(Photo: 123RF)
LES GRANDS DU DROIT. Voyage, télétravail et même année sabbatique : les demandes des travailleurs de cette génération sont diverses et ils n’hésitent pas à les faire valoir et à demander un changement dans la culture. Comment s’adaptent les cabinets ?
Dans l’ensemble, ceux-ci disent devoir faire preuve de plus de flexibilité pour attirer et retenir leur main-d’oeuvre. Chez Blakes, par exemple, la directrice et responsable des étudiants, des avocats salariés et du perfectionnement, Julie Brisson, dit «être à l’écoute pour mieux pouvoir s’adapter». S’adapter à quoi ?
En pratique, cela signifie d’accepter qu’il y ait des retards dans la réalisation du stage, et cela, pour mieux permettre aux stagiaires de réaliser différents projets avant de commencer leur carrière. Il peut s’agir de l’obtention d’un diplôme complémentaire, par exemple, ou de la réalisation d’un grand voyage.
«C’est vraiment notre capacité de personnaliser notre pratique qui est la plus appréciée de nos jeunes, dit Mme Brisson. Et je pense que notre programme de mentorat nous permet d’être bien à l’écoute pour mieux déployer les efforts nécessaires afin qu’ils soient heureux.»
La nouvelle norme
Patricia Morissette, directrice du capital humain chez Cain Lamarre, remonte les débuts de cette tendance à une poignée d’années seulement, tout au plus.
«Il y a peut-être dix ans, les conditions de travail dans chaque cabinet étaient un copié-collé de celles dans les autres cabinets, dit-elle. Il n’y avait pas trop de demandes d’exceptions, par exemple, pour du télétravail.» Aujourd’hui, cependant, les grands cabinets doivent s’adapter parce que s’ils ne le font pas, leur concurrent le fera, et ce sera ce dernier qui aura le plus grand pouvoir d’attraction auprès des jeunes avocats.
C’est au cours des deux ou trois dernières courses aux stages, surtout, que Mme Morissette a remarqué un véritable changement. Alors que les années sabbatiques, les voyages autour du monde et le volontariat international étaient auparavant des expériences exceptionnelles chez les jeunes de 20 ans, celles-ci sont aujourd’hui devenues la norme, ou presque. Idem pour l’implication dans divers organismes ou des associations variées.
«Avant, quand un étudiant nous envoyait un CV qui mentionnait l’implication dans une association, c’était « Wow, il s’implique au-delà de ses études ! »« Aujourd’hui, c’est un peu la norme. Cela pousse également les cabinets à revoir leur façon de sélectionner leurs stagiaires et avocats.
Plutôt que de simplement favoriser les étudiants qui s’impliquent, Cain Lamarre pousse ainsi maintenant sa réflexion plus loin : pourquoi un étudiant s’est-il impliqué auprès d’une cause plutôt que d’une autre ? L’entreprise peut alors choisir les candidats dont les valeurs s’alignent avec les siennes.
«On a 17 bureaux au Québec, dit Mme Morissette. On est partout dans la province. Qu’une personne soit impliquée dans sa ville, par exemple, dans son milieu, c’est donc à nos yeux très intéressant.»
Se vendre, autrement
En réponse aux demandes de flexibilité des milléniaux, les cabinets s’ajustent. Mme Morissette, qui est également présidente de l’Association québécoise des administrateurs juridiques pour la région de Québec et membre du comité des ressources humaines, le confirme par les conversations qu’elle tient avec les autres experts en ressources humaines du milieu.
Cain Lamarre, par exemple, est ouvert au télétravail et aux horaires flexibles. «Les milléniaux et leur façon d’être ont fait que nous changeons la façon de vendre notre cabinet, dit Mme Morissette. Nous parlons maintenant beaucoup de conciliation travail-vie personnelle.» Le cabinet dit même avoir reçu, et accepté, quelques demandes pour des années sabbatiques, bien que cela reste encore très rare, et trop rare encore pour justifier la mise en place d’une politique à cet égard.
Bien sûr, les arrangements doivent au final toujours être gagnant-gagnant, et un avocat qui voudrait travailler seulement dix heures par semaine aurait sans doute de la difficulté à trouver un cabinet qui veuille bien travailler avec lui.
Maintenant, si les avocats milléniaux désirent plus de flexibilité, ceux-ci ne sont pas non plus effrayés par le travail. «Ils se donnent à fond, relate Mme Morissette. En tout cas, c’est ce que l’on constate chez ceux qu’on a recrutés ici. C’est simplement qu’ils se disent « On travaille fort, on s’amuse plus fort encore ».»
On dirait peut-être même que leurs aînés sont maintenant tentés de les imiter, car ce que remarque désormais Mme Morissette, surtout dans le cas du personnel de soutien, est un désire semblable de flexibilité dans les heures de travail.
«Beaucoup de gens qui approchent de la retraite commencent à nous demander de faire un nombre réduit d’heures ou de jours de travail, rapporte Mme Morissette. Et je dirais qu’on n’aura pas le choix d’en faire une politique bientôt pour assurer de gérer la situation de façon équitable.»