Les rebuts des uns, la richesse des autres

Publié le 01/11/2007 à 17:54

Les rebuts des uns, la richesse des autres

Publié le 01/11/2007 à 17:54

Par lesaffaires.com

Chaque année, les grandes entreprises mettent au rancart des milliers de meubles de bureau parce qu'ils ne répondent plus à leur besoin. Des entrepreneurs audacieux y ont vu une brillante occasion d'affaires.

Dans l'entrepôt de Réseau-Bureautique, situé à quelques pas du marché Atwater à Montréal, on pourrait aisément remiser un Boeing 747. On y trouve plutôt des étagères « cordées » serré sur lesquelles s'empilent des meubles jusqu'à des hauteurs vertigineuses, un peu comme dans l'entrepôt d'un magasin IKÉA. Ici toutefois, on ne voit aucune marchandise neuve. Seulement du mobilier de bureau usagé : des chaises défraîchies, des classeurs bosselés, des surfaces de travail rayées ou des panneaux de cloison démodés. L'équivalent de 2 500 postes de travail ! Tous ces meubles ont été mis au rebut par des entreprises qui voulaient moderniser leurs installations.

« Sans Réseau-Bureautique, le contenu de cet entrepôt se serait probablement retrouvé dans un site d'enfouissement », dit fièrement Pierre Roy, fondateur et dirigeant de l'entreprise. Du même souffle, il ajoute que pour lui, la sauvegarde de l'environnement est la cerise sur le gâteau. « La récupération et la remise à neuf de mobilier de bureau, c'est d'abord et avant tout une bonne occasion d'affaires. »

Comment Pierre Roy peut-il voir une mine d'or là où la plupart des gens d'affaires n'aperçoivent qu'un tas de rebuts ? « Pour réussir dans le domaine de la récupération et du recyclage, il faut pouvoir mettre la main sur de très grandes quantités d'un même produit, explique-t-il. C'est exactement ce à quoi on a accès dans le secteur de l'ameublement de bureau modulaire. » En effet, une poignée d'entreprises, dont l'américaine Steelcase et la canadienne Teknion, meublent chaque année les tours de bureaux d'Amérique du Nord de millions de nouvelles cloisons parfaitement identiques. Lorsqu'une entreprise se débarrasse de ses meubles après quelques années d'utilisation, c'est souvent parce qu'ils sont démodés ou qu'ils ne répondent plus à ses besoins. En règle générale, les structures sont encore en excellente condition. C'est cette matière première qui assure le succès de Pierre Roy.

Du neuf avec du vieux

Dans l'usine qui jouxte l'entrepôt de Réseau-Bureautique, les vieux classeurs sont débosselés, sablés et repeints au pistolet, tout comme dans un atelier de peinture automobile. Les employés responsables des panneaux de cloison repeignent les structures métalliques et remplacent les tissus défraîchis par des tissus au goût du jour, souvent fabriqués à partir de fibres recyclées. Les tissus mis de côté ne sont pas jetés pour autant. Ils serviront à emballer les meubles ré-usinés lors de leur livraison chez les clients. Plus loin dans l'usine, on lamine les surfaces de travail et on équipe les chaises de nouvelles housses quand elles sont encore en bon état.

Bien malin qui pourrait distinguer les meubles ré-usinés des autres, tout neufs, proposés dans les salles d'exposition des fabricants. Les clients de Réseau-Bureautique – qui vont de Raymond Chabot à Environnement Canada, en passant par Cogeco et Natrel – peuvent d'ailleurs choisir les meubles qu'ils désirent directement dans les catalogues des fabricants. Pierre Roy leur offre les mêmes produits, la même garantie… mais plus rapidement et à bien meilleur marché. « Nos prix sont facilement de 20 à 25 % moins élevés. Si le client est prêt à nous donner ses vieux meubles en échange, il peut même économiser de 50 à 70 % de plus. »

Mieux encore : certains clients choisissent d'équiper leurs bureaux avec des meubles « tels quels », qui n'ont pas été ré-usinés. Dernièrement, Alcan s'est procuré 100 postes de travail pour installer un bureau temporaire qui servira à accommoder son personnel pendant la mise sur pied d'une nouvelle usine. L'entreprise a acheté des meubles pour une fraction du prix du neuf. « En plus, je me suis engagé à racheter la marchandise dans trois ans, quand ils n'en auront plus besoin, ajoute Pierre Roy. Tout le monde y gagne. »

Un réseau nord-américain

Le nerf de la guerre pour des entreprises comme Réseau- Bureautique, c'est de ne jamais tomber en rupture de stock de matière première. Un client veut 25 postes de travail supplémentaires parce que son entreprise est en croissance ? Il exige qu'ils soient identiques à ceux qu'il a achetés il y a un an ? Il faut trouver les pièces appropriées, et vite. Pour faciliter ce travail, plusieurs entreprises nord-américaines ont formé un réseau. « Grâce à Internet, je peux savoir ce qu'une entreprise de Floride a dans son entrepôt, et l'acheter si j'en ai besoin », dit Pierre Roy, qui gère les opérations de Réseau-Bureautique avec son épouse, Véronique Féat.

Aux États-Unis, environ 300 entreprises se spécialiseraient dans le recyclage de meubles de bureau usagés, et le marché serait évalué à 1,2 milliard de dollars. Au Canada, il existerait une dizaine d'entreprises, dont TRAS Office Solutions, établie à Dollard- des-Ormeaux, et Envirotech Office Systems, en Ontario. La plupart des recycleurs, toutefois, se contentent de remettre en état quelques postes de travail ici et là. « Il existe très peu d'entreprises comme celles de Pierre Roy et la nôtre, qui peuvent gérer des projets de plusieurs centaines de postes de travail », dit Bill Davies, propriétaire de Davies Office Refurbishing, la plus grande entreprise de ce genre en Amérique.

Davies Office Refurbishing dispose d'une surface d'entreposage de près d'un demi-million de pieds carrés à Albany, dans l'État de New York : près de dix fois la superficie de l'entrepôt de Réseau-Bureautique ! L'entreprise a meublé les bureaux de multinationales comme Bank of America ou Colgate-Palmolive. Elle a même réalisé des projets au Mexique, dans les Caraïbes et à Hong Kong. Ses 210 employés occupent des tâches similaires à ceux de Réseau-Bureautique : travail de restauration en usine, représentation auprès des clients, conception des espaces de bureau sur ordinateur… « Bill m'a un peu servi de modèle », a confié Pierre Roy, alors qu'il visitait l'usine d'Albany en compagnie de Vision Durable. « Je l'ai rencontré dans un colloque au Texas en 1991, alors que je travaillais pour des fabricants de mobilier neuf. Quelques jours plus tard, je démissionnais pour me lancer dans l'usagé. »

À elles seules, les activités de Davies Office Refurbishing permettent d'éviter l'extraction de 3 800 tonnes de matières premières et l'émission de 3 100 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère. « Du point de vue cycle de vie, les meubles de bureaux sont des produits passifs, c'est-à-dire qu'ils ne consomment pas d'énergie durant leur phase d'utilisation », souligne Daniel Normandin, directeur exécutif du CIRAIG, un centre de recherche spécialisé dans l'analyse du cycle de vie des produits et services rattaché à l'École Polytechnique de Montréal. « Leur impact sur l'environnement se manifeste essentiellement lors de leur fabrication, à cause de l'extraction des matières premières et de l'énergie nécessaire à leur transformation, puis au moment de la mise en décharge. La remise à neuf exclut ces deux étapes, réduisant en grande partie l'empreinte environnementale de ces produits. »

Des préjugés

Hormis l'approvisionnement en matières premières, le deuxième défi auquel des hommes d'affaires comme Pierre Roy ou Bill Davies font face est lié aux préjugés. Pendant des années, les meubles de Réseau-Bureautique ne portaient aucune mention indiquant qu'il s'agissait de matériel recyclé. « Les patrons ne voulaient pas passer pour des radins auprès de leurs employés », dit Pierre Roy.

Les mentalités commencent à changer. Certains entrepreneurs construisent des bâtiments LEED et refusent d'acheter autre chose que des meubles recyclés. Mais ils sont encore trop rares. « Il arrive souvent que je perde un contrat pour lequel j'ai soumissionné, même si mon prix est le plus bas, dit Bill Davies. Certains clients sont encore prêts à payer un peu plus cher pour avoir un produit neuf, même si la différence est imperceptible. »

L'entrepreneur américain ne fustige pas les fabricants pour autant. « Nous avons une relation amour-haine avec eux, ditil en riant. Nous les aimons parce qu'ils nous fournissent la matière première essentielle à nos activités. Ils nous détestent parce que nous offrons un produit aussi bon que le leur, à meilleur prix ! »

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