AGENT DE CHANGEMENT. Le Français Benjamin Zimmer est investisseur et entrepreneur. Il est coauteur de Start up, ...
AGENT DE CHANGEMENT. Le Français Benjamin Zimmer est investisseur et entrepreneur. Il est coauteur de Start up, arrêtons la masquarade, qui questionne la sélection et l’accompagnement des jeunes pousses. Je l’ai rencontré lors de son passage à Montréal.
DIANE BÉRARD – Quelles masquarades votre livre dénonce-t-il ?
BENJAMIN ZIMMER – On favorise la quantité de jeunes pousses au lieu de la qualité des projets. Les élus sont contents parce que ce volume confirme leurs politiques de développement économique. Si la jeune pousse échoue, ils ne seront plus là. On multiplie les programmes privés et publics d’accompagnement, mais on suit peu ce que deviennent les jeunes pousses. Ces programmes occupent du mètre carré pour générer des revenus immobiliers. Les anges ne se gênent pas de financer 10 jeunes pousses qui font le même produit, car ils bénéficient d’une défiscalisation. Ils savent qu’un projet rachètera les neuf autres. Qu’ils se moquent du projet dans lequel ils investissent, c’est leur affaire. Mais pourquoi récompenser ce comportement par une incitation fiscale ?
D.B. – Les PME ont aussi un taux d’échec élevé. Pourquoi dénoncer davantage l’échec des jeunes pousses ?
B.Z. – Une PME lève peu de fonds, sauf si elle est inscrite en Bourse ou si son modèle d’affaires inclut beaucoup de numérique. L’investissement est réalisé sur le développement d’actifs, les outils de production. Dans une jeune pousse, on investit pour une seule raison : occuper la place du numéro 1. Ça monopolise énormément de capitaux; trop. Donc, à taux d’échec égal, on a brûlé plus de capitaux dans une jeune pousse.
D.B. – «La start-up est un bon produit dans un environnement non performant.» Quel voulez-vous dire ?
B.Z. – Ceux qui évaluent les projets ne sont pas qualifiés. Les incubateurs privés démarrés par les entreprises sont généralement pilotés par des employés dont l’entreprise ne sait plus quoi faire, ou alors par des spécialistes d’une technologie – le numérique, par exemple – qui ignorent tout des marchés que cette technologie peut pénétrer. Il manque de compétences de marché. Les incubateurs et les accélérateurs doivent inclure des clients potentiels dans les comités de sélection de jeunes pousses.
D.B. – Vous affirmez : «Il faut planifier les besoins et sélectionner les projets pour qu’ils y répondent.» Prônez-vous une version moderne de l’économie soviétique planifiée ?
B.Z. – Je suis ingénieur. Pour moi, la planification suppose des jalons, des livrables, des ressources et des budgets. C’est une manière de structurer une solution à partir d’une idée. Là où vous me trouverez peut-être soviétique, c’est que je crois que c’est peuple, par l’État, qui doit détenir le pouvoir. Et non les entreprises. L’entreprise n’est qu’un moyen de trouver des solutions pour le peuple.
D.B. – Laisser la société choisir les projets sur lesquels l’entrepreneur travaillera, n’est-ce pas l’antithèse du capitalisme ?
B.Z. – Je me définis comme un capitaliste utilitaire. On doit dire aux entrepreneurs : voici les problèmes sociétaux, choisis-en un et mets-toi au travail ! Nous, la société, allons te donner les moyens de le faire.
D.B. – Comment établit-on les problèmes sur lesquels devraient travailler les entrepreneurs ?
B.Z. – On débute par une consultation citoyenne, par territoire. Comme ce que Macron vient d’annoncer. Des citoyens seront tirés au sort pour participer à des groupes de réflexion sur des thèmes sociétaux, comme l’écologie. On détermine les industries clés par région. Dans cet espace de contrainte, l’entrepreneur est libre de faire ce qu’il veut. Les entreprises qui ne travaillent pas dans cet espace ne devraient pas avoir accès à de l’argent public.
D.B. – Donnez-nous des exemples d’entreprises pratiquant le capitalisme utilitaire…
B.Z. – Les Opticiens Mobiles se déplacent au domicile. Cette entreprise est utile, car elle couvre un besoin qui n’était pas comblé et qui coûte très cher à la société. Un aîné qui a une mauvaise vue peut chuter, et même mourir. Happytal offre des services de conciergerie à l’hôpital. On vous propose, par exemple, de s’occuper de votre chien ou de faire votre ménage pendant votre séjour à l’hôpital. Certains services sont payants, d’autres sont couverts par l’assurance-hospitalisation.
D.B. – Votre entreprise, Silver Alliance, s’inscrit dans cet esprit. De quoi s’agit-il ?
B.Z. – Silver Alliance regroupe 18 fournisseurs de services aux aînés. La consultation pour trouver des fournisseurs est gratuite. Les services, eux, sont payants.
D.B. – Pour favoriser la cohésion des membres de l’accélérateur Silver Valley, vous avez employé la méthode PAT-Miroir. De quoi s’agit-il ?
B.Z. – C’est une méthode d’animation qui permet de construire une dynamique de coopération et de confiance. Ensemble, on détermine les peurs, les attraits et les tentations liés à un projet. Les peurs constituent les freins et les risques du projet. Les attraits mènent aux moyens et aux objectifs. Les tentations, elles, pointent vers les valeurs à ne pas enfreindre. L’exercice est fait collectivement pour chacune des parties prenantes. Si nous étions investisseurs… Si nous étions ministre… Si nous étions clients…
D.B. – Quelles similarités à Tesla le projet Silver Alliance possède-t-il ?
B.Z. – Pour qu’une entreprise fonctionne, il faut un produit, un marché et un réseau. Les voitures Tesla ont besoin d’un écosystème particulier, il a fallu le développer. J’ai pensé à Silver Alliance il y a dix ans, mais il n’existait aucun réseau de fournisseurs. J’ai lancé un incubateur de projets innovants en gérontologie, Silver Valley. Il compte 350 membres.
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