Marlène Deveaux, Jimmy Boulianne et Julie Dubord à la rencontre organisée par Les Affaires. (Photo: Jean-Michel Decoste)
FOCUS SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN. Le taux de chômage, au Saguenay-Lac- Saint-Jean (SLSJ) – qui a atteint 6,1 % en 2018, comparativement à 9,9 % en 2013 -, continue de diminuer. Résultat : la région est désormais confrontée à une pénurie de travailleurs, constatent à la fois Jimmy Boulianne, directeur général d’Ubisoft Saguenay, Marlène Deveaux, présidente de la Société de la Vallée de l’aluminium, et Julie Dubord, directrice générale de Tourisme Saguenay-Lac-Saint-Jean. Tous trois étaient panélistes à une rencontre organisée en mai dernier par Les Affaires, à laquelle une trentaine de dirigeants d’entreprises, d’intervenants économiques et d’élus municipaux étaient aussi conviés pour discuter des enjeux liés à la main-d’oeuvre.
Les répercussions de la pénurie sont manifestes dans les secteurs de l’aluminium et du tourisme, qui sont, depuis toujours, au coeur de l’activité économique du SLSJ. Chez les équipementiers et les fournisseurs de l’industrie de l’aluminium, «on manque autant de manoeuvres que d’employés plus spécialisés, comme des soudeurs et des machinistes, même des ingénieurs», note Mme Deveaux. Sa propre entreprise, RS Métal, est particulièrement à la recherche de journaliers. Située dans l’arrondissement de Jonquière, elle se spécialise dans l’application de peintures industrielles sur des produits, notamment le BIXI.
Le manque de main-d’oeuvre a également été au centre des discussions lors du premier Forum touristique régional qui s’est tenu en mars à Saguenay, alors que cette industrie a des centaines de postes à pourvoir. «Le défi est d’autant plus grand qu’il s’agit d’emplois saisonniers et, pour la plupart, dans de très petites entreprises. Il n’y a pas de solution universelle», relate Mme Dubord. L’organisme qu’elle dirige représente environ 500 entreprises de ce secteur.
Pas seulement les étudiants
Les emplois d’été dans l’industrie touristique sont généralement pourvus par des étudiants. Or, selon Mme Dubord, le secteur doit s’intéresser davantage à un autre bassin de travailleurs potentiels, celui des retraités. «Ils ont des temps libres, ils sont disponibles pour travailler l’été et les fins de semaine, et ils peuvent enrichir l’expérience touristique des visiteurs», fait-elle valoir.
La directrice évoque aussi la possibilité de s’arrimer avec d’autres industries qui ont des activités saisonnières. Sauf que cette solution risque de se buter «à une culture du chômage chez certaines personnes qui veulent seulement travailler quelques mois par année», craint-elle.
Lison Rhéaume, directrice régionale de Services Québec SLSJ, rattaché au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, rappelle d’ailleurs que la région compte sur un bassin inexploité de travailleurs. «Le taux de chômage est le troisième plus élevé du Québec, et le taux d’activité est plus bas qu’ailleurs en province. Seulement en améliorant ces taux, la région pourrait mieux s’en tirer», précise-t-elle.
Carl Laberge, directeur général du Port de Saguenay, abonde. «Contrairement à d’autres régions qui font face à des enjeux de croissance économique, on n’a pas un problème de main-d’oeuvre parce qu’on a créé trop d’emplois. C’est plutôt un facteur démographique», ajoute celui qui préside aussi la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le Fjord.
Ramener les jeunes
L’image de l’autobus rempli de jeunes qui partent du SLSJ pour fuir le chômage et trouver des emplois dans les grands centres est encore toute fraîche dans la mémoire des gens. La région doit à présent miser sur leur retour. «Ces jeunes-là sont dans la quarantaine aujourd’hui ; il faut les ramener en leur montrant qu’il y a maintenant des emplois, et qu’ils sont de qualité», suggère Mme Rhéaume.
L’ouverture d’un studio d’Ubisoft à Saguenay, il y a plus d’un an, pourrait favoriser un tel retour. Le géant mondial du jeu vidéo y emploie 50 personnes, et entend en recruter 75 autres d’ici 5 ans. «Les jeunes peuvent participer au développement d’un créneau distinctif et en forte croissance, ici même dans la région», souligne son directeur général, M. Boulianne, en précisant que ce nouveau studio d’Ubisoft est le seul au monde à être implanté hors d’un grand centre urbain.
M. Boulianne se fait également un devoir d’inciter les jeunes à ne pas décrocher de l’école et de tenter de les intéresser au domaine des sciences et aux métiers de l’avenir. Mme Deveaux fait écho à ses propos. «Il y a 30 % de nos jeunes qui décrochent au secondaire. Il faut les sortir de leur sous-sol et continuer leur formation, à l’école ou en entreprise, pour qu’ils puissent intégrer le marché du travail», propose-t-elle.
Pour ramener les gens dans leur région natale – voire des travailleurs d’autres régions et des immigrants -, il faut mettre celle-ci davantage en valeur, estiment plusieurs intervenants. «Il faut faire savoir que, contrairement aux grandes villes, il n’y a pas de congestion routière et qu’une maison y coûte moins cher», suggère Pierre Raymond, directeur général de Promutuel Assurance du Lac au Fleuve. Il souligne au passage que l’industrie de l’assurance n’échappe pas à la pénurie d’employés.
Mme Dubord est du même avis. Mais le SLJS «n’est pas la seule région qui offre une meilleure qualité de vie, précise-t-elle. Il faut se montrer plus distinctif.»
«Ici, tout le monde est heureux parce que, comme le montre une étude, manger des bleuets rend de bonne humeur», répond à la blague Mario Théberge, président de la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du SLSJ.
Le fabricant d’équipements industriels pour les alumineries et les sociétés minières Charl-Pol, qui exploite une usine à Saguenay et une autre à Portneuf, dans la région de Québec, peut témoigner de l’attrait de la région. L’entreprise, qui emploie des travailleurs immigrants, a demandé à des employés tunisiens travaillant à son usine de Portneuf de venir travailler au Saguenay. Or, «ils souhaitent maintenant rester ici», souligne Marlène Gauthier, directrice, Finance et administration de Charl-Pol.
Toutefois, le recrutement de travailleurs immigrants ne doit pas seulement être vu comme une solution à la pénurie de main-d’oeuvre. «C’est un précieux avantage d’avoir des équipes diversifiées, surtout en création de produits», affirme M. Boulianne.