" L'expérience peut vous induire en erreur, surtout lorsqu'il s'agit de se réinventer " - Estelle Métayer, pdg de Competia

Publié le 02/04/2011 à 00:00

" L'expérience peut vous induire en erreur, surtout lorsqu'il s'agit de se réinventer " - Estelle Métayer, pdg de Competia

Publié le 02/04/2011 à 00:00

Citoyenne du monde, Estelle Métayer est née en France, a étudié aux Pays-Bas, a travaillé au Canada et dirige une entreprise à Genève. Competia offre des services d'intelligence stratégique. Ses clients, entre autres Oracle, Renault et Bombardier, se trouvent des deux côtés de l'Atlantique. Je l'ai rencontrée à Montréal.

DIANE BÉRARD - En quoi consiste un tabou d'entreprise, et pourquoi est-il nuisible ?

Estelle Métayer - Un "tabou corporatif" est une hypothèse qu'aucun employé ne peut remettre en question. Ce type de tabou limite la façon dont on gère le potentiel de croissance et, surtout, les possibilités de se réinventer. Il pousse les gestionnaires à sous-estimer la concurrence. C'est ce qui est arrivé aux banques lorsque ING a fait son apparition. Dans ce secteur, on a toujours cru qu'une banque devait avoir pignon sur rue. Vu ainsi, ING ne représentait pas une menace. Erreur ! Chaque industrie, chaque entreprise possède ses tabous : " on ne touche pas à tel secteur ", " nous devons conserver les emplois au Québec ", " pas question d'être en concurrence avec nos clients ", etc. Il existe aussi des tabous corporatifs universels. Par exemple, " il faut vendre avec un profit ". Pas nécessairement. Les fabricants d'imprimantes vendent ce produit à perte et encaissent un profit grâce aux cartouches d'encre. Quant à la machine à café Nespresso, elle ne rapporte pas grand-chose à son manufacturier. Ce sont les capsules de café qu'on vous vendra pendant les 20 prochaines années qui sont rentables !

D.B. - En affaires, que signifie un " angle mort " ?

E.M. - Ce sont les signaux que tout le monde voit, sauf vous. Ils passent sous votre radar, parce la vision que vous entretenez de votre entreprise est trop limitée. Ce serait le cas des boîtes de télécoms qui estiment que leurs concurrents se nomment Bell, Rogers et Telus, mais non Google et Amazon. Les tabous corporatifs sont des sources d'angles morts. L'ego des dirigeants aussi.

D.B. - Comment une entreprise fait-elle fi de ses idées préconçues pour se réinventer ?

E.M. - Elle doit sortir de sa zone de confort, c'est-à-dire de son secteur. J'ai demandé à des représentants de l'industrie automobile et de la santé d'imaginer ensemble un produit à la croisée de ces deux secteurs. Par exemple, vous entrez dans votre auto et, au contact du volant, apparaissent certaines données sur votre taux de sucre ou votre pression. Si les résultats s'avèrent anormaux, on vous affiche automatiquement un rendez-vous dans une clinique avec laquelle le constructeur automobile a noué une alliance. Voilà un nouveau service utile et difficile à imiter, car les cliniques médicales possédant un réseau étendu ne sont pas légion.

D.B. - Parmi les méthodes proposées pour réinventer une entreprise, vous suggérez d'inverser sa mission. Expliquez.

E.M. - Prenons le cas de la multinationale Veolia. Sa mission : gérer les déchets. Son but : traiter un volume croissant d'ordures pour encaisser plus de profits. Et si Veolia visait à traiter moins de déchets ? Si elle aidait ses clients à réduire leur volume de rebuts ? Au lieu d'alimenter une guerre des prix en brûlant toujours plus de détritus, Veolia surprendrait ses concurrents.

D.B. - Les gestionnaires se fient souvent à leur expérience pour prendre des décisions. Vous ne considérez pas celle-ci comme un atout, pourquoi ?

E.M. - L'expérience nous inspire souvent une vision erronée de la réalité. Saviez-vous que la majorité des accidents d'avion se produisent parce que les intuitions des pilotes les ont trompés ? Par exemple, le pilote croit que l'avion monte, alors que celui-ci pique du nez. Dans plusieurs situations, l'expérience vous induit en erreur.

D.B. - Plusieurs dirigeants se méprennent sur leur véritable secteur d'activité, selon vous. Expliquez.

E.M. - Prenons le cas de Via Rail qui se définit par rapport au transport de passagers. Quelle est la caractéristique principale de ses clients ? Ils s'ennuient pendant leur voyage ! Et si Via Rail s'associait à une université pour offrir un MBA dans le train ? Pensez à tous les voyageurs d'affaires qui effectuent des trajets toutes les semaines.

D.B. - Quel type de dirigeant convient le mieux lorsqu'une entreprise doit se réinventer ?

E.M. - D'abord, les entreprises comptent beaucoup trop de leaders et pas assez de gestionnaires. Le leader possède généralement un gros ego, il se préoccupe très peu de la suite des choses. Ce qui se produira après son départ ne lui importe pas. Ce n'est donc pas la meilleure personne pour inventer l'avenir. Le gestionnaire convient mieux. À condition de lui donner le temps de gérer. En moyenne, un gestionnaire dispose d'une plage de 20 minutes en continu par trois semaines ! Donnons-lui le temps d'être inefficace. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un gestionnaire se tienne au courant des tendances dans ce contexte. La plupart des entreprises concluent à tort qu'elles ont embauché les mauvais candidats, alors qu'en fait, elles ne les laissent tout simplement pas faire leur travail.

D.B. - Pourquoi ne pas demander l'aide des clients ?

E.M. - Saviez-vous que vous aviez besoin d'une tablette ? Moi pas. Alors, comment aurions-nous pu aider Apple à inventer l'iPad ? Il ne faut pas confondre marketing et veille stratégique. Lorsqu'il est question de veille stratégique, le client est souvent ignorant.

D.B. - Pour vous, le long terme s'établit à 50 ans...

E.M. - En effet. J'ai demandé à mes clients du secteur pharmaceutique d'imaginer à quoi ressemblera le monde de la santé dans 50 ans. Le gouvernement ne rembourse plus les médicaments, la mise au point de nouveaux médicaments devient hors d'atteinte et la plupart des problèmes de santé graves ont disparu. Comment les pharmas survivront-elles à ces bouleversements ? Deux scénarios ont été élaborés. D'abord, les pharmas se transforment en banques et financent leurs clients afin que ceux-ci puissent s'offrir leur produit. Ou encore, elles se transforment en boîtes de prévention. Elles gèrent notre santé depuis la naissance, nous rappellent les vaccins à recevoir et les examens à passer, élaborent des programmes de sport et de diététique, etc. Toutefois, il faudra prendre en considération la concurrence d'autres sociétés, comme Microsoft, mieux placées pour gérer des masses des renseignements.

D.B. - Toutes les entreprises peuvent-elles se réinventer ?

E.M. - Oui, et ce sont les industries traditionnelles qui offrent les possibilités les plus intéressantes. J'adorerais travailler avec des entreprises funéraires.

Le contexte

Estelle Métayer est pilote d'avion. Elle établit plusieurs parallèles entre la gestion de crise et les règles du jeu de l'univers du pilotage.

Saviez-vous que...

Les entreprises effectuent 80 % de leur veille concurrentielle à partir de Google, alors qu'il serait plus efficace d'appeler des experts et de fouiller le Web invisible.

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