Doit-on dénoncer la dénonciation ?

Publié le 01/12/2009 à 00:00

Doit-on dénoncer la dénonciation ?

Publié le 01/12/2009 à 00:00

La mise au jour de plusieurs scandales financiers au cours des cinq dernières années est le fruit de la dénonciation. Ainsi, on serait porté à croire que la dénonciation est une bonne chose et qu'il faut l'encourager, voire l'institutionnaliser. Je ne crois pas que ce soit souhaitable. Voici pourquoi.

Avant toute chose, il faut dire que la dénonciation a rapport à la culture d'un peuple ou d'un pays. Si elle est perçue comme " moralement neutre " en Angleterre et dans les pays anglo-saxons, ce n'est pas le cas partout. En France, par exemple, le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale empêche toute référence au terme " dénonciation ", car un dénonciateur est un collaborateur, ce qui est chargé d'une connotation négative. Néanmoins, qu'en est-il réellement de la dénonciation ? Doit-on la promouvoir, l'institutionnaliser, ou au contraire la bannir ? Avant tout, quelques précisions s'imposent. Bien qu'ils soient souvent considérés comme synonymes, il ne faut pas confondre les concepts de divulgation, de dénonciation et de délation.

La divulgation est l'acte de dévoiler publiquement une action ; la dénonciation implique elle aussi que l'on révèle publiquement une action ou un événement, mais comporte une connotation de blâme ; quant à la délation, c'est une trahison pure et simple.

Ainsi, dans son sens strict, la dénonciation contient les germes d'une action louable (rendre public un acte digne de blâme). C'est ce qui a permis de mettre au jour le cas d'Enron et le scandale des commandites. Mais il faut bien comprendre que ces situations ne sont pas la norme et qu'il faut absolument savoir tracer une frontière entre ce qui doit être dénoncé et ce qui ne mérite pas de l'être.

Sur le plan éthique, avant de recourir systématiquement à la dénonciation, je conseille que soit appliqué le test de l'intolérabilité et que soit dénoncée toute action qui outrepasse le seuil du tolérable. Ainsi, tout abus fait à des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, etc.), toute violence physique ou tout harcèlement moral est intolérable et devrait, de fait, être dénoncé. Malheureusement, lorsqu'on regarde l'objet des dénonciations faites habituellement, on retrouve beaucoup plus de cas liés à la jalousie, à l'envie et à la vengeance : une personne qui sort fumer " trop longtemps " ou " trop souvent " ; un collègue en retard ou un tire-au-flanc. Ces manquements sont inacceptables sur le plan administratif, mais en même temps, ils ne peuvent être qualifiés d'intolérables au sens moral.

Les événements inacceptables au sens administratif sont souvent le fait d'une supervision inadéquate ou inexistante. Recourir à la dénonciation pour signaler de tels manquements équivaut à tenter de tuer une mouche avec un canon. La force démesurée utilisée pour gérer un problème mineur dévalue le concept de dénonciation.

Ainsi, dans ces cas, je ne crois pas que la dénonciation soit la meilleure solution. La vigilance faisant partie des tâches du patron ou du gestionnaire, ils devraient jouer leur rôle de manière plus convenable plutôt que de se fier paresseusement à la dénonciation des autres employés.

C'est pour cette raison qu'à mon avis, une politique institutionnalisée de dénonciation n'est pas souhaitable. Les abus prévisibles et la détérioration à l'avenant du climat de travail (un climat de surveillance) risquent de faire plus de mal que de bien. De plus, la dénonciation institutionnalisée déresponsabilise le patron ou le gestionnaire.

Dénoncer l'intolérable est une action courageuse qui est souhaitable, car c'est une obligation éthique, alors que dénoncer un manquement administratif est plus souvent le geste d'un poltron qui n'ose pas dire son nom.

René Villemure est éthicien. Il est aussi le fondateur de l'Institut québécois d'éthique appliquée. Il conseille les dirigeants des grandes sociétés en matière de gestion et de gouvernance. À partir du 25 janvier 2010, suivez son blogue sur les affaires.com/blogues/rene-villemure

rene.villemure@ethique.net

À la une

Logistique: sale temps pour les entreprises

03/05/2024 | François Normand

ANALYSE. Depuis 2020, les crises se multiplient, et les travailleurs du CN et du CPKC pourraient bientôt être en grève.

Les travailleurs du CN et du CPKC se donnent un mandat de grève

Un arrêt de travail au CN et au CPKC simultanément pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement.

Bourse: Wall Street salue l’accalmie de l’emploi américain

Mis à jour le 03/05/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto prenait plus de 100 points à la fermeture.