Les femmes qui deviennent professionnelles en génie sont moins tentées par le secteur manufacturier que leurs collègues masculins. (Photo: ThisisEngineering RAEng pour Unsplash)
INGÉNIEURS. Dans l’esprit de bien des gens, l’ingénieur type est un professionnel du génie-conseil qui travaille dans une firme telle que SNC-Lavalin, SWP ou CIMA+.
Pourtant, plus d’un professionnel en génie sur quatre (28,3%) — diplômés ou non dans cette discipline — est à l’emploi d’une entreprise manufacturière au Québec. Si l’on comptabilise uniquement les membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), cette proportion atteint 36,5%.
Ce constat ressort du Profil de l’ingénieur d’aujourd’hui et de demain publié par l’OIQ en avril dernier. Les auteurs de cette étude réalisée en partenariat avec la firme Aviseo Conseil notent également une hausse de la représentation des professionnels du génie sur le plancher des manufactures depuis une quinzaine d’années. De 2006 à 2016, la proportion d’emploi manufacturier occupée par des professionnels en génie est ainsi passée de 2,8% à 4,3%, une hausse de 53% en une décennie.
Les auteurs du Profil attribuent cette augmentation à des «avancées technologiques». La présidente de l’OIQ, Kathy Baig, abonde dans le même sens. «Sans avoir une boule de cristal, je crois que l’automatisation, la robotisation et la numérisation des usines de fabrication ont certainement contribué à attirer des ingénieurs dans ce secteur», mentionne-t-elle.
Carl Diez, ingénieur et vice-président à la recherche et au développement chez le fabricant de tuyauterie agricole Soleno, constate que les clients qui achètent des produits manufacturés sont dans l’ensemble plus exigeants que par le passé quant à la qualité et la traçabilité des produits. «Quand il y a un problème avec un produit, nous devons être capables de rapidement retrouver son lot de fabrication afin d’établir si le problème vient du procédé, du matériel ou encore de l’utilisation du client», précise-t-il. D’où l’importance de pouvoir compter sur des ingénieurs spécialisés dans des normes de traçabilité.
Kathy Baig croit que des «facteurs environnementaux» ont aussi eu un effet sur la proportion d’ingénieurs dans ce secteur. «Déjà, en 2005, lorsque je travaillais comme ingénieure à IBM, nous avions plusieurs projets pour réduire la consommation d’eau, raconte-t-elle. Les entreprises manufacturières sont plus sensibles aux enjeux environnementaux et au développement durable.»
Ce souci environnemental est d’ailleurs très présent chez les clients qui achètent les produits manufacturés, fait remarquer Luc Jolicoeur, vice-président principal au développement durable chez CIMA+. «Depuis quatre ou cinq ans, il y a une accélération du nombre d’entreprises qui font des déclarations environnementales du type: «Je veux être carboneutre», note-t-il. Les manufactures n’auront pas le choix d’en tenir compte dans les années à venir.»
Pour atteindre cet objectif, chaque entreprise devra demander à tous les fournisseurs de sa chaîne d’approvisionnement de l’être aussi, et de respecter les critères de l’approvisionnement responsable. Encore une fois, des ingénieurs de toutes les spécialités peuvent participer au processus, en optimisant le rendement énergétique des bâtiments, en utilisant de nouvelles matières recyclées dans la fabrication des biens ou encore en contrôlant la qualité de l’eau et de l’air dans les procédés industriels.
Ajoutons à cela l’intensification de la transformation 4.0, des normes de santé et sécurité toujours plus strictes et le déploiement croissant de l’intelligence artificielle, et parions que les ingénieurs ne manqueront pas de travail dans le secteur manufacturier à l’avenir.
Une carrière «à découvrir»
Si plusieurs professionnels en génie travaillent dans le secteur manufacturier, ils sont moins nombreux à «rêver» de cette carrière lorsqu’ils sont sur les bancs d’école. Selon le Profil de l’OIQ, ils sont plutôt attirés par les services professionnels, à 44%, suivi de la construction, à 24%, à égalité avec la fabrication.
De plus, les femmes qui deviennent professionnelles en génie sont aussi moins tentées par ce secteur que leurs collègues masculins, dans une proportion de 23% contre 26,8%, toujours selon les plus récentes données de l’Ordre.
La PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx, reconnaît que le secteur manufacturier «n’est pas nécessairement attractif pour les jeunes». Ni les femmes, qui représentent environ 28% de la main-d’œuvre manufacturière — incluant le volet administratif, selon une estimation faite par MEQ en 2017.
«Il y a une idée préconçue à savoir que le secteur manufacturier est lourd et sale. Or, c’est aujourd’hui un secteur hautement technologique, fait valoir Véronique Proulx. C’est important de le dire et de le faire savoir aux femmes. Elles ont leur place dans ce secteur. Surtout les ingénieures, qui peuvent y trouver de belles occasions de carrière.»
Elle est convaincue que c’est en mettant de l’avant l’innovation qui se fait grâce à la transformation 4.0 et le virage environnemental — qui résonne avec les valeurs des plus jeunes — que le secteur manufacturier pourra convaincre de nouveaux talents en génie à rejoindre ses rangs.