"Les forces d'Expedia sont devenues ses faiblesses"

Publié le 11/06/2011 à 00:00, mis à jour le 18/10/2013 à 10:51

"Les forces d'Expedia sont devenues ses faiblesses"

Publié le 11/06/2011 à 00:00, mis à jour le 18/10/2013 à 10:51

Par Diane Bérard

Crédit: Bloomberg

Scott Durchslag est un des Phi Bêta Kappa issus de la University of Chicago. On compte 131 récipiendaires de prix Nobel parmi les membres de ce club sélect. Entre sa graduation et son nouveau poste de président d'Expedia Worldwide, M. Durchslag a dirigé Motorola mobile et Skype, et démarré une entreprise à Silicon Valley.

Je l'ai rencontré à Toronto lors de sa première tournée pancanadienne.

DIANE BÉRARD - Vous étiez pdg de Skype juste avant qu'elle soit vendue à Microsoft. Votre mandat était-il d'embellir la mariée afin qu'elle trouve l'âme soeur ?

Scott Durchslag - (rires) Oui. Lorsque j'ai pris la direction de Skype, c'était une entreprise en démarrage qui traversait une crise de croissance. On m'a demandé de la transformer en une société adulte afin de pouvoir l'inscrire en Bourse. Ce que j'ai fait. En deux ans, nous l'avons structurée en unités d'affaires et avons doublé sa taille, le nombre de ses usagers et de ses minutes d'appels. Nous y sommes parvenus, entre autres, en développant la clientèle des PME, qui représente aujourd'hui 30 % des utilisateurs. Mais Skype n'est pas entrée en Bourse. Il y a eu litige avec certains actionnaires et la société est demeurée à capital fermé. C'est pourquoi je suis parti.

D.B. - De nombreux pdg détestent les contraintes associées aux sociétés inscrites en Bourse. De votre côté, vous fuyez plutôt les sociétés à capital fermé. Pourquoi ?

S.D. - Je préfère travailler pour une société cotée en Bourse, parce que les Bourses vous donnent accès à ce qu'il y a de mieux. Vous avez les moyens de réaliser des acquisitions et de recruter les meilleurs employés. Vous jouissez aussi d'une bien meilleure visibilité que si vous étiez une société à capital fermé. Je crois au pouvoir des résultats, ils vous donnent de la crédibilité. Or, des résultats que personne ne connaît ne vous rapportent pas grand-chose.

D.B. - Avant de vous attaquer à Skype, vous avez redressé Motorola. Racontez-nous comment.

S.D. - En 2002, Motorola avait perdu la moitié de son marché et elle n'avait pas de stratégie. Sans compter qu'elle était obsédée par le syndrôme du " si nous ne l'avons pas inventé nous-mêmes, cela ne vaut rien " et qu'elle ne se concentrait que sur le transmission de la voix. J'ai rectifié le tir. Nous avons noué des alliances avec Yahoo, Kodak, et Google-Android. Je n'ai jamais compris l'obsesssion des entreprises à se refermer sur elles-mêmes. Nous avons également pris le virage design plutôt que de nous battre sur le prix. C'est ainsi qu'est né le téléphone Razr. Mon passage a aussi marqué l'ouverture vers une clientèle plus jeune avec la gamme Hello Moto. Lorsque j'ai quitté, Motorola avait regagné toutes les parts de marché perdues pour atteindre 22 %.

D.B. - Quelle est votre méthode ?

S.D. - D'abord, vous développez votre vision. Où voulez-vous que l'entreprise se trouve dans trois ans ? Vous découpez les actions à accomplir et vous les placez dans le bon ordre. Ensuite, vous bâtissez l'équipe de gestion. Il faut toujours recruter de nouveaux gestionnaires. Si vous aviez déjà les bons candidats, l'entreprise n'aurait pas besoin d'un redressement. Puis, vous vous assurez que vos troupes vous suivent. Que tout le monde se concentre sur le même objectif. Finalement, vous implantez votre stratégie en vous assurant d'avoir des mécanismes d'imputabilité aux bons endroits.

D.B. - Vous êtes président d'Expedia Worldwide depuis le 3 janvier dernier. Expedia a donc besoin d'un redressement ?

S.D. - Expedia a bâti une grande marque et a dominé son marché. Mais ses forces sont devenues ses faiblesses. La technologie qui lui a permis d'atteindre ce rôle dominant est aujourd'hui dépassée. Le virage 2.0 a été loupé, Expedia n'a pas innové suffisamment. Il faut se ressaisir et prendre le virage 3.0.

D.B. - Quelle est votre stratégie pour redresser Expedia ?

S.D. - Primo, " recharger " notre moteur de réservation, le rendre superpuissant. Notre force repose sur le " tout à une même adresse " (one stop shopping). Il faut que cela demeure, mais en beaucoup plus simple. Je veux que l'on réduise le nombre de clics. Secundo, nous allons déployer ce moteur sur les plateformes mobiles.

D.B. - Quelles tendances de votre secteur influencent votre stratégie ?

S.D. - Le voyage est désormais mobile et social, c'est pourquoi j'ai baptisé notre stratégie " Expedia everywhere ". Mobile, parce que votre voyage et votre itinéraire doivent vous suivre partout et s'ajuster en temps réel. Un exemple : vous êtes à Phoenix et votre vol est retardé. Vous avez quatre heures à tuer. Si vous avez réservé avec Expedia, nous allons non seulement vous annoncer ce retard en primeur, mais nous allons immédiatement vous proposer, sur les plateformes mobiles que vous utilisez, des activités pour meubler ces quatre heures. Des activités sélectionnées en fonction de vos habitudes de loisir, bien sûr, et que vous pourrez réserver sur-le-champ. Lorsque nous aurons fini notre transformation, Expedia sera le GPS de vos voyages. Et ce, sur toutes les plateformes. Vous pourrez montrer à vos enfants, sur votre écran télé, le séjour à Disney que vous avez réservé à partir de votre téléphone mobile. Et vous pourrez consulter sur votre tablette les étapes de vos voyages d'affaires en Europe, réservés à partir de votre PC.

D.B. - Votre marché est convoité. Que faites-vous des concurrents ?

S.D. - À mes yeux, aucun n'a la taille ni la profondeur de gamme requise pour réaliser notre vision. Et même si l'un d'entre eux y arrivait, il serait derrière nous. Je compte gagner du temps en nouant des partenariats. Je vous l'ai dit, je ne ressens aucun besoin de tout faire seul. Je crois aux écosystèmes où chacun joue son rôle.

D.B. - Quels obstacles devrez-vous contourner ?

S.D. - Il y en a trois. D'abord, le défi technologique. Ensuite, le défi de consommation. Nous devons convaincre les consommateurs qu'un seul site leur offre les meilleurs prix. Enfin, nous affrontons un défi culturel : il faut changer la façon dont nos employés envisagent leur travail. Ils doivent cesser de penser " transactions " pour penser " forfaits ". Notre offre n'est plus à la pièce, nous développons une mémoire de ses voyages. La transition est radicale, j'en suis conscient. Mais essentielle.

" La technologie qui a permis à Expedia de dominer est aujourd'hui dépassée. Le virage 2.0 a été loupé, Expedia n'a pas innové suffisamment. Il faut se ressaisir et prendre le virage 3.0. "

LE CONTEXTE

Les transporteurs veulent ramener les voyageurs vers leurs sites pour l'achat de billets. American Airlines, par exemple, ne propose plus les siens sur Orbitz.com. Expedia doit ramer pour conserver sa position de leader.

SAVIEZ-VOUS QUE

En 2010, Expedia.ca a recueilli 1,5 milliard de dollars en réservations, par rapport à 25,9 pour Expedia Worldwide.

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