Voici ce que vous préparent les grandes puissances

Publié le 21/07/2023 à 18:00

Voici ce que vous préparent les grandes puissances

Publié le 21/07/2023 à 18:00

Le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine célébrant le renforcement des liens entre leurs pays, lors d'un sommet à Moscou en mars. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Nous voyons l’arbre, mais pas encore la forêt. L’invasion russe de l’Ukraine n’est pas l’élément déclencheur du monde de plus en plus instable dans lequel nous sommes appelés à vivre. Elle est plutôt le symptôme du déclin déjà en marche de l’ordre international de l’après-guerre créé par les États-Unis.

Pour l’instant, il est difficile de cerner les contours de cette nouvelle architecture internationale en gestation. Reportages, essais, réseaux sociaux… Nous sommes bombardés d’informations à ce sujet, mais il y a beaucoup de bruit.

Beaucoup trop de bruits, ce qui nous empêche souvent d’avoir une vision globale et à long terme.

Dans ce contexte, une seule chose est à peu près certaine, font remarquer des spécialistes en relations internationales et en analyse du risque géopolitique.

Nous vivrons dans un monde multipolaire, et ce, après avoir vécu dans un monde bipolaire durant la guerre froide (de 1947 à 1991) puis dans un monde unipolaire dominé par les États-Unis à la suite de l’effondrement du communisme européen et de l’ex-Union soviétique, aux tournants des années 1990.

Les organisations devront s’y préparer, et cela ne sera pas une mince affaire.

Car un monde moins stable pourrait signifier un environnement d’affaires et d’investissement où la disponibilité et les prix des ressources seront moins prévisibles, sans parler des taux d’intérêt.

Autant de facteurs qui peuvent affecter les revenus et la rentabilité de votre organisation.

Un essai publié en début d’année par Thomas Gomart, historien et directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), permet justement d’entrevoir ce à quoi pourrait ressembler notre monde dans les années et les décennies à venir. Il s’intitule Les ambitions inavouées: ce que préparent les grandes puissances (chez Tallandier Essais).

Cet essai de 296 pages est riche en informations. Il décrit en profondeur les priorités stratégiques de neuf pays, des priorités qui sont toutefois difficiles à résumer dans une analyse d’un peu plus de 1000 mots.

Aussi, pour faciliter votre compréhension, nous avons retenu les titres de chapitres choisis par l’auteur pour chacun de ces pays.

1. La Russie: le choix de la guerre

La Russie veut maintenir sa force de frappe nucléaire, car elle garantit la continuité de l’État russe. Elle veut agrandir son territoire, d’où l’invasion de l’Ukraine en 2022. Elle veut accélérer la désoccidentalisation du monde pour favoriser l’avènement d’un monde multipolaire qui serait favorable en principe aux intérêts russes. La Russie veut continuer d’exporter ses hydrocarbures ailleurs qu’en Occident.

2. La Chine: le communisme environnemental

La Chine veut renforcer «le ciment idéologique» autour du parti communiste chinois. Elle veut «réunifier» Taïwan au continent, même si l’île n’a jamais fait partie de la République populaire de Chine. Elle veut accroître davantage la puissance de son armée. Elle veut sécuriser ses approvisionnements énergétiques et investir massivement dans les énergies vertes. Elle veut devenir LA puissance manufacturière mondiale devant les États-Unis. Elle veut devenir une puissance maritime mondiale.

3. L’Allemagne: le changement d’époque

L’Allemagne veut se doter d’une politique énergétique lui permettant de maintenir sa compétitivité industrielle et de respecter ses engagements climatiques. Elle veut maintenir à la fois de bonnes relations avec la Chine et les États-Unis. Elle veut renforcer son rôle au sein de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN, et ambitionne même de devenir «la première armée conventionnelle» en Europe.

4. Les États-Unis: le contrôle global

Les États-Unis veulent maintenir le mode de vie de la classe moyenne américaine. Ils veulent renforcer la cohésion nationale dans un pays très polarisé. Ils veulent maintenir leur primauté internationale, ce qui implique d’être en compétition avec la Chine, en misant notamment sur leur puissance énergétique dans les énergies fossiles et renouvelables. Ils veulent maintenir leur avance technologique et militaire.

5. Le Royaume-Uni: l’illusion globale

Le Royaume-Uni veut retrouver une stabilité politique après le Brexit, qui est indispensable pour contrecarrer les effets négatifs de la crise économique. Il veut retrouver une crédibilité en matière de politique étrangère avec son projet de Global Britain, en particulier auprès des autres pays européens. Le pays veut reconstruire sa relation économique avec l’UE, de loin son premier partenaire commercial et financier.

6. L’Inde: l’art du double jeu

L’Inde veut poursuivre son développement économique, avec une population qui continue de croître et qui a franchi le cap des 1,4 milliard d’habitants. Elle veut renforcer la sécurité de ses frontières au nord, avec la présence de deux pays rivaux, le Pakistan et la Chine. Elle doit affirmer sa puissance navale dans l’Indo-Pacifique, une région vaste dans laquelle elle participe au QUAD (une alliance économique, diplomatique et militaire) avec les États-Unis, le Japon et l’Australie pour contrer la montée en puissance de la Chine.

7. La Turquie: l’islamo-nationalisme en action

La Turquie veut confirmer l’orientation islamo-nationaliste du pays, où la religion est devenue un facteur de mobilisation politique et sociale utilisé par le président Recep Tayyip Erdogan. Elle veut renforcer son indépendance stratégique, en exploitant le retrait des États-Unis et la perte d’influence des Européens en Méditerranée. Le pays veut accroître son autonomie énergétique, en misant notamment sur le nucléaire civil.

8. L’Arabie saoudite: l’éternelle dépendance pétrolière

L’Arabie saoudite veut assurer la succession entre le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui incarne une nouvelle modernité, mais qui est aussi brutal, étant derrière l’assassinat du journaliste et dissident Jamal Khashoggi. Elle essaie de devenir un leader au Moyen-Orient, en tentant d’améliorer ses relations avec des pays comme l’Égypte, la Turquie et Israël. Le royaume veut diversifier son économie afin de préparer l’après-pétrole et moderniser ses entreprises, mais cela ne sera pas facile.

9. L’Iran: la révolution permanente

L’Iran veut assurer la survie du régime théocratique qui contrôle la société d’une main de fer depuis plus de 40 ans. Elle veut aussi se doter de l’arme nucléaire afin de garantir sa sécurité et sanctuariser son territoire. Elle veut aussi développer son économie et se reconnecter aux flux de la mondialisation, alors que le pays dispose d’un potentiel considérable et occupe une position clé en Eurasie.

L’essai de Thomas Gomart, également l’auteur de L’affolement du monde et de Guerres invisibles, ne procure aucun truc ou stratégie pour aider les organisations actives dans ces pays à mieux gérer leurs risques géopolitiques — et leur impact potentiel sur leurs employés, leurs revenus ou leurs actifs.

Aussi, les personnes pragmatiques risquent d’être déçues.

En revanche, son essai procure une perspective et une prospective — s’appuyant sur une bibliographie impressionnante — qui peuvent certainement aider votre organisation à mieux anticiper l’environnement d’affaires ou d’investissement dans lequel elle sera appelée à évoluer dans les prochaines années et décennies.

Bref, à lire pour savoir ce que vous préparent les grandes puissances.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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