La Chine restera «l'usine du monde», mais elle devra partager son titre

Publié le 23/02/2013 à 00:00

La Chine restera «l'usine du monde», mais elle devra partager son titre

Publié le 23/02/2013 à 00:00

Louis Garneau : «Après la Chine, quelle région sera la prochaine usine du monde : l'Afrique, l'Amérique du Sud, ou y aura-t-il un retour de la production manufacturière en Amérique du Nord ?»

Made in China. On peut lire ces mots sur une foule de produits, des téléphones intelligents aux jouets, en passant par les meubles. Et ça va durer. Malgré l'importance que prennent plusieurs pays comme le Mexique ou l'Inde dans la production manufacturière à faible coût, la Chine gardera dans un avenir prévisible la part du lion, notamment avec des produits de plus en plus complexes, disent les experts.

En 2010, la Chine est devenue la première puissance manufacturière, abritant 20 % de l'industrie mondiale, selon la firme IHS Global Insight. Selon les spécialistes, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures pour comprendre pourquoi la Chine poursuivra sa domination : bien que les salaires manufacturiers y bondissent de 15 à 20 % par année, le pays continue d'offrir les meilleures conditions (main-d'oeuvre qualifiée, infrastructures modernes, technologies de pointe) pour les entreprises qui souhaitent faire fabriquer des produits à moindre coût.

«Je ne pense pas qu'il y ait un seul pays, ou même un groupe de pays, qui puisse jouer un rôle aussi prédominant dans la production manufacturière mondiale que la Chine», a indiqué à Les Affaires Hau Lee, spécialiste en logistique à la Stanford Graduate School of Business, en Californie. En 2011, il a sondé plus de 750 directeurs de la logistique dans le monde (SCM World's Chief Supply Chain Officer survey, 2011) afin de connaître leurs intentions en matière d'approvisionnement. Seule une faible minorité (moins de 7 %) envisageait de brasser des affaires avec l'Inde, le Mexique ou le Brésil.

William Mitchell, professeur invité en gestion stratégique à la Rotman School of Management, à Toronto (il travaille en étroite collaboration avec le chercheur Arie Y. Lewin, de l'Université Duke en Caroline du Nord, sur les enjeux de délocalisation) estime que la Chine demeure incontournable pour la fabrication ou l'assemblage de produits complexes, notamment dans les télécommunications. «C'est pourquoi Apple, par exemple, continuera de faire l'assemblage final de ses téléphones et de ses tablettes en Chine.»

Multiplication des petites usines

Si la Chine demeure «l'usine du monde», les spécialistes estiment qu'elle devra partager son titre avec d'autres pays, comme le Brésil. «C'est un pays intéressant, spécialisé dans les produits de milieu de gamme. Il a une main-d'oeuvre bien formée, mais les salaires y sont élevés», précise Jacques Gravereau, directeur de l'Institut Eurasia à HEC Paris.

Le géant sud-américain est déjà un acteur majeur dans certains secteurs, comme la fabrication de véhicules. Le Mexique, lui, est un pays clé pour les entreprises qui y font fabriquer ou qui y fabriquent elles-mêmes des produits complexes, mais qui nécessitent peu d'interactions avec des fournisseurs dans le monde, comme la fabrication d'ingrédients pharmaceutiques.

Pour sa part, Bernard Landry, spécialiste en stratégie internationale à l'ESG UQAM, affirme que les entreprises qui veulent réduire leurs coûts doivent avoir l'Inde sur leur écran radar. «Le développement de ce pays est assez spectaculaire !» dit-il. Destination de choix dans le secteur des services, le sous-continent indien est aussi en train de s'industrialiser, à un rythme toutefois beaucoup moins rapide que la Chine. En 2010, le secteur manufacturier comptait pour 15 % du PIB indien, comparativement à 30 % en Chine, selon la Banque mondiale.

Infrastructures déficientes en Inde et en Afrique

Jacques Gravereau estime toutefois que l'Inde a beaucoup de lacunes à combler avant d'être une plateforme industrielle efficace comme la Chine. «Les infrastructures sont mauvaises et la bureaucratie est très lourde.» Dans ce contexte, produire ou assembler un produit dans le centre du pays, pour ensuite l'acheminer vers les ports de la côte et l'exporter se révèlent ardu.

Les sociétés se heurtent au même problème en Afrique. À l'exception de l'Afrique du Sud, aucun pays ne dispose d'une industrie et d'infrastructures suffisantes pour intégrer les chaînes logistiques mondiales, insiste William Mitchell. «Des entreprises peuvent produire au Nigeria, mais elles doivent vendre leurs produits dans les pays voisins.» Vrai, dit Bernard Landry, en précisant toutefois que les investissements des sociétés chinoises en Afrique (routes, chemins de fer, ports) pour exporter les matières premières en Chine sont en train de désenclaver le continent.

Par ailleurs, dans les produits bas de gamme, comme les t-shirts, plusieurs pays se démarquent en Asie du Sud-Est, comme le Bangladesh, la Thaïlande, la Malaisie, le Cambodge, le Vietnam ou l'Indonésie. «Beaucoup d'entreprises chinoises y ont d'ailleurs transféré leur production auparavant faite en Chine, comme au Bangladesh», dit Jacques Gravereau.

Loin d'être un feu de paille, le phénomène de la «réindustrialisation» des États-Unis est une tendance lourde. Mais il ne faut pas s'attendre à des miracles, disent les spécialistes. Seule la fabrication de produits très complexes, requérant une synergie étroite avec des fournisseurs locaux, a un avenir sur le marché américain.

Les entreprises qui consomment beaucoup d'énergie trouveront aussi intéressant d'investir aux États-Unis, en raison de la faiblesse du prix du gaz naturel, selon Willy C. Shih, spécialiste en pratiques managériales à la Harvard Business School. «La fabrication de produits en plastique et de produits pharmaceutiques y connaîtra une croissance.»

SON COMMENTAIRE

M. Normand a bien répondu à ma question, en donnant une bonne vision à court et à moyen terme de la situation manufacturière mondiale. Après la Deuxième Guerre mondiale, le Japon a commencé à faire de la sous-traitance pour les Américains, suivi par Taiwan, puis par la Chine. Dans les années 1970-1980, la Chine était synonyme de qualité médiocre. Avec le temps, la formation de la main-d'oeuvre et des investissements technologiques, les Chinois sont capables aujourd'hui de produire de la très haute qualité. Le monde bouge et l'être humain déplace sans cesse sa production pour obtenir le meilleur rapport qualité-prix sur le marché.

En novembre, je suis allé au Rwanda à l'occasion d'une mission sportive, humanitaire et industrielle. Permettez-moi de partager ma vision dans un horizon de 50 ans : l'Afrique centrale deviendra un grand centre mondial de fabrication de certains produits. On aura peut-être un jour des vêtements Garneau «Made in Rwanda». Un jour, l'homme aura fait le tour de sa planète ; les salaires, les conditions de vie commenceront à se ressembler. Il y aura une certaine équité, ce n'est qu'une question de temps.

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