" Nous avons sous-estimé l'image négative que notre secteur énergétique allait susciter "

Publié le 27/03/2010 à 00:00

" Nous avons sous-estimé l'image négative que notre secteur énergétique allait susciter "

Publié le 27/03/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Mike Percy appartient au club sélect que le gouvernement albertain consulte pour établir ses politiques. Cet économiste navigue entre plusieurs univers, ce qui lui donne de points de vue multiples sur les réalités qui l'entourent. En tant que recteur de la faculté de gestion de l'Université de l'Alberta, membre de plusieurs CA et ancien président de la Chambre de commerce d'Edmonton, il fréquente le monde des affaires. Lorsqu'il met son chapeau d'économiste et de spécialiste des politiques publiques, il côtoie le gouvernement. Et, en tant qu'auteur de plusieurs livres et articles, il s'est penché sur des sujets aussi variés que l'exploitation forestière, le libre-échange et l'immigration. De 1993 à 1997, il a été député et critique du Parti libéral de l'Alberta en matière de finances. On lui a récemment demandé d'examiner la stratégie énergétique de l'Alberta à long terme. Un exercice qui a exigé cinq mois. Nous l'avons rejoint à son bureau de l'Université de l'Alberta.

Diane Bérard- Pourquoi l'Alberta réduit-elle les redevances qu'elle réclame aux sociétés pétrolières ?

Mike Percy - Notre secteur pétrolier et gazier traditionnel est le moins rentable en Amérique du Nord. Nous nous en doutions déjà, mais le rapport piloté par Jack Mintz (N.D.L.R. ex-président de l'institut CD Howe et directeur de la Chaire en politiques publiques de l'Université de Calgary) l'a confirmé il y a un mois. L'Alberta est l'endroit en Amérique du Nord où les coûts et les risques sont les plus élevés par rapport au rendement de l'investissement; il y coûte plus cher que partout ailleurs d'extraire du pétrole et du gaz. Les réserves qui étaient faciles d'accès ont été épuisées, il faut forer de plus en plus profondément. Réduire les redevances permet de compenser pour ce désavantage et de continuer d'attirer des projets d'envergure chez nous.

D.B.- L'industrie des sables bitumineux se porte pourtant très bien.

M.P. - Effectivement. Il ne faut pas confondre l'industrie pétrolière et gazière traditionnelle et l'exploitation des sables bitumineux. La première est peu efficace, tandis que la seconde emploie des technologies de pointe qui la rendent très concurrentielle.

D.B. - Comment se porte le reste de l'économie de l'Alberta ?

M.P. - Tout dépend du point de vue. Les lois américaines rendent nos exportations de viande de plus en plus difficiles. Tout comme les tarifs sur le bois d'oeuvre et la chute du marché immobilier ont mis à mal notre secteur forestier. Par contre, l'Alberta possède un des régimes fiscaux les plus avantageux en Amérique du Nord, elle n'est pas endettée, elle a investi beaucoup dans ses infrastructures, son système d'éducation et son régime de soins de santé sont excellents. Saviez-vous, par exemple, que notre système de garde et d'éducation pour les 0 à 12 ans se classe parmi les cinq meilleurs du monde ?

D.B. - Les coûts de construction en Alberta ont grimpé beaucoup plus vite que prévu. Que s'est-il passé ?

M.P. - Le gouvernement a choisi de ne pas réglementer le nombre de projets d'exploration acceptés. Il laisse le marché à lui-même et nous faisons aujourd'hui les frais de ce laisser-faire. Sans balises, les sociétés font ce qu'elles veulent; elles installent leurs chantiers les uns à côté des autres et sollicitent la même main-d'oeuvre. Il en résulte une pénurie et une hausse des salaires.

D.B. - Vue du Québec, l'Alberta a une économie peu diversifiée, elle dépend presqu'uniquement du secteur de l'énergie. Est-ce exact ?

M.P. - Oui et non. Le secteur de l'énergie est le catalyseur et la locomotive de notre écomonie, c'est vrai. Cependant, nous n'exportons pas que du pétrole et du gaz. Nous exportons nos technologies d'exploration, ainsi que notre expertise. Par exemple, pour financer nos projets, nous avons mis sur pied une grappe spécialisée qui vend ses services à de nombreuses sociétés d'énergie internationales. Cette grappe regroupe des firmes comme First Energy, qui possède un bureau à Londres pour servir le marché européen. Depuis sa fondation, First Energy a participé à plus de 850 financements pour un total de 60 milliards de dollars. Et puis, l'économie de l'Alberta se joue aussi dans nos universités. L'Université de l'Alberta a développé une expertise en nanotechnologies - surveillez l'essaimage de ces technologies au cours des prochaines années. Quant à l'Université de Calgary, elle a donné naissance à quelques sociétés de sans-fil.

D.B.- Diversifier votre économie, est-ce une préoccupation ?

M.P. - Nous avons eu cette discussion il y a plusieurs années déjà, mais elle n'est plus à l'ordre du jour. Soyons réalistes, on ne se lève pas un matin en disant: " Nous allons diversifier l'économie. " Il faut aller dans le sens du vent. Et chez nous, il souffle du côté du secteur de l'énergie.

D.B. - La presse négative qui entoure le secteur de l'énergie albertain incite-t-elle le gouvernement à revoir ses avenues de croissance ?

M.P. - Non. L'Alberta ne changera pas sa stratégie, l'avenir se décline du côté de l'énergie. Mais il est évident que nous travaillerons à réduire les émissions de CO2 et l'impact de cette initiative sur l'environnement.

D.B.- Cette mauvaise presse est-elle une source de contrariété ?

M.P. - Nous récoltons ce que nous avons semé. Les entreprises aussi bien que le gouvernement ont sous-estimé l'image négative que notre modèle économique susciterait dans un monde qui se soucie de plus en plus des changements climatiques. Personne n'a jugé bon de rétablir les faits. Le Canada ne compte que pour 2 % des émissions mondiales de CO2, et les plus grands émetteurs sont l'industrie des transports et l'énergie consommée par les particuliers. De plus, l'Alberta compte plus de deux milliards de dollars d'investissements pour des projets de captation d'émissions de CO2. Pourtant, ces initiatives ne sont pas connues ou incomprises. Ce qui revient au même : le travail de communication a été mal fait.

D.B.- Qui réhabilitera l'image de votre secteur énergétique ?

M.P. - Pour l'instant, personne ! Il n'y a aucun effort de concertation ni de coordination.

D.B.- Qui en est le responsable ?

M.P. - Définitivement, les entreprises. Soyons logiques et conséquents ! Ce serait un non-sens, dans une province qui prône la libre entreprise, que le gouvernement se mêle de ce dossier et livre bataille à la place des entreprises. À chacun son rôle et ses responsabilités. Le gouvernement réglemente, il définit des normes et s'assure de leur respect. Toutefois, c'est aux entreprises qu'il revient de veiller sur leur image, de faire connaître leurs initiatives, leurs projets et leurs valeurs à la population.

D.B. - Vous avez piloté le comité consultatif sur la stratégie énergétique future de l'Alberta. Quel a été votre principal défi ?

M.P. - Parler d'énergie est complexe, car c'est un secteur sous surveillance. Tous les enjeux que nous avons abordés en comité sont constamment sur la place publique : environnement, développement durable, empreinte écologique, etc. Mais, en marge de ces considérations, nous ne devions pas perdre de vue que l'énergie est soumise aux mêmes contraintes de compétitivité que tous les autres secteurs. Ce qui suppose une réglementation assez intéressante pour attirer des investissements. Cela vous donne une idée des discussions que nous avons eues entre nous pendant cinq mois.

D.B.- On reproche au gouvernement de l'Alberta son manque de vision à l'égard des revenus du pétrole : il les dilapide au lieu de les mettre de côté. Êtes-vous d'accord ?

M.P. - Nos détracteurs ont raison. Nous aurions dû économiser davantage. Mais cela pourrait bien changer, car le nouveau ministre des Finances, Ted Morton, étudie la situation. En fait, pour chaque dollar gagné dans ce secteur, il faudrait mettre de 25 à 30 ¢ à l'abri. Maintenant que nous émergeons de la récession et que nous allons vers l'équilibre budgétaire, la préservation de nos revenus énergétiques doit devenir une priorité.

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