Comment le néolibéralisme a nourri le populisme

Publié le 27/05/2018 à 08:35

Comment le néolibéralisme a nourri le populisme

Publié le 27/05/2018 à 08:35

Le président américain Donald Trump (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Que fait une entreprise si elle réalise que sa politique commerciale mine sa stabilité financière? Elle renonce à cette politique. Eh bien, les gouvernements devraient faire la même chose et renoncer aux politiques qui minent la stabilité sociale, à commencer par le néolibéralisme, affirment des spécialistes.

Popularisée dans les années 1980 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, l’idéologie du néolibéralisme consiste à baisser les impôts, à réduire les dépenses publiques, à libéraliser le commerce, à privatiser les services publics et à alléger la réglementation.

Ultimement, le néolibéralisme cherche aussi à réduire le rôle de l’État dans l’économie.

Ces dernières décennies, la plupart des gouvernements en Amérique du Nord et en Europe (conservateurs, libéraux, socio-démocrates) ont mis en place ces politiques à différents niveaux, notamment pour réduire la dette publique et atteindre l’équilibre budgétaire.

Si ces politiques ont grandement profité aux entreprises, aux investisseurs et à une partie de la population (surtout les riches), elles ont en revanche accru l’anxiété économique auprès des classes populaires (les pauvres, les citoyens peu éduqués, les ouvriers, les employés à statut précaire, etc.).

Pourquoi? Parce que l’affaiblissement des programmes sociaux et du mécanisme de redistribution de la richesse par l'entremise de l’impôt a contribué à faire augmenter les inégalités et l’insécurité économique, soulignent diverses études.

L’érosion de la syndicalisation et le désintérêt des partis socio-démocrates envers les classes populaires (les démocrates aux États-Unis, les socialistes en France ou les péquistes au Québec) ont aussi contribué à ce phénomène, souligne l’économiste Camille Landais dans Le Monde.

Or, ce sont justement ces inégalités et cette insécurité qui incitent de plus en plus d’électeurs à rejeter les partis traditionnels (surtout depuis la récession mondiale de 2008-2009) pour se tourner vers des partis populistes ou autoritaires.

«L'ascendant du populisme de droite aujourd'hui est un symptôme de l'échec de la politique progressiste», affirme Michael Sandel, professeur de philosophie politique à l’Université Harvard, dans le magazine britannique New Stateman.

Aux États-Unis, l’échec de la politique progressiste des démocrates, surtout lors des administrations Clinton et Obama, a porté au pouvoir Donald Trump.

En Europe orientale, cela s’est traduit par l’élection de gouvernements autoritaires de droite en Pologne et en Hongrie.

En Europe occidentale, l’incapacité des socio-démocrates à défendre les intérêts des classes populaires a fait en sorte que l’extrême droite est devenue la première force politique dans certains pays comme la France.

Bien entendu, d’autres facteurs pèsent dans la balance pour expliquer la montée du populisme, dont le chômage créé par le progrès technologique et la crainte de l’immigration, surtout depuis la crise des migrants en Europe en 2015.

Par contre, la montée des inégalités est le facteur dominant, affirment les spécialistes.

Et, pour comprendre cet enjeu, un retour en arrière s’impose afin d’avoir une perspective historique sur le néolibéralisme.

Pourquoi on a créé l’État-providence

Le néolibéralisme est un retour aux sources du libéralisme économique qui régnait en Occident au début du 20e siècle. À l’époque, l’État était petit et intervenait peu dans l’économie, sauf pour des fonctions régaliennes telles que la police, l’armée et la justice.

La Dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale l’ont toutefois discrédité, selon les historiens.

Pendant la crise, en l’absence de programmes sociaux structurés, les partis autoritaires ou fascistes sont devenus populaires auprès des masses de chômeurs, notamment en Allemagne, où les nazis ont pris le pouvoir lors des élections de 1933.

Aussi, en 1945, alors que l’Europe était en ruine, les élites politiques et économiques ont tiré la leçon, d’autant plus que le communisme avait le vent dans les voiles après la guerre et menaçait lui aussi la démocratie libérale.

Pour stabiliser la société, les gouvernements occidentaux ont donc mis en place l’État-providence, un système qui se caractérisait par la présence de généreux programmes sociaux et d’une fiscalité progressive afin de réduire les inégalités.

Par contre, à partir du milieu des années 1970, les pays industrialisés ont commencé à pâtir de plusieurs problèmes économiques comme l’inflation, la chute du taux de croissance économique et la hausse du taux de chômage.

Le grand responsable, selon les néolibéraux? L’État-providence et son intervention dans l’économie.

Pour relancer l’activité, les États-Unis et le Royaume-Uni ont donc mis en place des politiques pour libéraliser l’économie et réduire la taille de l’État.

La chute du communisme en Europe en 1989-1990 a aussi accéléré ce processus. La plupart des gouvernements, incluant ceux au Canada et au Québec, ont alors adopté cette politique pour réduire la dette publique et relancer l’économie.

Or, ces politiques ont contribué à accroître les inégalités et l’anxiété économiques, créant un terreau fertile pour les idées populistes des Donald Trump de ce monde.

Les solutions pour combattre le populisme

Endiguer la montée du populisme sera difficile, font remarquer les spécialistes. Mais cela passe nécessairement par la réduction des inégalités et la diminution de l’anxiété économique auprès d’une frange importante de la population.

Et pour réduire les inégalités, les gouvernements doivent améliorer les programmes sociaux. Comment les financer? En réaffectant les recettes fiscales (par exemple, moins d’aides aux entreprises) ou en augmentant les impôts.

Selon l’Observatoire des inégalités, une organisation française, il faut des impôts plus progressifs. Bref, il faut un effort commun qui tienne compte des capacités de chacun à payer si l’on veut vraiment combattre la montée du populisme.

Cela pourrait-il avoir un impact négatif sur la croissance économique? Les statistiques minimisent ce risque.

Depuis les années 1950, le taux d’imposition des particuliers et des entreprises a diminué constamment aux États-Unis. Or, depuis cette époque, le rythme de croissance de l’économie américaine a aussi décliné, selon les données U.S. Census Bureau.

Par ailleurs, des entrepreneurs de la Silicon Valley estiment qu’il faut aussi réfléchir sérieusement à créer un revenu de citoyenneté, et ce, dans un contexte où les progrès technologiques détruisent et détruiront encore des emplois qu’occupent traditionnellement les gens peu éduqués.

C’est pourquoi il faut également favoriser l’accès à l’éducation postsecondaire pour tous et valoriser la formation professionnelle, qui permet d’occuper des métiers spécialisés et en demande dans les entreprises manufacturières.

Comme le souligne Michael Sandel de l’Université Harvard, la montée du populisme est le symptôme d’une crise socio-économique et de l’effritement du bien commun.

À l’instar des changements climatiques, les solutions sont toutefois connues.

Reste à voir si les élites politiques et économiques auront la sagesse et la volonté de les appliquer.

Et, surtout, qu’elles se rappelleront pourquoi les gouvernements ont construit l’État-providence après la crise des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale.

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand