Les biotechs en voie de disparition

Publié le 09/10/2008 à 00:00

Les biotechs en voie de disparition

Publié le 09/10/2008 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

Yves Rosconi est chanceux. La société qu'il dirige, Theratechnologies, a 72 millions de dollars d'encaisse. Elle mène des essais cliniques de phase III; elle est donc aux portes de la commercialisation. Figurant parmi les entreprises de biotechnologies les mieux capitalisées au pays, elle devrait pouvoir traverser la crise financière. Certes, elle serait bien entrée au Nasdaq l'an prochain pour préparer la commercialisation de son médicament, mais vu les circonstances, elle ne le fera pas.

Theratechnologies est un cas d'exception dans le milieu québécois des biotechs. Une grande partie de l'industrie vit actuellement une crise de financement tellement grave que M. Rosconi - qui est aussi président du conseil d'administration du regroupement sectoriel BioQuébec - se demande si elle ne va pas disparaître. Rien de moins.

"C'est catastrophique, dit-il. Je siège au c.a. de deux biotechs. L'une vient de faire faillite et l'autre va bientôt devoir en faire autant."

La crise risque d'achever l'industrie

M. Rosconi cite un sondage récent du cabinet comptable Ernst & Young, dans lequel on apprend qu'à la fin de 2007, le tiers des biotechs québécoises disaient ne pas avoir assez d'encaisse pour survivre plus d'un an. Le moment fatidique approche. "Si on n'agit pas, elles vont crever", dit-il.

Lors de la conférence Bio Contact tenue à Québec au début du mois, la nervosité était palpable, raconte Sylvain Boucher, associé et responsable du secteur des sciences de la vie chez Ernst & Young. "Pour survivre, beaucoup de sociétés devront vendre certains actifs, faire des compressions budgétaires et licencier du personnel." Du personnel de haut calibre que marauderont les biotechs du reste du Canada ou des États-Unis, mieux capitalisées.

"Les biotechs québécoises sont deux fois et demie moins bien capitalisées et ont la moitié des liquidités, comparativement à celles du reste du Canada, dit M. Rosconi. Avant, nous étions les premiers au pays, maintenant nous sommes derrière l'Ontario, la Colombie-Britannique, la Californie et le Massachusetts."

La crise à Wall Street risque donc d'achever l'industrie. Au premier trimestre de 2008, les biotechs du Canada ont réussi à lever 40 millions de dollars, dont 15 sont allés au Québec. On est loin des 107 millions du troisième trimestre de 2006, relate M. Boucher.

"Celles qui sont le plus près de la commercialisation ont des chances d'être courtisées par les grandes pharmaceutiques, mais celles qui en sont au début de leurs essais cliniques sont mal en point", explique Sylvain Boucher.

"Bien des initiatives de recherche risquent de ne pas être commercialisées", renchérit Paul L'Archevêque, pdg de Génome Québec et membre de Montréal In Vivo, la grappe industrielle des sciences de la vie de la métropole.

Les pharmaceutiques face à un autre genre de crise

Le portrait est différent pour les filiales des grandes entreprises pharmaceutiques installées au Québec, comme Merck Frosst, Pfizer, Astra Zeneca, GlaxoSmithKline et Wyeth. Leurs maisons mères sont encore profitables et n'ont pas de problèmes de liquidités. Et d'une manière générale, les pharma résistent bien aux récessions.

Mais, comme l'explique Vincent Lamoureux, porte-parole de Merck-Frosst, à Pointe-Claire, l'industrie fait face à une autre sorte de crise, indépendante de celle du crédit : leurs brevets viennent à échéance et elles subissent la concurrence féroce des fabricants de médicaments génériques. En outre, elles ont peu de médica

ments en développement. Dans ce contexte, elles sont en train de revoir leur modèle d'entreprise. Il est encore trop tôt pour savoir ce que cela changera pour les filiales québécoises, qui font plus de recherche et de vente que de fabrication (comme l'illustre la fermeture de l'usine de Merck Frosst en 2006).

Quoi qu'il en soit, restructuration, consolidation et suppressions de postes sont à l'ordre du jour. Pfizer, par exemple, vient d'annoncer qu'elle quittait le domaine de la cardiologie (où ses brevets viennent à échéance) pour miser davantage sur la recherche sur le cancer.

Une des issues pour les pharmaceutiques consiste à partager le risque dans le cadre de partenariats de recherche, indique M. Lamoureux. Dans cette optique, elles gardent un oeil sur les biotechs en manque de financement.

À cet égard, M. Rosconi signale que, dans la province, les filiales des grandes pharmaceutiques et les biotechs ne sont pas assez arrimées. "Les maisons mères de ces filiales, en Europe et aux États-Unis, ne connaissent pas assez bien nos biotechs", déplore-t-il.

Créer de nouveaux programmes

Des solutions ? Le président de BioQuébec suggère quelques pistes. Pour apporter du capital de risque aux biotechs, le gouvernement du Québec pourrait créer un programme d'actions accréditives, comme il en existe pour le secteur minier. Selon lui, la stratégie d'innovation du gouvernement québécois, publiée en 2006, ne fonctionne plus, car elle misait sur un apport accru du privé, qui ne viendra pas, étant donnée la crise actuelle.

M. Rosconi suggère aussi que Québec utilise sa position de client privilégié des filiales québécoises des pharmaceutiques - le gouvernement provincial paie la moitié des médicaments consommés par les Québécois - pour les inciter à s'associer davantage aux biotechs d'ici. Cela pourrait permettre à quelques-unes, dont Theratechnologies, d'obtenir le capital de risque nécessaire pour commercialiser leurs découvertes.

"L'autre option pour mon entreprise est de se faire acheter par une société étrangère. Et si cela se produit, je ne peux pas garantir que mes emplois resteront tous ici", dit-il.

Chose certaine, on ne reverra pas de sitôt les chercheurs québécois en sciences de la vie quitter les universités pour créer leurs propres entreprises, comme auparavant. Quant aux pharmaceutiques, elles feront tout pour que Québec continue de rembourser leurs médicaments.

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