aux événements majeurs de la ville, sans recevoir de publicité en retour. «La petite différence de Québec, c'est peut-être là. Ça bouge», souligne le président du regroupement de gens d'affaires Michel Plamondon, aussi propriétaire du restaurant L'Échaudé.

Quand la Ville de Québec a décidé de soutenir son industrie touristique au lendemain du 400e, elle a investi dans deux événements uniques - Le moulin à images de Robert Lepage et Les chemins invisibles du Cirque du Soleil, présentés gratuitement en plein air. Spontanément, des gens d'affaires ont mis sur pied Ça bouge pour appuyer la Ville.

En deux ans, sous forme de contributions volontaires, Ça bouge a récolté 650 000 $ auprès des gens d'affaires de Québec et espère cette année atteindre son objectif de 500 000 $. Ces sommes sont versées dans le Fonds des grands événements, financé à hauteur de 10 millions de dollars (M$) par la Ville de Québec et de 5 M$ par le gouvernement provincial. Le partenariat public-privé a entraîné la formation d'un comité consultatif, afin de pouvoir suivre à la trace l'argent octroyé aux grands événements. Ce comité est devenu le guichet unique où les promoteurs peuvent soumettre leurs idées : tout est simplifié. Le ProTour cycliste a ainsi obtenu une aide, comme le Red Bull Crashed Ice.

POURQUOI ASENTRI A CHOISI QUÉBEC

En mars dernier, le maire de Québec était aux côtés des dirigeants d'Almerys, une filiale de l'entreprise française Orange, spécialisée dans l'identité numérique, pour annoncer son arrivée dans la capitale. Un investissement de 5 millions de dollars et une centaine d'embauches d'ici 2015.

Almerys, qui opère sous le nom d'Asentri à Québec, aurait pu choisir n'importe quelle autre ville pour faire son entrée dans la province. «Ce qui a beaucoup plu au président d'Almerys, Laurent Carreda, c'est le dynamisme de l'économie de Québec et l'ouverture et l'audace des leaders de la région», relate Yahya Baby, vice-président d'Asentri.

Le fait que le Québec soit le siège du gouvernement provincial a aussi joué en faveur de la ville, tout comme la proximité de l'Université Laval. Mais c'est le leadership qu'elle a manifesté qui a été le facteur le plus convaincant.

«Le réseau d'accueil est solide, c'était facile de réunir tous les gens concernés autour d'une table pour faire avancer le dossier. L'implication du maire a pesé dans la balance. L'accompagnement de Québec International (anciennement le PÔLE Québec Chaudière-Appalaches), qui a su suggérer les bonnes rencontres et réunir les personnes, nous a fait gagner beaucoup de temps et, donc, économiser beaucoup d'argent», estime M. Baby.

Asentri testera prochainement auprès de 30 000 personnes de Québec un logiciel qui permettra de recevoir et de payer, sans aucun papier, des permis, des comptes, des réclamations et même des demandes de subvention. L'idée de ce projet-pilote est de «dématérialiser» les échanges de documents.

LE 400E, UN TREMPLIN POUR DUFOUR

Olivier Dufour a relevé un pari impensable : diriger à Québec une entreprise de création dédiée à l'international, sans subvention. Il n'y a pas si longtemps encore, les entreprises culturelles de la capitale étaient considérées de haut par le milieu montréalais.

«Avant [les Fêtes du 400e anniversaire en] 2008, les gens de l'industrie culturelle à Montréal riaient des gens de Québec, parce qu'ils disaient qu'on faisait trop de tout, qu'on faisait des shows avec de la ficelle et du papier collant, et ça nous enlevait beaucoup de crédibilité», se souvient l'artiste-entrepreneur de 38 ans, dont les spectacles et les &#339uvres multimédias sont aujourd'hui présentés à Montréal et ailleurs dans le monde.

La polyvalence qui faisait sourciller les artistes et techniciens très spécialisés de la métropole, Olivier Dufour considère qu'elle est aujourd'hui son plus grand atout. «Quand on arrive sur des projets en Europe, les gens se demandent comment on fait pour connaître tout ce qu'on connaît. On est allés suivre des formations aux États-Unis pour apprendre les nouvelles technologies, on a innové.»

Son entreprise créée en 2000, simplement appelée Dufour, travaille actuellement sur deux gros spectacles en Suisse, reçoit des demandes du Moyen-Orient et refuse des clients pour 2012, car son carnet de commandes est rempli. Dufour évolue maintenant dans un marché de pointe, où seuls quelques acteurs ont accès aux mandats d'importance.

L'été dernier, le Cirque du Soleil a choisi Olivier Dufour pour mettre en scène le troisième chapitre de son spectacle gratuit à Québec, Les chemins invisibles. C'était une sorte de consécration et une carte de visite encore plus convaincante à l'international. Et aussi, cela a permis d'atteindre la rentabilité, enfin. L'entreprise de sept employés génère 2,5 millions de dollars de chiffre d'affaires.

«Les possibilités sont très grandes et le fait de créer à partir de Québec n'est pas un obstacle, dit le dirigeant. On pourrait croître, croître, croître...»

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