Quand le facteur humain l'emporte sur la stratégie


Édition du 05 Avril 2014

Quand le facteur humain l'emporte sur la stratégie


Édition du 05 Avril 2014

Par Claudine Hébert

Pourquoi près de 70 % des entreprises québécoises ne survivent-elles pas au transfert à la deuxième génération ? Nathalie-Anne Croft, conseillère et conférencière sur le thème de la relève, n'a pas la réponse. Elle peut toutefois cerner ce qui a provoqué la fermeture de l'entreprise manufacturière familiale qu'elle a dirigée pendant neuf ans.

Au printemps 2001, l'ex-directrice générale de Bertrand Croft inc., manufacturier des vêtements signés Alaska et Ozone, mettait la clé sous la porte de l'entreprise fondée par son père en 1960. Vente de liquidation des actifs, faillite légale... La soixantaine d'employés de cette entreprise de Saguenay ont été remerciés.

Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? «Les intérêts de la famille sont passés avant ceux de l'entreprise», concède Nathalie-Anne Croft, qui a vécu un cas de relève particulièrement complexe.

Rappel des faits. Bertrand Croft est subitement décédé en 1977, à 46 ans, d'une noyade. Son épouse, Gisèle, s'est retrouvée à la tête de l'entreprise sans pour autant figurer parmi les actionnaires, d'après le testament. Ce sont plutôt les six enfants de la famille, tous âgés de moins de 17 ans, qui ont hérité de l'entreprise à parts égales.

Ignorer les signes

Pendant plus de 15 ans, la veuve a mené les affaires, jusqu'à ce que son second époux décède à son tour, en 1992. Ce second veuvage, un autre choc, l'a incitée à se retirer des affaires. Du coup, les enfants se sont retrouvés du jour au lendemain aux commandes de la PME.

«On n'a pas bénéficié d'accompagnement pour prendre les bonnes décisions stratégiques sur les orientations de l'entreprise. On traînait un lourd modèle d'affaires. Alors que nos concurrents avaient déjà commencé à relocaliser leur production en Asie, notre usine continuait de payer ses employés 30 % plus cher que le salaire moyen des autres entreprises manufacturières au Québec», rapporte Mme Croft.

Mais congédie-t-on aussi facilement sa main-d'oeuvre lorsque cette dernière se compose à plus de 15 % d'oncles, de tantes, de frères et de soeurs ?

L'entreprise avait pourtant connu de belles années pendant plus de 30 ans. Elle a même reçu le titre de la PME Or du Saguenay-Lac-Saint-Jean en 1996.

«Le chiffre d'affaires, d'environ 5 à 6 millions de dollars, a commencé à diminuer dans les années 1990. Mais plutôt que de serrer la vis et de s'occuper de l'hémorragie, on diversifiait nos activités en ouvrant, par exemple, une boutique à Québec. Ça a été une grosse erreur. Le manque de vision, l'absence de valeurs communes et le modèle d'affaires, qui ne convenait plus, ont précipité la crise... La cloche sonnait, mais ni moi ni les autres ne l'entendions, trop absorbés à faire valoir nos points de vue», admet la jeune femme, qui partage aujourd'hui son expérience avec les PME en processus de relève.

«Les gens, dit-elle, croient que le facteur humain est ce qu'il y a de plus important lors de la relève. En fait, c'est l'importance accordée au facteur stratégique, soit tout ce qui concerne les décisions d'orientation, la vision, les valeurs et les croyances, qui permet la continuité de l'entreprise.»

Discordance de vision

Valérie Garrel, directrice générale de Dixit Coaching, peut témoigner des conséquences de l'absence de stratégies. Une entreprise du secteur du commerce de détail, dont la veuve de l'entrepreneur doit passer les rênes, s'est adressée à cette firme qui offre des services de coaching pour la relève. Le hic : ses trois fils n'ont aucune vision commune et se querellent sans cesse sur les stratégies à adopter. L'un est plus manuel, l'autre plus vendeur et le troisième pense chiffres. Les trois, poursuit-elle, font tour à tour appel à la mère comme médiatrice. Cette dernière ne veut privilégier aucun des trois et n'envisage pas non plus de vendre l'entreprise à un tiers. Conséquence, le chiffre d'affaires se dégrade, tout comme l'harmonie familiale. «La situation est si complexe que notre firme a refusé le mandat», avoue Mme Garrel.

Dixit Coaching n'est pas la seule firme de consultants à dire non à un mandat périlleux. «Il arrive fréquemment que notre service refuse d'accompagner le cédant et le releveur tellement les divergences sont palpables entre les deux», indique Mercedes Lussier- Trépanier, conseillère à la relève au CLD Beauharnois-Salaberry.

Un transfert d'entreprise est, en quelque sorte, un mariage. D'où l'importance de bien se connaître avant de sceller l'union. Pour cela, on procédera notamment à des tests de personnalité et de psychométrie pour le releveur, mais aussi pour le cédant. «Il y a encore des gens réfractaires à ces tests. Notamment chez les cédants, dont plus de 30 % ne sont pas emballés par cette formule. Pourtant, cet exercice permet de déceler rapidement s'il y a, ou non, une vision commune entre le cédant et le releveur pour la continuité de l'entreprise», soutient Mercedes Lussier-Trépanier.

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