Le capital de risque québécois est à sec

Publié le 08/11/2008 à 00:00

Le capital de risque québécois est à sec

Publié le 08/11/2008 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

La crise qui secoue les marchés ne peut tomber plus mal pour l'industrie du capital de risque. Une industrie qui n'a pas encore fait ses preuves, et qui, déjà, est aux prises avec une tempête, plus précisément un " perfect storm ".

La métaphore de la météo a d'ailleurs servi de fil conducteur au 5e sommet nord-américain sur le capital de risque, qui avait lieu les 27 et 28 octobre à Québec.

Alors qu'il faisait un temps exécrable à l'extérieur du Château Frontenac, où étaient réunis 340 investisseurs de 20 pays, à l'intérieur, on parlait aussi de tempête. Celle qui soufflait sur les marchés financiers.

" Le capitaine doit être sur le bateau avec son équipage ", a dit l'organisateur Yvan Richard, lorsqu'il s'est présenté au micro pour excuser l'absence du vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec à un des panels. Pourtant, la Caisse, un des principaux commanditaires de l'événement, avait toujours dépêché un conférencier lors des éditions précédentes du somment.

Les principaux fonds privés soutenus par le gouvernement ont besoin de lever de nouveaux capitaux pour poursuivre leurs activités. Maintenant, pas dans trois ans.

Reproduire des réussites comme celles de Taleo

En 2004-2005, le Fonds de solidarité FTQ, la Caisse de dépôt et placement du Québec et le gouvernement québécois - par son programme FIER Partenaires - ont investi 600 millions de dollars sur trois ans dans une vingtaine de fonds de capital de risque privés (canadiens et étrangers). Ces derniers sont allés en chercher autant auprès d'investisseurs privés, à hauteur de 1,2 milliard. Le but : bâtir des sociétés de haute technologie et les mener vers un succès mondial.

On rêvait de reproduire la réussite de Taleo, ce petit éditeur de logiciels de gestion des ressources humaines de Québec qui, grâce au soutien de sociétés locales de capital de risque, a réussi à attirer un gros investisseur de Boston, Bain Capital, lequel les a ensuite menés vers une inscription au Nasdaq.

Dans ce modèle, tous les investisseurs - locaux et américains - sont passés à la caisse, réalisant plus de 100 millions de dollars de profits.

Autre succès comparable : celui de Oz Communications, de Montréal, qui a été acquise le mois dernier par la multinationale Nokia, récompensant ainsi les investisseurs qui l'ont soutenue tout au long de la chaîne de financement.

Un nouveau tour de financement

Mais aujourd'hui, alors que le marché est complètement grippé, ces fonds de capital de risque sont presque à sec. D'ici les trois prochaines années, ils devront réaliser un nouveau tour de financement et ainsi continuer leurs investissements dans de nouvelles entreprises technologiques.

D'autant plus que les entreprises qu'ils ont déjà soutenues n'ont pas encore atteint l'étape où elles procurent un rendement. Le cycle du capital de risque dure environ sept ou huit ans : cinq ans pour bâtir l'entreprise et le reste pour rentabiliser l'investissement.

Ces sociétés sont, dans la plupart des cas, arrivées à l'étape de l'expansion, pour laquelle très peu de fonds sont disponibles au Canada.

Selon Jacques Bernier, conseiller spécial du Fonds de solidarité FTQ, l'industrie, au Québec comme au Canada, est à la croisée des chemins. " Nous avons déjà un trou dans le financement entre l'étape de la découverte à l'université et celle de l'entrée du capital de risque, explique-t-il. Si les fonds de capital de risque ne peuvent plus se capitaliser, ils ne pourront investir dans de nouvelles entreprises technologiques. On arrête donc la chaîne. "

Pas d'assez bons rendements pour les investisseurs institutionnels

Bref, si l'argent ne vient pas, une bonne partie des efforts consentis depuis 2004 l'auront été en pure perte. Déjà, le fonds Venture West de Vancouver a fermé ses bureaux de Montréal et d'Ottawa et a renoncé à faire un nouveau tour de financement.

La crise financière n'est pas en cause. Il s'agit d'un problème structurel. Mais " elle complique la tâche de tout le monde ", dit M. Bernier.

Du côté des investisseurs institutionnels, la crise a fait fondre leurs actifs à la Bourse tandis que leurs placements privés dans des entreprises qu'ils ont rachetées les exposent à des niveaux d'endettement trop élevés. Ces investisseurs ont maintenant un problème d'affectation : puisque la valeur de leurs placements boursiers s'est effondrée, cela augmente la pondération de leurs placements privés, y compris le capital de risque, accroissant leur risque.

D'autre part, comme l'a déploré Michael Nobrega, président de la caisse de retraites des employés municipaux de l'Ontario (OMERS), le capital de risque au Canada n'offre pas de bons rendements aux investisseurs institutionnels. La moyenne s'établit à 1,8 % ici, comparativement à 20 % en Californie et à Boston.

" Le capital de risque est une industrie difficile ", témoigne Christian Racicot, avocat au cabinet BCF et instigateur de ce sommet qui vise à intégrer l'industrie québécoise à l'écosystème mondial du capital de risque.

Fonds de fonds

Une partie de la solution réside dans le prochain budget du ministre des Finances du Québec. Plusieurs des fonds de capital de risque privés et des investisseurs institutionnels interviewés lors du sommet réclament en effet un nouveau modèle de financement du capital de risque : un fonds de fonds, inspiré de ce qui s'est fait en Ontario.

Le gouvernement de la province y a créé un fonds de 200 millions de dollars dans lequel il a lui-même injecté 90 millions, et dont il a confié la gestion à une société privée, en l'occurrence TD Capital.

Les avantages d'un fonds de fonds sont les suivants : il fonctionne à long terme - c'est-à-dire sur un horizon de 10 à 15 ans plutôt que de 3 ans -, il est géré par une équipe d'experts rigoureux et indépendants et, nouveauté, il est ouvert à des investisseurs qui ne font pas partie du système actuel, comme des fonds de pension de banques, d'universités ou d'entreprises.

Lors du sommet de Québec, un atelier portait spécifiquement sur la manière dont les politiques gouvernementales peuvent appuyer l'essor du capital de risque. " On sait qu'il faut que le privé ait son mot à dire sur l'attribution des fonds, résume Josh Lerner, professeur à l'Université Harvard et sommité du domaine. Il faut aussi que les gouvernements soutiennent ces fonds.

" Mais on doit éviter deux travers trop fréquents : la bureaucratie et, et ce qui est peut-être pire, le financement de gens qui sont bons pour aller chercher de l'argent, mais pas pour créer de la valeur. "

Pour Josh Lerner, l'importance du capital de risque retient l'attention plus que jamais en cette période de crise. " Les gouvernements vont perdre beaucoup de revenus, les entreprises existantes vont souffrir. Mais ils savent que pour aller de l'avant, il faut stimuler l'entrepreneuriat. Sans risque, il n'y a pas d'innovation et sans innovation, il n'y a pas de croissance. "

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