"La société civile s'assure que l'on profite des meilleurs côtés du capitalisme" - Sri Mulyani Indrawati, directrice générale de la Banque Mondiale

Publié le 24/09/2011 à 00:00

"La société civile s'assure que l'on profite des meilleurs côtés du capitalisme" - Sri Mulyani Indrawati, directrice générale de la Banque Mondiale

Publié le 24/09/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Élue "meilleure ministre des Finances de l'Asie" par le Emerging Market Forum, en 2006, Sri Mulyani Indrawati a piloté pendant 12 ans une ambitieuse réforme de l'État indonésien. Son programme conjuguait lutte à la corruption avec incitatifs fiscaux et simplification des lois sur les investissements. Depuis juin 2010, elle occupe l'un des trois postes de directeur général de la Banque Mondiale. Elle nous parle du rôle de la société civile dans le développement économique.

DIANE BÉRARD - Les citoyens sont-ils nécessairement plus sages que leurs leaders ?

Sri Mulyani indrawati - Dans un monde idéal, un leader incarne les rêves et les aspirations de la population. Dans les faits, ce n'est pas toujours le cas, ou alors, pas d'une manière continue. Tous les régimes ont besoin de mécanismes de contrôle et d'imputabilité. En leur absence, la corruption s'installe. C'est là que la société civile intervient.

D.B. - Qu'est-ce que la société civile ?

S.M.I. - Il s'agit d'un groupe organisé de citoyens qui expose les enjeux reliés à un projet de développement qui les concerne. La société civile veille à ce que le projet en question soit inclusif et que son impact sur la société soit durable. En somme, la société civile s'assure que l'on profite des meilleurs côtés du capitalisme... sans les mauvais ! L'énergie positive sans la cupidité.

D.B. - En quoi la société civile diffère-t-elle des groupes d'intérêt et des lobbys ?

S.M.I. - La société civile travaille pour le bien commun, pas sur un volet en particulier. Par exemple, elle ne défendra pas uniquement les droits de la personne, parce que ceux-ci ne reflètent pas tous les enjeux de la société.

D.B. - Au Québec, plusieurs projets de développement ont essuyé un refus de la population. Certains accusent la société civile québécoise d'engendrer l'immobilisme...

S.M.I. - D'abord, il faudrait voir si l'opposition provient bien de la société civile ou de groupes d'intérêt. Ensuite, la société civile n'est pas une panacée. Elle peut être déconnectée de son rôle, trop sceptique, ne pas utiliser sa voix de manière constructive, être obsédée par les procédures au détriment du contenu, trop dogmatique... Par exemple, il est facile d'affirmer que l'honnêteté et la transparence sont "souhaitables". Mais, une fois sur le terrain, comment cela se traduit-il ? Lorsque la société civile s'en tient à brandir des normes, elle ne fait pas son travail.

D.B. - Faut-il toujours l'écouter ?

S.M.I. - C'est un dilemme cruel. Parfois, les chefs d'État doivent ignorer la voix de la société civile au nom de réformes urgentes.

D.B. - Lorsque vous étiez ministre de Finances de l'Indonésie, vous êtes passée outre à la société civile pour implanter une profonde réforme de l'État qui a pris 12 ans. Comment avez-vous évité la révolte ?

S.M.I. - Dans de telles circonstances, il faut expliquer clairement à la population le but visé par le projet et les problèmes qui seront réglés. Justifier l'implantation. Lorsque la société civile voit que les choses sont claires et transparentes, en général elle accepte. La transparence appelle la confiance. Non seulement le but visé doit être clair, mais les moyens que vous emploierez pour y arriver doivent l'être aussi. De même que les conséquences, négatives aussi bien que positives. Tout cela n'est pas un processus linéaire, la société civile ne donne jamais son accord une fois pour toutes. Il y aura des reculs, des échecs. Mais, tant que vous sentez que le processus suit son cours malgré les remous en surface, il faut continuer.

D.B. - Vous êtes la numéro 2 à la Banque Mondiale. Quel est le plus grand obstacle à l'éradication de la pauvreté ?

S.M.I. - L'échec à répétition des politiques publiques. Même les meilleures mesures n'atteignent pas leur cible, parce que les pays auxquels elles sont destinées n'ont ni les ressources ni la gouvernance pour les implanter. Sans compter la corruption qui s'infiltre partout.

D.B. - On dit parfois que les pays pauvres eux-mêmes sont les principaux obstacles à l'éradication de la pauvreté. Qu'en pensez-vous ?

S.M.I. - Il est prouvé qu'un État ne connaît de développement économique et social que lorsqu'il a la capacité de s'organiser, d'élaborer des politiques efficaces et de les implanter. Les États qui n'ont pas établi un système économique, politique et financier robuste ne peuvent pas, par exemple, gérer eux-mêmes leurs ressources naturelles. Cela limite donc leur capacité à relever le niveau de vie de leur population.

D.B. - Quelle est la priorité actuelle de la Banque Mondiale ?

S.M.I. - Notre but, réduire la pauvreté, n'a pas changé depuis 1944. Les moyens de l'atteindre, par contre, évoluent. En ce moment, nous nous attaquons au prix des aliments et à la spéculation qui s'y rattache. Depuis un an, 44 millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été précipités dans la pauvreté à cause du prix des aliments. Et si ceux-ci grimpent encore de 10 %, 10 millions de personnes les y rejoindront.

D.B. - Comment comptez-vous lutter contre la spéculation sur le prix des aliments ?

S.M.I. - La spéculation naît lorsque l'information est imparfaite. Depuis un an, nous travaillons avec les pays du G20 sur le programme "Put Food First", afin que circule une information exacte au sujet de l'offre et la demande concernant les différentes catégories d'aliments. Il faut à tout prix éviter les rumeurs.

D.B. - Vous avez été élue meilleure ministre des Finances de l'Asie. À quoi reconnaît-on un mauvais ministre des Finances ?

S.M.I. - Le mauvais ministre des Finances affirme que l'on peut tout faire. Il n'évoque surtout pas les compromis nécessaires pour résoudre la contradiction entre les besoins illimités et les ressources limitées. Le mauvais ministre des Finances cherche à être populaire à n'importe quel prix, et il en lègue les coûts fiscaux et financiers à son successeur.

D.B. - Les pays émergents sont-ils en colère contre les États-Unis, les tiennent-ils responsables de la crise ?

S.M.I. - La réaction immature consiste à blâmer les États-Unis. La réaction plus constructive consiste à reconnaître que les États-Unis ne constituent plus le seul pouvoir économique mondial et à ajuster les attentes relativement au rôle qu'ils peuvent désormais jouer auprès des autres économies. La situation américaine incite aussi à ne pas tenir pour acquis que la démocratie fonctionne et qu'elle le fait nécessairement efficacement. Lorsqu'elle n'est qu'au service du processus démocratique [débats, votes, etc.], comme c'est le cas au Congrès en ce moment, elle n'atteint pas son but.

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