" Notre plus grand obstacle est notre réussite passée "

Publié le 20/11/2010 à 00:00

" Notre plus grand obstacle est notre réussite passée "

Publié le 20/11/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Hugh O'Neill travaille dans l'industrie pharmaceutique depuis 25 ans. Il a changé cinq fois d'employeur, en s'approchant toujours du sommet. Il l'a atteint depuis juillet 2009. Et ce, au moment où son secteur connaît de profonds bouleversements. La population vieillit, les régimes de soins de santé coûtent cher et les gouvernements sont endettés. Bref, cet Américain a du pain sur la planche. À titre de président et chef de la direction de Sanofi-aventis Canada, il doit implanter le nouveau modèle de l'entreprise dans un environnement réglementaire et social auquel il n'est pas habitué. Il avoue en toute franchise avoir sous-estimé le défi qui l'attendait. Toutefois, du même souffle, M. O'Neill affirme être déterminé à réussir, quitte à laisser une partie de son équipe derrière pour y arriver. Nous l'avons rencontré lors de son passage à Montréal, le 9 novembre dernier.

Diane Bérard - Pourquoi le modèle d'entreprise des pharmas ne tient-il plus la route ?

Hugh O'Neill - Notre modèle était simple : investir une fortune dans la R-D pour découvrir un médicament vedette (blockbuster), le produire à grande échelle et le promouvoir auprès des médecins grâce à une armée de vendeurs aguerris. Ce temps est révolu pour deux raisons : la volonté et la capacité de payer ne sont plus là. Dans le premier cas, c'est notre faute : l'industrie pharmaceutique souffre d'un problème de crédibilité. Plus vous vendez de médicaments en grande quantité, plus élevé sera le nombre de patients qui ne répondront pas au traitement. Normal, c'est une réalité statistique. Voilà comment notre modèle s'est retourné contre nous en minant notre crédibilité. Ajoutez à cela des gouvernements endettés qui n'ont plus les moyens de financer leur régime de soins de santé, et vous comprendrez pourquoi l'âge d'or des blockbusters est révolue.

D.B. - Selon vous, le Canada rejette plus brutalement que d'autres pays le modèle traditionnel des pharmas. Pourquoi ?

H.O. - D'abord, parler du système de santé au Canada est en soi délicat. Celui-ci fait partie de votre structure sociale. Ce qui n'est pas le cas aux États-Unis, par exemple. Et ce qui était déjà délicat l'est devenu encore plus, parce que vous n'avez qu'un intervenant majeur en santé, le gouvernement, et que sa capacité de payer est de plus en plus restreinte. La santé ne représente donc pour lui qu'un coût à maîtriser plutôt qu'un investissement pour l'avenir. Dans ces conditions, il est évident que notre modèle d'entreprise, fondé sur des blockbusters développés grâce à d'importants investissements dans la R-D, vole en éclats.

D.B. - Vous êtes pdg depuis juillet 2009; aviez-vous prévu que le marché canadien poserait un tel défi ?

H.O. - Franchement, non. Je viens d'un pays où le secteur de la santé se compose de nombreux joueurs : les compagnies d'assurance, le secteur privé, le secteur public. Leurs contraintes et leurs capacités sont variées. Cela facilite la vie du fournisseur.

D.B. - Quel est le nouveau modèle d'entreprise de Sanofi-aventis ?

H.O. - Nous vendions des produits, désormais nous vendrons des solutions de santé. Avant, nos vendeurs rencontraient le médecin en disant : " Laissez-moi vous présenter nos médicaments. " Maintenant, notre équipe de vente devra poser des questions et prendre des notes pour comprendre la façon dont le médecin gère la maladie et dont nous pouvons faciliter son travail.

D.B. - Vous pénétrez aussi le secteur des produits sans ordonnance.

H.O. - Forcément, puisque les médicaments brevetés sont de plus en plus difficiles à faire approuver et à inscrire dans la liste de remboursement des gouvernements. Le 15 juin dernier, nous avons acheté la société canadienne Canderm, spécialisée dans les soins dermatologiques. Elle commercialise la gamme de cosméceutiques NeoStrata. Mais l'achat de Canderm n'est pas une décision purement financière, c'est aussi une acquisition stratégique pour comprendre la relation avec les clients. Canderm aidera Sanofi-aventis à penser autrement.

D.B. - Combien de temps vous donnez-vous pour réussir la transition ?

H.O. - Un an et demi, tout au plus.

D.B. - Vos employés sont-ils prêts pour ce bouleversement ?

H.O. - Il est évident que tous ne suivront pas. Notre plus grand obstacle est notre réussite passée. Même si je répète au personnel que notre modèle tire à sa fin, qu'il faut changer nos façons de penser et de faire, je suis conscient que tout le monde n'est pas converti. Et que tous ne le seront pas.

D.B. - Vous avez licencié 70 employés en mai et 80 en novembre, pourtant vous avez aussi recruté, expliquez.

H.O. - Nous avons recruté à l'extérieur de notre secteur, des cadres supréieurs choisis pour leur capacité à prendre des risques et leur sens de l'entrepreneuriat. Ils occupent des postes clés qui leur donnent la possibilité d'influencer le reste de l'organisation.

D.B. - Votre nouveau modèle d'affaires sera-t-il aussi rentable que l'ancien ?

H.O. - Non. Les produits sans ordonnances présentent des marges plus faibles que les médicaments brevetés.

D.B. - Créerez-vous encore de nouveaux médicaments ?

H.O. - Oui, mais nos critères changeront. Nous questionnerons la valeur ajoutée du futur médicament avant d'y investir quoi que ce soit. Si un médicament n'apporte pas grand-chose de plus, nous ne le développerons pas.

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