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PDG de l’année 2023 – OSBL | Paul Evra

Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2023

PDG de l’année 2023 – OSBL | Paul Evra

La candidature de Paul Evra aux prix PDG de l’année a été déposée à son insu, signe que sa communauté reconnait tout son travail des dernières années. (Photo: Martin Flamand)

LES PDG DE L’ANNÉE 2023. On en aurait long à dire sur Paul Evra, le premier récipiendaire du prix PDG de l’année remis dans la catégorie Organisme sans but lucratif (OSBL). Cette récompense est un peu la consécration de sa mission des cinq dernières années, soit d’implanter au sein du Centre Lasallien des méthodes de travail digne d’une grande entreprise, tout en y maintenant sa saveur communautaire. S’il a été étonné qu’on remette sa candidature à son insu, ses collègues et les enfants du quartier Saint-Michel à Montréal ne le sont probablement pas. 

C’est par un concours de circonstances que l’ancien directeur de la Fondation Didier Drogba, en Côte-d’Ivoire, s’est retrouvé à la tête de l’OSBL jusqu’alors dirigé par les Frères des écoles chrétiennes. L’appel du quartier qui l’a vu naître l’a toutefois convaincu de revenir au bercail. 

En grandissant dans Saint-Michel, Paul Evra a été aux premières loges pour observer ce que la pauvreté, les milieux défavorisés et le manque d’occasions peuvent avoir comme conséquence sur le parcours des enfants. 

«J’ai vu des gens prendre de mauvais chemins à cause des inégalités et de toutes les fractures du quartier. En les réduisant, plus de personnes auront accès aux occasions. C’est de ça que Saint-Michel manque, pas de talents», estime celui qui a toujours aspiré à contribuer à sa communauté. 

Le Centre Lasallien est donc d’après lui un «hub» d’occasions pour les jeunes du quartier. «On ne fera pas la course à la place de la personne, mais on va l’amener à la ligne de départ, et s’il y a des trous sur la route, on va tenter de la paver», résume-t-il.

 

Des procédures dignes du privé 

À son arrivée en poste en 2018, l’un des principaux objectifs de Paul Evra était de mettre en place des processus et une structure dont la qualité serait digne de celle observée dans le secteur privé. Il va sans dire qu’il a eu à confondre quelques sceptiques parmi les membres de l’équipe déjà en place.

Pourtant, «si on ne met pas en place les meilleurs processus, on peut changer la trajectoire d’un jeune qui peut en mourir», affirme le dirigeant.

S’appuyant désormais sur la méthode Agile — implantée par l’un de ses employés dotés de la certification PMP —, le Centre Lasallien crée avec les personnes qui le fréquentent des activités qui répondent à leurs besoins.

«On ne peut pas arriver avec des solutions statiques pour un problème toujours en mouvement. Il faut valser avec. Ce qui ne bouge pas, c’est notre mission. La standardisation nous permet d’en faire beaucoup plus», explique le détenteur d’un MBA en gestion des entreprises.

En cinq ans, son budget annuel est passé de 300 000$ à 3 millions de dollars (M$), alors que la taille de l’équipe a bondi de 20 à 45 employés pour répondre aux besoins changeants de la population que le Centre dessert.

Le défi du financement est de taille, reconnaît Paul Evra, puisque leurs sources de revenus proviennent de « subventions gouvernementales, [de] dons privés et [de] contributions d’autres organismes sans but lucratif ». Le Centre est toutefois parvenu au cours des dernières années à obtenir une reconnaissance à l’échelle du pays, ce qui lui permet désormais d’obtenir « des financements auprès de fondations canadiennes».

Ce qui explique en grande partie une telle croissance de ses activités, tout en assurant un accompagnement de qualité aux jeunes du quartier, c’est parce que le dirigeant encourage les membres de son équipe à rêver. « Avant, on partait du budget dont on disposait pour créer des programmes. Je préfère faire l’inverse : définir les besoins, et ensuite, on trouvera les ressources, dit l’optimiste patron. C’est quand on est dans l’inconfort qu’on sort des solutions intéressantes. »

 

Oser rêver 

C’est d’ailleurs pourquoi l’une des premières choses qu’il a faites, c’est d’inviter les jeunes à partager avec son équipe le rêve que le Centre Lasallien pourrait les aider à réaliser. « Ce n’est pas moi qui ai les bonnes idées, mais je sais lire et écouter», dit-il. 

La réalité l’a toutefois vite rattrapé quand il a constaté que plus de la moitié d’entre eux aspirait tout simplement à un repas supplémentaire quotidiennement. 

De là a germé l’idée de bâtir une cuisine où, d’une pierre deux coups, les jeunes pourraient y apprendre à faire à manger. 

L’un des « rêves » de Paul Evra se concrétisera en janvier 2024. Le Centre Lasallien a entamé des travaux de 1,5 (M$) pour convertir le deuxième étage du bâtiment qui l’héberge en un « hub » communautaire. 

« Les gens qui entrent ici profiteront de différents services, sans avoir l’impression de devoir cogner à la porte de différents organismes », souhaite-t-il.

Ces importants changements apportés à la structure et aux opérations du Centre Lasallien n’ont pas plu d’emblée à tous les membres de l’équipe en place à son arrivée, avoue le patron. En prêtant une oreille attentive aux plus réfractaires, en s’inspirant de ses collègues et en faisant preuve d’un calme et d’une confiance en la mission de l’OSBL malgré l’adversité, Paul Evra a su les rallier à sa vision. 

En misant sur des idées à l’apparence irréalistes, sans égard au budget qu’il sera nécessaire de débourser, l’organisme a ainsi bâti de toute pièce un studio d’enregistrement, a reconverti son gymnase en une salle d’apprentissage interactive et s’est procuré de nombreux outils pour permettre aux jeunes du quartier de coder. 

Citant l’entrepreneur et écrivain américain Timothy Ferriss, le dirigeant croit « qu’il est plus facile de demander à quelqu’un de générer 1 M$ que 100 000$ en un an. À la première embûche, le deuxième va s’essouffler, alors que pour le premier, l’objectif est tellement grand qu’il va continuer ». 

 

Une solide équipe 

Il n’y a pas que l’implantation de procédures de gestion du secteur privé adaptées à la « couleur et à la saveur communautaire» qui a contribué aux progrès du Centre Lasallien ces dernières années. Son équipe dévouée, dont une bonne partie collectionne les diplômes, pèse lourd dans la balance, d’après son directeur général. 

Voyant des occasions là où d’autres voient des embûches — vestige d’une enfance passée dans une famille peu fortunée d’après le principal intéressé —, il s’est servi de la pause forcée de la pandémie pour que le Centre repense complètement sa démarche socioéducative. Son équipe et lui ont notamment développé les trois grands axes sur lesquels repose sa mission, et les projets qui en résultent par la suite, en plus de lancer de nombreux chantiers. 

L’une de ses fiertés, c’est de voir que les changements qu’il a apportés à l’organisme ont pris racine, à tel point que ses employés lui ont rendu la monnaie de sa pièce en le forçant à prendre des vacances en octobre 2023. Ça faisait plus d’un an que le dirigeant qui encourage ses collègues à prendre soin d’eux n’avait pas levé le pied. 

« Je ne suis pas le seul leader de l’organisme. On pratique le leadership partagé qui nous permet d’arriver là où on veut. J’ai juste la chance d’avoir été nommé le capitaine », dit humblement Paul Evra. 

Toutefois, les besoins de la population que le Centre dessert aujourd’hui seraient difficilement comblés si l’OSBL reposait uniquement sur une équipe pleine de bonne volonté, selon lui: ils ne peuvent pas improviser. Des jeunes qui ont vu la guerre, les chemins migratoires, des demandeurs d’asile qui ont vécu les pires atrocités défilent le long des corridors où se maillent sur les murs leurs œuvres et celles d’artistes locaux. 

C’est pourquoi il importe, selon lui, que la société reconnaisse davantage le rôle crucial que des organismes comme le sien ont sur le tissu économique du Québec. Ils servent en quelque sorte d’incubateurs aux travailleurs de demain qui ont déjà deux prises contre eux. 

« On ne peut pas être là pour simplement dire aux gens qu’ils sont bons et qu’ils ne doivent pas lâcher, martèle Paul Evra. Les organismes communautaires doivent avoir la même reconnaissance que les entreprises privées. On a professionnalisé la façon de faire, et notre reddition de comptes est beaucoup plus importante » qu’auparavant. 

Du moins, il compte continuer d’innover pour permettre au Centre Lasallien d’aider les enfants de Saint-Michel à déployer leurs ailes, un jeune à la fois.

 


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