Avoir les moyens de ses ambitions

Publié le 14/02/2013 à 09:32, mis à jour le 15/02/2013 à 09:32

Avoir les moyens de ses ambitions

Publié le 14/02/2013 à 09:32, mis à jour le 15/02/2013 à 09:32

Par Premium

Se donner les moyens de ses ambitions suffit parfois à atteindre des résultats exceptionnels. Mais il faut d’abord se libérer des croyances et des principes que l’entreprise a acceptés aveuglément.

Auteurs : Sanjay Khosla et Mohanbir Sawhney, S+B

Tang, la boisson en poudre du matin a longtemps été une des marques phare du géant agroalimentaire Kraft. Elle était devenue célèbre pendant les années 1960 lorsque la NASA l’avait incluse dans les rations des astronautes américains. Mais en 2007, la marque traversait un cycle de rendements inférieurs. L’équipe de direction des marchés en développement de Kraft a alors désigné Tang comme l’une des dix principales marques qui nécessitaient une attention particulière. Elle a élaboré une stratégie inusitée pour propulser de nouveau les ventes de la boisson en poudre : les directeurs de la marque Tang dans des pays clés comme le Brésil ont reçu un «chèque en blanc». Cet encouragement les incitait essentiellement à voir grand et à ne pas se préoccuper des ressources. Les résultats ont été stupéfiants. Depuis cette date, les ventes de Tang ont doublé à l’extérieur des États-Unis et elle est devenue une marque rentable de 1 milliard de dollars américains (en comparaison, Tang avait mis 50 ans à franchir le cap des 500 millions de dollars de revenus). La transformation de marques comme Tang a contribué à faire passer le chiffre d’affaires de Kraft dans les marchés en développement de six milliards de dollars en 2007 à plus de 15 milliards de dollars en 2011, ce qui a considérablement amélioré ses marges.###

Le concept du chèque en blanc

Le « chèque en blanc » est une métaphore et représente la liberté accordée à une équipe de décider par elle-même des ressources financières dont elle a besoin pour atteindre une série d’objectifs déterminés dans un délai défini. Cette liberté d’action incite les équipes à « viser la lune », tout en leur donnant l’énergie nécessaire pour se libérer de la contrainte des budgets prédéterminés et du statu quo. Le chèque en blanc n’est pas une autorisation de dépenser sans limites, sans directives ou sans conséquences. Les équipes doivent définir les ressources dont elles auront besoin, c’est-à-dire remplir le montant laissé en blanc sur le chèque. Chaque initiative prise dans ce cadre doit être compatible avec la stratégie de gestion globale de l’entreprise. De plus, elle doit pouvoir produire une croissance rentable soutenue. Les chèques en blanc ne visent pas à produire des « bons coups isolés » qui dopent les résultats à court terme, mais plutôt à faire germer de bonnes idées qui alimenteront un cercle vertueux et changeront la trajectoire de l’entreprise à long terme.

Par ailleurs, les équipes qui acceptent des chèques en blanc sont tenues pour entièrement responsables de l’atteinte de résultats quantifiables. Les chèques en blanc procurent une liberté d’action à l’intérieur d’un cadre, mais un ensemble de règles de base est établi pour s’assurer que les initiatives respectent la stratégie et donnent des résultats. Par exemple, le cadre pourrait comprendre une série de priorités, des secteurs cibles, des plateformes d’innovation, de grands hypothèses, voire une stratégie d’acquisition qui guide la stratégie ou la vision globale de l’entreprise. Chez Kraft, par exemple, le secteur des marchés en développement a une stratégie de croissance ciblée sur cinq grandes catégories (par exemple, biscuits et chocolat), dix marques populaires (par exemple, Oreo, Tang, Trident et Cadbury) et dix marchés prioritaires (par exemple, le Brésil, l’Inde et la Chine). La stratégie s’appelle 5-10-10. Kraft se sert de cette stratégie comme cadre de travail et donne aux dirigeants la liberté de choisir les équipes de l’organisation qui dirigeront le programme de croissance 5-10-10 au moyen de chèques en blanc.

Son fonctionnement

Pour appliquer le concept du chèque en blanc, les dirigeants d’entreprise doivent passer par un processus systématique qui comprend la sélection des meilleures hypothèses, le choix de l’équipe, la définition des objectifs et des plans, le lancement de l’initiative et le contrôle des résultats.

1. Sélection des meilleures hypothèses. La première étape d’une initiative de chèque en blanc consiste à choisir les domaines de l’entreprise sur lesquels concentrer les efforts de développement. Les chèques en blanc sont conçus pour financer des initiatives importantes. Il est donc crucial de bien les choisir. Les domaines d’affaires d’une entreprise peuvent être définis de différentes façons — un marché géographique (la Chine, par exemple), une marque (Tang), un secteur (service alimentaire), une catégorie (boissons) un segment de consommation (adolescents). Le domaine peut aussi être une combinaison de ceux-ci (Oreo en Chine). Les chèques en blanc peuvent également être appliqués à des secteurs fonctionnels tels que la chaîne d’approvisionnement ou la fabrication. Nous recommandons de choisir un maximum de deux ou trois définitions pour le domaine et de les utiliser pour façonner le contexte stratégique élargi dans lequel on trouvera des projets de chèque en blanc. Il faut que l’initiative soit motivée par la recherche de performance et fondée sur des valeurs, tout en respectant les lois fédérales et locales et les pratiques de conformité de l’entreprise.

Les dirigeants doivent se souvenir de trois critères lorsqu’ils choisissent les domaines pour les initiatives de chèques en blanc.

1. Premièrement, l’entreprise devrait être très dynamique. Il est toujours plus facile de tirer profit d'un domaine qui fonctionne bien que d'un domaine en difficulté. Pour réussir, il faut notamment viser l’or, c’est-à-dire trouver ce qui fonctionne, puis intensifier rapidement les efforts lorsque les facteurs de réussite deviennent évidents.

2. Un deuxième grand facteur de réussite est le potentiel de marge de profit de l’entreprise. Il est souvent risqué de considérer la croissance comme une fin en soi.

3. Troisièmement, l’initiative doit être importante, c’est-à-dire qu’elle doit avoir des retombées intéressantes avec le moins d’efforts possible.

2. Choix de l’équipe. Au final, les chèques en blanc sont une sorte de pari sur les gens, en partant du principe qu’ils ont le potentiel, la passion et la persévérance nécessaires pour transformer leur entreprise. Le choix du récipiendaire du chèque en blanc ira vers la personne responsable d’un certain secteur de l’entreprise où le chèque en blanc peut alimenter la transformation. Il incombe à l’équipe de direction de trouver cette bonne personne. Les chefs d’équipe choisis ne sont pas nécessairement les plus anciens ou les plus expérimentés : ce sont ceux qui offrent le plus de potentiel. Ce n’est toutefois là que le critère de départ.

Les dirigeants d’entreprise doivent aussi se poser une série de questions sur le candidat appelé à recevoir le chèque en blanc. Cette personne est-elle un choix évident, selon ses responsabilités actuelles et l’étendue de ses responsabilités ? Sera-t-elle disposée à accepter cette responsabilité sans se laisser paralyser par la peur ? Sera-t-elle capable d’envisager de nouvelles façons de penser ? Pourra-t-elle inspirer les membres de son équipe à procéder différemment? A-t-elle un historique de réalisations intéressant ? Si la réponse à l’une de ces questions est négative, les dirigeants doivent trouver un autre candidat. Et s’ils n’en trouvent aucun qui soit approprié, il est possible qu’ils décident que le secteur d’activité visé ne convient pas à un chèque en blanc.

3. Définition des objectifs et des projets. Une fois que les dirigeants d’entreprise ont choisi le domaine et les chefs d’équipe qui recevront un chèque en blanc, ils doivent définir les cibles à atteindre. Les cibles doivent être quantifiées, audacieuses et délimitées dans le temps. Les objectifs quantifiés sont clairs, de sorte que tout le monde comprend parfaitement la nature et les buts de l’exercice. Ils doivent être mesurables selon des paramètres bien définis comme les revenus, les marges brutes et les flux de trésorerie de l’entreprise. Ils doivent aussi être audacieux : ils ne devraient pas être atteints simplement en apportant des améliorations progressives. Les équipes sont tenues de mettre en doute les croyances qu’ils associent à leur entreprise en plus de remettre en cause les principes que l’entreprise a acceptés aveuglément. Les initiatives de chèques en blanc doivent également avoir un échéancier court, de quelques années maximum. Il est absolument essentiel d’avoir un ensemble d'objectifs clairement défini pour les 12 premiers mois. Un tel échéancier oblige les membres de l’équipe à produire des résultats rapidement. Ils n’ont pas la possibilité de poursuivre des améliorations progressives ou des initiatives qui ne produiront des résultats qu’à long terme.

À ce stade, on demande aux chefs d’équipe de soumettre un projet succinct (pas plus de deux pages) qui reflète les trois critères (voir plus haut dans le texte). Le temps accordé à l’équipe pour préparer la proposition d’affaires est assez court, ce qui évite que l’équipe se laisse paralyser par des analyses à outrance. Dans certains cas, l’équipe peut prendre jusqu’à un mois pour préparer une proposition. Elle peut ainsi peser les choix qui s’offrent à elle afin de s’assurer qu’elle prend des décisions qui, quoique prudentes, n’en changeront pas moins la trajectoire de l’entreprise. Dans certains cas, l’équipe décidera de refuser le chèque en blanc. C’est une bonne chose, car un chèque en blanc doit toujours être accepté de plein gré.

La proposition d’affaires doit définir l’initiative et les principales étapes que l’équipe franchira pour produire les résultats convenus. Cela comprend les objectifs, leur délai de réalisation, la description détaillée de l’exécution du plan, les principales étapes et les résultats à atteindre, ainsi que les projections financières. À l’étape initiale de la proposition, les premières phases d’exécution peuvent être décrites, mais il n’est pas nécessaire de détailler tout le projet.

Parallèlement à la proposition, l’équipe doit également indiquer le montant sur le chèque en blanc, c’est-à-dire les ressources financières qu’elle demande. Les montants des chèques en blanc auxquels nous avons été associés ont varié de quelques millions de dollars à 20 millions de dollars. Le montant doit être amplement suffisant pour que l’équipe puisse mener à bien l’initiative sans craindre de manquer d’argent à investir.

4. Lancement de l’initiative. Une fois le plan d’action approuvé, les dirigeants de l’entreprise doivent officiellement émettre le chèque en approuvant le montant que l’équipe a demandé et en le transférant dans un compte auquel les chefs d’équipe ont accès.

Le scepticisme est habituellement la première réaction à une initiative de chèque en blanc. Dans les entreprises, les individus sont conditionnés à l’idée qu’il faut se battre pour obtenir la moindre ressource. Ils ont été formés à penser en termes de budgets, de compression des coûts et de restrictions budgétaires. Ils n’ont probablement jamais connu de situation où ils pouvaient demander des ressources illimitées et il se peut qu’ils trouvent l’idée si étrange qu’il leur sera difficile d’y croire. Une fois que l’équipe comprend que ses dirigeants sont sérieux, le scepticisme peut rapidement faire face à la peur, celle de l’échec et celle des projecteurs. La crainte est souvent suivie d’une activité frénétique, et c’est alors que l’équipe tend à persister à faire les mêmes choses ou à les améliorer. Elle constate toutefois rapidement que cette pensée linéaire et extrapolative ne donnera pas les résultats révolutionnaires qu’elle doit obtenir. Il en résulte de formidables prises de conscience, parce que les membres de l’équipe sont obligés de se concentrer sur l’essence de l’entreprise, sur les marques et sur le marché.

5. Contrôle des résultats. Au moment de lancer l’initiative de chèque en blanc, il est important de fixer des jalons pour les principales réalisations et de les contrôler de près au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Nous recommandons des jalons trimestriels afin que des corrections puissent être apportées rapidement. Comme c’est le cas dans la phase de démarrage d’une entreprise, les initiatives de chèques en blanc se déroulent rarement comme convenu. L’équipe mènera des expériences et prendra des risques, et certaines de ces expériences échoueront inévitablement. L’échec fait partie du processus d’apprentissage. L’important, c’est de connaître l’échec au début et à un coût qui ne soit pas trop élevé, et d’apprendre rapidement de ces échecs. Les paramètres des initiatives de chèques en blanc devraient être suffisamment simples pour permettre d’évaluer les progrès dans un rapport d’une page.

Stimuler la croissance interne

Il n’est pas facile de trouver de la croissance interne rentable. Confrontés à une stagnation de la demande, à une intensification de la concurrence et à des pressions accrues sur les prix, les dirigeants d’entreprise estiment que leur croissance est limitée par l’environnement dans lequel ils se trouvent. Toutefois, ils s’imposent parfois eux-mêmes ces limites. Même des entreprises en apparence léthargiques ont un énorme potentiel inexploité. Si les dirigeants d’entreprise parviennent à libérer leurs employés des restrictions en matière de budgets et de ressources, leurs employés les étonneront et s’étonneront tout autant eux-mêmes de leurs réalisations. C’est là le pouvoir des chèques en blanc.

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