Et si le Plan B était le meilleur...

Publié le 04/08/2010 à 15:15, mis à jour le 04/08/2010 à 15:15

Et si le Plan B était le meilleur...

Publié le 04/08/2010 à 15:15, mis à jour le 04/08/2010 à 15:15

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Au départ, Biz Stone voulait lancer Odeo, et non Twitter. Photo : Bloomberg.

Tout le monde admire aujourd’hui des entreprises telles qu’Apple et Twitter. Pourtant, ce qui fait leur succès ne correspond pas à leur plan d’affaires initial, mais à leur Plan B…

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Auteurs : John Mullins et Randy Komisar | MIT Sloan Management Review

En 2006, Biz Stone, Evan Williams et Jack Dorsey travaillaient sur un nouveau projet, un service de baladodiffusion qui s'appellerait Odeo. En marge de la réflexion, Jack Dorsey a lancé à la cantonnade qu’il il serait très utile que leur future entreprise possède un service de messagerie n'utilisant que de courts messages pour permettre aux employés de communiquer entre eux rapidement et efficacement.

Ils ont donc conçu une application Web permettant d’échanger de courts messages, d'au plus 140 caractères. Ils ont vite réalisé que cette application était beaucoup plus prometteuse que le projet de départ, Odeo. C'est ainsi qu'est né ce que la planète entière connaît maintenant sous le nom de Twitter…

L’exemple de Twitter est loin d’être isolé. Il montre à quel point il est important pour les entrepreneurs de ne pas se contenter de concrétiser une idée originale, mais d’amener le projet initial là où il peut être le plus performant, quitte à le modifier – parfois profondément - en chemin. C’est ainsi qu’un Plan B pour être la véritable voie du succès.

Où est le problème?

On ne se trompe pas en affirmant que tout entrepreneur en herbe est convaincu que son plan d’affaires – le Plan A – fonctionnera ; à tel point que certains se voient déjà en une des magazines Fortune ou Inc. Mais en général, ils font erreur.

Ce qui distingue ceux qui réussissent des autres, c'est l'attitude qu'ils adoptent quand leur plan A échoue: s'entêtent-ils à concrétiser leur projet, ou après avoir pansé leurs blessures, revoient-ils leur copie pour trouver un plan encore meilleur? Si les fondateurs de Goole, de Starbucks et de PayPal s'en étaient tenus à leur plan original, nous n'aurions très certainement jamais entendu parlé d'eux; ils ont eu le cran de modifier radicalement leur plan de départ, et engrangent maintenant des profits faramineux.

Comment s’y sont-ils pris? Qu’est-ce qui leur a permis de passer d’un plan A médiocre à un plan B prodigieux? Pourquoi eux ont réussi, et pas d’autres?

Avant tout, soyons francs, même si cela fait mal: presque tous les projets de départ – que ce soit celui d’une entreprise naissante ou d’une innovation dans une entreprise déjà établie –, s'appuient sur un plan mal conçu. Ce dernier est souvent basé sur des hypothèses non démontrées, ou encore comporte de telles failles qu’il est voué à l’échec. La plupart des nouvelles entreprises, même si elles ont un capital suffisant ou des appuis solides, partagent donc cette caractéristique: elles vont droit à l’échec.

La parade? Réfléchir le plus vite possible à un Plan B, faire comme Google, Starbucks et PayPal, qui ont vite retravaillé leur Plan A afin de découvrir un nouveau modèle d’affaires qui fonctionnera. Et ce, sans craindre de tout remettre en question : Max Levchin, qui souhaitait créer une entreprise utilisant son expertise en cryptographie, est allé – selon ses propres mots - jusqu’au «Plan F» pour trouver enfin le bon modèle d’affaires, qui est devenu PayPal.

Le cas d’Apple

Sergey Brin et Larry Page, de Google, Howard Schultz, de Starbucks, ou encore Max Levchin, de PayPal, ont-ils simplement eu de la chance? Ou bien y a-t-il des constantes, dans leur parcours, qui pourraient servir de leçon aux autres entrepreneurs? Les réponses sont respectivement «Non» et «Oui». Un exemple éclairant : Apple…

L’iPod et la boutique en ligne iTunes d’Apple ont changé notre façon d’acheter et d’écouter de la musique. Mais constituaient-ils pour autant des nouveautés radicales?

Dès 1979, le Walkman de Sony permettait d’écouter la musique que l'on voulait où on le voulait! En 2000, Sony avait vendu plus de 300 millions de Walkman. Puis est arrivé le site Web Napster, qui permettait de télécharger – gratuitement, mais aussi illégalement – de la musique, et qui a séduit quelque 26 millions d’utilisateurs dans le monde.

Par conséquent, on peut affirmer qu’Apple a, en un sens, imité avec succès le modèle d’entreprises déjà établies – les «analogues» -, mais aussi s’est inspirée d’autres entreprises qui ont relativement échoué – les «antilogues» -, pour faire les choses autrement qu’elles. Pour l’iPod et iTunes, il y a eu plusieurs antilogues marquants: les lecteurs MP3 comme le Rio, dont les interfaces d'utilisateurs étaient boiteuses; les boutiques de musique en ligne comme MusicNet et Pressplay, qui n’ont jamais percées en raison de choix limités de chansons et d’artistes; etc.

Autre analogue d’Apple : Gillette, le fabricant de produits de rasage. En effet, celui-ci vendait ses rasoirs sans faire de profit, mais engrangeait beaucoup de revenus grâce aux lames de rasoir. Steve Jobs s’est inspiré de ce modèle, mais en l’inversant : avoir une faible marge sur les produits vendus par iTunes, et une plus conséquente sur les iPod. Avantage supplémentaire : l’industrie traditionnelle de la musique se sentirait moins attaquée par ce nouveau modèle d’affaires, le nouveau joueur Apple ne se servant que très peu au passage à chaque chanson vendue en ligne.

Steve Jobs a ainsi montré comment l’on pouvait prendre une idée existante et la greffer habilement à un autre domaine. «Picasso, dit souvent le pdg d’Apple, aimait à répéter que les bons artistes copient et que les grands artistes volent… Mais nous, nous avons pourtant toujours des scrupules à voler les bonnes idées des autres.»

Votre propre Plan B

Alors, comment trouver le modèle d'entreprise qui fonctionnera pour vous? Tout d’abord, il vous faut une idée qui vous passionne. Les meilleures idées sont celles qui permettent de régler un problème que d’autres éprouvent, un problème que l'on connaît bien et pour lequel on croit avoir une solution. Dans le cas d'Apple, ce problème, c'était celui des compositeurs, des artistes et des maisons de disques: les consommateurs pouvaient s'approprier leur musique sans leur payer quoi que ce soit!

Ensuite, vous devez trouver des analogues, auxquels vous pourrez emprunter des idées ou des façons de faire, ou qui vous aideront à comprendre certains aspects de l'entreprise que vous souhaiter bâtir. Vous aurez aussi besoin d'antilogues. À noter que les analogues et les antilogues ne font pas nécessairement partie du même secteur d'activité que vous; les tuyaux les plus profitables viennent d’ailleurs parfois d'endroits où l'on s'attend le moins à les trouver.

Muni des éléments tirés des analogues et des antilogues, vous pouvez déterminer quelques certitudes quant au modèle d’affaires qu’il vous faut. Mais attention, ces certitudes ne suffiront pas à vous garantir le succès, loin de là. Les échecs résultent de ce que l’on ne sait pas, et non de ce que l’on sait.

D’où l’importance de vous interroger sur toutes les inconnues liées à votre projet. Les questions que vous vous posez – à partir d'observations que vous avez faites ailleurs – et auxquelles vous n'avez pas de réponses vont vous obliger à faire ce que l’on peut appeler des «actes de foi». Cela signifie que vous devrez apporter des réponses à ces interrogations pour pouvoir avancer dans votre projet, et ce même si rien ne vous dit que vos réponses sont les bonnes. Sans quoi, vous risquez la panne.

Un bon tableau de bord

Faire un acte de foi, c'est faire un saut dans l'inconnu. Définissez maintenant les actes de foi clés à faire, et testez les réponses qui vous semblent les meilleures. Par exemple, envisagez sérieusement d’ouvrir une boutique plus petite que celle dont vous réviez au départ, et regardez les réactions des clients potentiels; même chose avec des prix différents que ceux prévus au départ pour votre nouveau produit ou service; etc. ce travail vous permettra d’affiner votre Plan A, ou même de réaliser que mieux vaut passer directement au Plan B, le tout sans perdre trop d’argent et de temps.

Afin de bien évaluer votre plan d’affaires, sachez que 5 éléments clés quantifiables doivent être pris en compte :

Les revenus – Qui seront les acheteurs? Quand, à quel rythme et à quel prix achèteront-ils? Combien recevrez-vous à chaque achat, et quand recevrez-vous le paiement?

La marge bénéficiaire brute – Combien vous restera-t-il une fois que vous aurez payé les coûts directs de ce que vous aurez vendu?

L'exploitation – En plus du coût du bien ou du service que vous aurez vendu, combien d'argent devrez-vous dépenser pour pouvoir continuer à exploiter votre entreprise?

Le fonds de roulement – Quel est le délai que vous pensez pouvoir fixer aux clients pour payer ce qu'ils auront acheté? Devrez-vous immobiliser de fortes sommes sous forme de stocks, en attendant que des acheteurs se présentent? Pourrez-vous payer vos fournisseurs après que vos clients, eux, vous auront payé?

L'investissement – Combien devrez-vous investir avant d'avoir assez d'acheteurs pour couvrir vos dépenses?

Considérez que vous avez désormais un tableau de bord devant vous, doté de ces 5 éléments clés. Celui-ci vous permettra d’arriver à bon port, car il vous donnera la direction à suivre, ou encore la distance qui doit encore être parcourue. Il vous forcera à penser de façon stratégique (Quels sont mes problèmes les plus importants? Etc.), à réfléchir de manière rigoureuse (les chiffres trompent rarement), à tester vos hypothèses (si l’une d’elles est réfutée par le tableau de bord, vous le verrez tout de suite) ainsi qu’à montrer aux autres la situation dans laquelle vous êtes (partenaires, clients potentiels, etc.).

Un seul élément clé peut faire la différence

Les 5 éléments clés sont déterminants dans votre réussite ou votre échec, mais sachez que parfois un seul d’entre eux peut faire toute la différence et déboucher sur un succès incroyable. Ainsi, l’élément vital de Google a été celui des revenus. Au départ, celui-ci n’existait pas puisqu’il s’agissait d’un moteur de recherches totalement gratuit. Le Plan B – autoriser, sous licence, d'autres portails à utiliser le moteur – n'était pas meilleur sur ce point. Pour que l'entreprise engrange des profits, il a fallu passer à un plan C: produire des listes de recherches payantes, en plus des listes gratuites. Et le plan D, encore plus payant, a été pour Google de fournir des publicités ciblées, sur la base de ses propres algorithmes de recherche; c'est d'ailleurs de cette façon que Google a généré la moitié de ses revenus depuis 2004.

Pour Ryanair, l’élément vital a été l'exploitation. La compagnie aérienne à rabais n'utilise qu'un seul type d'appareil, n'offre pas de repas gratuit en vol, vend ses billets uniquement sur Internet, et a même supprimé les stores de hublot et les pochettes de sièges pour diminuer le temps de nettoyage entre les vols. Ce modèle d’exploitation particulier a permis à Ryanair de connaître une croissance spectaculaire, nettement plus rapide que tout autre compagnie aérienne européenne.

Parfois, une combinaison originale dans plusieurs éléments clés permettent de connaître le succès. Un exemple remarquable est celui de l’Espagnol Zara, dans le secteur pourtant très concurrentiel du commerce de vêtements.

Le modèle de Zara est axé sur quatre processus – design, production, distribution et ventes –, tous conçus en fonction de la rapidité (c'est pourquoi on parle de «fast fashion» à son propos…) : il ne faut que deux semaines pour qu'un vêtement, depuis son dessin en atelier, arrive en magasin. Voici comment se présente la partie déterminante de son tableau de bord:

Les revenus – La production en petits lots crée la rareté et incite les clients à revenir souvent et à acheter rapidement, avant que les modèles ne soient épuisés.

La marge bénéficiaire brute – Les articles peu populaires étant rares, il n'est pas nécessaire d'offrir de réductions; Zara a ainsi l'une des plus importantes marges brutes du secteur.

Le fonds de roulement – Les fournisseurs savent qu’avec Zara le volume est assuré: ils offrent donc au détaillant un délai de paiement de 60 jours. Les clients de Zara, eux, paient comptant ou par carte de crédit; en moins d'une semaine, le détaillant a donc les liquidités en main. Roulement rapide des stocks, grande disponibilité de liquidités et long délai de paiement des fournisseurs: difficile d'imaginer meilleur modèle de fonds de roulement!

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John Mullins est professeur agrégé de pratiques de la gestion et titulaire de la David and Elaine Potter Foundation Term Chair in Marketing and Entrepreneurship à la London Business School.

Randy Komisar est l'un des associés de Kleiner Perkins Caufield & Byers (Menlo Park, en Californie).

Leur plus récent ouvrage, dont cet article présente un cours résumé, s'intitule Getting to Plan B: Breaking Through a Better Business Model (Harvard Business Press, 2009).

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Adapté de :

MIT Sloan Management Review

Cette publication trimestrielle de la MIT Sloan School of Management, du Massachusetts Institute of Technology, à Cambridge, diffuse et vulgarise des travaux de chercheurs spécialisés en management.

 

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