La redoutable aura des champions

Publié le 29/06/2010 à 09:10

La redoutable aura des champions

Publié le 29/06/2010 à 09:10

Par Premium

Que ce soit dans le sport ou dans les affaires, la supériorité incontestable d’un adversaire n’encourage pas nécessairement l’émulation. Bien au contraire…

Les adversaires de Bobby Fischer, l’un des plus grands joueurs d’échecs de tous les temps, tombaient souvent malades : migraine, hypertension et gastroentérite comptaient parmi les symptômes du mystérieux « syndrome Fischer ». « Quand on affronte Bobby, a déjà admis Boris Spassky, un grand rival du joueur prodige, on ne se demande pas si on va perdre ou si on va gagner, mais plutôt si on va survivre à l’expérience. » Et, selon de récentes études, ce genre d’effondrement psychologique n’est pas l’apanage des joueurs d’échecs. Contrairement à ce que veut la croyance populaire, la concurrence féroce n’entraîne pas le dépassement de soi. En réalité, face à un rival nettement supérieur, on a plutôt tendance à baisser les bras. C’est ce qu’on appelle l’effet superstar.

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S’il est un milieu qui compte son lot de vic¬times de cet effet, c’est bien le golf professionnel, dominé depuis une dizaine d’années par Tiger Woods. Selon Jennifer Brown, professeure de macroéconomie appliquée à la Kellogg School of Management de l’université Northwestern, Tiger Woods est un champion d’une supériorité si incontestable que sa seule présence dans un tournoi peut pousser les autres concurrents à jouer beaucoup moins bien que d’habitude. Puisqu’ils s’attendent à le voir gagner, ils se persuadent qu’ils vont perdre, et voient ainsi leurs pires prédictions se réaliser.

Jennifer Brown soutient que l’effet superstar tue la motivation dans toutes sortes d’environnements concurrentiels, du terrain de golf au cabinet d’avocats en passant par le commerce de détail. « La plupart des gens croient à tort qu’ils se surpasseront en se mesurant à une sommité, dit-elle. Or, quand ils ont à faire face à une véritable superstar, ils se disent assez vite qu’ils ne voient pas pourquoi ils consacreraient beaucoup d’énergie à un combat qu’ils croient perdu d’avance. »

La chercheure a découvert l’effet superstar en analysant des données recueillies par la Professional Golfers Association (PGA) sur tous les participants des tournois qui se sont déroulés entre 1999 et 2006. Elle a choisi le golf pour différentes raisons : les données extrêmement fiables de la PGA, le fait que le golf est un sport individuel (la dynamique d’équipe aurait pu fausser la donne) et, surtout, la présence de Tiger Woods, l’archétype même de la superstar.

Les chiffres confirment la légende : lorsque Tiger Woods s’est temporairement retiré de la compétition en novembre dernier, son score au classement mondial était de 16.169, soit presque le double de la somme des marques de ses deux plus proches adversaires. Il a gagné plus de tournois majeurs en carrière que tout autre golfeur professionnel et, au sein de la PGA, il a remporté 10 fois le titre de meilleur joueur de l’année, un record.

Une telle fiche a de quoi intimider. Chaque fois que Tiger Woods participe à un tournoi, les autres golfeurs frappent en moyenne la balle 0,8 coup de plus, dont 0,3 coup dès le premier parcours de 18 trous. Cela peut sembler insi¬gnifiant comme différence, mais il ne faut pas oublier que, souvent, un seul point sépare les deux meilleurs joueurs de la PGA. Il est également intéressant de noter que l’effet superstar varie en fonction du classement des golfeurs : plus un joueur est bien classé, plus sa performance se détériore à un tournoi auquel participe Tiger Woods, ce qui n’est pas le cas pour un joueur disons « moyen », donc moins sensible à l’aura de la superstar.

Résignés à la défaite

Selon les principes de la gestion moderne, la meilleure façon de tirer le maximum de ses employés consiste à les plonger dans des situations concurrentielles semblables à des tournois. C’est sur ce type de principes qu’était basée, par exemple, la structure hiérarchique établie par Jack Welch chez General Electric. C’est lui qui est à l’origine de la règle du 20-70-10, selon laquelle on doit récompenser généreusement les employés les plus performants (tranche supérieure de 20 %), tandis qu’on doit indiquer la porte aux moins performants (tranche inférieure de 10 %).

S’il est vrai que de telles mesures sont motivantes et incitent les employés à déployer les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs fixés, la présence d’une superstar risque de produire l’effet contraire. Plutôt que de faire de leur mieux, les employés se résigneront à l’inévitable défaite.

Selon Jennifer Brown, l’effet superstar est particulièrement marqué lorsque les récompenses sont surtout empochées par le vainqueur (pourquoi se battre pour la deuxième ou la troisième place, si c’est pour remporter des broutilles ?). L’exemple du golf est particulièrement éloquent à ce titre. Non seulement le gagnant d’un tournoi encaisse une somme disproportionnée par rapport au montant remporté par les autres, mais, en plus, il récolte toute la gloire.

Dans les cabinets d’avocats, les nouveaux associés font aussi les frais de cette structure de récompenses. « La plupart d’entre eux savent que leurs services ne seront pas retenus, conclut-elle. Soit ils gagnent, soit ils sont remerciés. » S’il est évident que l’un de ces jeunes avocats part favori, les autres auront tendance à ne pas faire de leur mieux pour gagner la course. C’est là tout le problème des situations concurren¬tielles où il y a une superstar. Puisque les autres sont presque certains de perdre, ils ménagent leurs efforts. Bref, les défis extrêmes rendent moins performant.

Selon la chercheure, toute entreprise qui encourage la concurrence interne doit tenir compte de l’effet superstar, sinon elle risque de se retrouver avec des employés à la fois malheureux et démotivés, une situation désastreuse. C’est la raison pour laquelle il n’est pas toujours indiqué d’embaucher le meilleur candidat.

Bien entendu, une saine compétition peut être productive et avoir des effets inattendus. Bien que rivaux, Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald étaient amis et se sont ainsi mutuellement aidés dans leur écriture. « Le plaisir de la conquête croît avec la rivalité », écrivait d’ailleurs la romancière américaine Louisa May Alcott.

Tétanisés par la panique

Mais revenons au golf. Les adversaires de Tiger Woods affichent une piètre performance non seulement parce qu’ils sont démotivés, mais aussi parce qu’ils font trop d’efforts pour réussir. Dès qu’ils voient apparaître le champion, ils deviennent nerveux, car ils savent qu’ils devront jouer à la perfection s’ils veulent avoir une chance de le battre (sans compter qu’ils ne veulent pas avoir l’air ridicule devant les caméras). Ils sont soudain obsédés par leur élan et tentent à tout prix d’éviter la moindre erreur. Malheureusement, un tel état d’esprit n’arrange rien, et ils finissent par envoyer la balle tout droit dans l’étang. Autrement dit, ils paniquent.

Sian Beilock, professeure de psychologie à l’université de Chicago, a contribué à expliquer le fil des pensées qui conduisent les athlètes professionnels, notamment les golfeurs, à craquer sous la pression. Selon elle, un apprenti golfeur peut facilement se décourager, car il doit penser à beaucoup de choses en même temps : tenir le bâton comme il faut, redresser les épaules, frapper la balle en souplesse et laisser le bâton faire un élégant arc de cercle après l’impact. Pour un joueur sans expérience, le golf peut ressembler à une interminable liste d’instructions et d’interdictions.

Mais l’expérience change tout. À force d’entraînement, le golfeur expérimenté ne pense plus aux menus détails techniques comme le fait le débutant. Mais si jamais il devait y repenser soudainement, alors sa performance serait moins bonne que d’habitude, selon les travaux de Sian Beilock. La prise de conscience fait disparaître la grâce du talent. « Pour les golfeurs d’un certain niveau, explique la professeure, la technique est devenue en quelque sorte automatique. Ils n’ont plus besoin de se surveiller à la moindre étape. Mais quand on leur demande de prêter une attention particulière à leur élan, ils ratent tout simplement leur coup. »

C’est justement ce qui se passe quand on panique. Par nervosité, les adversaires de Tiger Woods se mettent à analyser les mouvements qu’ils ont l’habitude de faire machinalement et à douter des techniques qu’ils ont pourtant perfectionnées pendant des années. Plutôt que de motiver ses rivaux à élever leur jeu à son niveau, la superstar les intimide et les fait régresser.

Au début des années 1960, le psychologue Sam Glucksberg a réalisé une expérience qui lui a permis de conclure que la concurrence pouvait aussi inhiber la créativité. Il a soumis un problème à deux groupes de sujets en promettant une récompense de 20 dollars à la première personne qui trouverait la solution dans le groupe expérimental, et en disant aux sujets du groupe témoin de prendre tout leur temps. Résultat : les sujets du premier groupe ont mis en moyenne trois minutes de plus que ceux du second groupe pour résoudre le problème. Pour Sian Beilock, ce genre d’expérience devrait nous encourager à remettre en question les évaluations basées sur une seule performance avec récompense à la clé.

Rivaliser avec une superstar peut se révéler paniquant. « En voyant quelqu’un d’autre afficher une performance supérieure, on peut devenir plus conscient de la nôtre, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable, conclut la professeure. C’est la raison pour laquelle il vaut mieux s’asseoir au premier rang de la classe quand on passe un examen difficile. On évite ainsi de se comparer aux autres. »

Muhammad Ali. Autoproclamé le « plus grand », ce champion poids lourd de 1,90 m (6 pi 3 po) était terrifiant sur le ring. Mais il lui arrivait d’avoir peur. De son propre aveu, il était paniqué à l’idée d’affronter Sonny Liston en 1964 — ce qui ne l’a pas empêché de gagner le combat.

Babe Ruth. Plusieurs générations de joueurs de baseball se sont succédé avant que naissent ceux qui ont affiché de meilleures moyennes au monticule que Babe Ruth, l’un des tout premiers athlètes vedettes. Ce dernier a prêté son image à toutes sortes de produits, du tabac à chiquer aux sous-vêtements.

Michael Jordan. Six fois champion de la NBA, il est souvent celui que l’on nomme en premier lorsqu’on tente de dresser la liste des plus grands athlètes de tous les temps. Il a contribué à populariser le basketball dans le monde entier. « Comme le croupier au casino, Jordan ne perd jamais », a déclaré John Calipari, l’ancien entraîneur des Nets du New Jersey.

Roger Federer. On dit de lui qu’il est le meilleur joueur de tennis de l’Histoire. Il se classe actuellement au premier rang mondial. Au dernier Omnium d’Australie, il a remporté son 16e tournoi du Grand Chelem.

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