Le racisme en entreprise, un tabou tenace!

Publié le 16/01/2024 à 07:30

Le racisme en entreprise, un tabou tenace!

Publié le 16/01/2024 à 07:30

Par Olivier Schmouker

Le racisme est un fléau d'autant plus dévastateur qu'il passe souvent inaperçu aux yeux des employeurs. (Photo: Markus Spiske pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Ça fait moins d’un an que j’ai immigré au Québec, et je n’ai malheureusement plus qu’une envie: partir d’ici. Là où je travaille, on dénigre continuellement les travailleurs de mon pays d’origine, on me fait sentir que mes idées ne comptent pas autant que celles des autres, on “oublie” même de m’inviter quand il y a un 5@7. Jamais je n’aurais imaginé qu’il y avait un tel racisme ambiant au Québec…» – Moncef

R. – Cher Moncef, permettez-moi de saluer le courage de votre prise de parole: il n’est pas évident de parler de racisme au Québec, nombre de Québécois étant convaincus qu’il n’y en a absolument pas et accusant ceux qui l’évoquent de faire du «Québec bashing» (sic). Même le premier ministre François Legault est en plein déni, lui qui n’a de cesse de répéter à ce sujet que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors qu’il gaffe lui-même sur le sujet de manière répétée. (Sa dernière bévue notable est survenue en 2022, quand, coincé de toutes parts, il a dû finir par se résoudre à présenter ses excuses à Carol Dubé, le conjoint de feu Joyce Echaquan, après avoir prétendu à tort que le problème de racisme envers les Autochtones était réglé à l’hôpital de Joliette.)

Disons-le donc de manière claire et nette: il y a bel et bien du racisme au Québec, et cela se vérifie notamment en entreprise. Pis, ce racisme est d’autant plus douloureux pour ceux qui en pâtissent qu’il est nié par la plupart des gens, notamment par les dirigeants d’entreprise et autres responsables des ressources humaines. J’en veux pour preuve, entre autres, une récente étude menée dans l’ensemble du Canada par le site web d’emplois Indeed. Regardons ça ensemble…

Pour commencer, le simple statut d’immigrant est un frein sur le marché de l’emploi:

– 22% des nouveaux arrivants (moins de 12 mois au Canada) disent que leur statut d’immigrant est un obstacle pour trouver un emploi.

– Ils sont 54% à dire la même chose pour ceux qui sont présents au Canada depuis 12 à 24 mois. Oui, vous avez bien lu: cela concerne 1 immigrant sur 2.

L’un de ces obstacles survient au moment de la présélection des CV en vue d’un entretien d’embauche. L’étude d’Indeed évoque notamment le fait que «les noms à consonance étrangère sont beaucoup moins susceptibles d’être présélectionnés que les autres». Un point que je peux valider moi-même: un jour, lors d’un des événements Tru Montréal, j’ai assisté à une discussion de groupe composé de responsables des RH qui avouaient toutes qu’elles écartaient d’emblée les CV des candidats dont elles n’arrivaient pas à prononcer le nom: «Si je n’y arrive pas, qu’est-ce que ce sera pour les membres de l’équipe où il atterrira? Ça nous évite un gros choc culturel…», a même expliqué l’une des participantes, le plus sérieusement du monde.

Ensuite, la discrimination est très souvent présente sur le lieu de travail, de manière directe et ouverte.

– 34% des nouveaux arrivants disent avoir été victimes de discrimination fondée sur leur race sur leur lieu de travail.

– C’est également le cas pour 26% des immigrants installés ici depuis 12 à 24 mois.

Cela peut prendre différentes formes:

– Commentaires apparemment anodins qui visent, en vérité, à exclure la personne ciblée (43% des nouveaux arrivants disent en subir).

– Exclusion des activités sociales (31%).

– Intimidation de la part de collègues (26%).

– Informations délibérément dissimulées afin que la personne concernée n’atteigne pas les objectifs qui lui sont fixés (22%).

– Commentaires qui visent à rabaisser la personne ciblée, en pleine réunion de travail (12%).

– Etc.

Résultat? «Le stress psychologique que tout cela crée rend le travail quotidien et le maintien en poste difficiles», note l’étude d’Indeed. Ce qui correspond tout à fait, me semble-t-il, à votre cas, Moncef.

En toute logique, les immigrants finissent par perdre patience. Ainsi, 61% des nouveaux arrivants tentent d’ignorer les actes discriminatoires dont ils sont victimes, en se disant en leur for intérieur qu’il leur suffit de faire preuve de résilience. Mais ils ne sont plus que 37% à adopter cette posture en ce qui concerne ceux qui sont là depuis 12 à 24 mois.

Arrive assez vite le moment où les immigrants, tannés, se disent qu’ils feraient mieux d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Au jour d’aujourd’hui, 39% d’entre eux avouent qu’ils cherchent activement un nouvel employeur, dans l’espoir que le racisme y sera moins présent.

J’entends régulièrement des employeurs se plaindre de la pénurie de main-d’œuvre, qui les empêche de tourner à plein régime, de lancer de nouveaux projets, d’accepter même de nouveaux contrats pourtant susceptibles de les aider à se développer, conscients que le manque de personnel les empêchera de livrer la marchandise. Ces mêmes employeurs critiquent souvent leurs nouvelles recrues issues de l’immigration, «qui ne pensent qu’à partir chez un autre employeur au lieu de chercher à s’intégrer à leur équipe de travail». Bref, des employeurs qui ne voient pas la poutre fichée dans leur œil.

L’étude d’Indeed le leur dit sans fard: «Quelque 1,5 million d’immigrants doivent venir au Canada d’ici les trois prochaines années, et cela représente pour les employeurs une occasion en or de pallier la pénurie de main-d’œuvre dont ils souffrent tant, y est-il indiqué. Mais à condition, bien entendu, qu’ils mettent en place une véritable politique d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI).»

Selon Indeed, les secteurs des soins de santé, de la fabrication, de la construction et de l’hôtellerie, entre autres, ont actuellement les plus grandes difficultés du monde à recruter. «Les nouveaux arrivants pourraient les sortir de la mouise, si jamais ils y subissaient moins, voire plus du tout, de discrimination», estime l’étude. Et d’ajouter que certains secteurs comme la haute technologie et l’informatique parviennent à tirer parti des nombreux talents des immigrants: d’ailleurs, «40% des programmeurs et des ingénieurs en informatique sont aujourd’hui des immigrants au Canada».

Voilà, Moncef. Votre employeur a tout à gagner à faire appel aux talents des immigrants, mais pour mille et une mauvaises raisons il ne réalise pas une seconde que son organisation est contaminée par le racisme ambiant. Et vous ne rêvez plus que d’une chose: le fuir.

Lui, comme de nombreux autres employeurs, se doit de regarder la réalité en face, même si elle n’est pas belle à voir. Le racisme existe bel et bien, il est même présent à peu près partout. Y compris chez lui. Et sa mission est on ne peut plus simple: le débusquer et de le combattre sans répit et sans merci. À plus forte raison en ces temps de pénurie criante de main-d’œuvre.

Ma modeste suggestion: imprimez cette chronique et affichez-la sur le babillard qui se trouve sûrement à proximité de la distributrice de café de votre organisation. Qui sait? Ça fera peut-être ouvrir les yeux à certains, qui réaliseront qu’ils gagneraient notamment à se renseigner sur ce qu’est l’ÉDI. Pour le plus grand bienfait de l’ensemble de l’organisation.

En passant, l’écrivain français Robert Sabatier a dit dans «Le Livre de la déraison souriante»: «Le racisme est une manière de déléguer à l’autre le dégoût qu’on a de soi-même».

 

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