Le géant de Bentonville, en Arkansas, a toujours contrôlé son message autant que ses prix. Walmart n'a jamais eu de dirigeant québécois. Simplement un pdg canadien.

Pourtant, au moment de fermer son magasin de Jonquière, en 2005, un dirigeant québécois aurait été précieux.

Résultat : Walmart souffre d'un problème d'image. Devant la critique, le détaillant a souvent choisi de se taire.

Depuis, le détaillant en a tiré des leçons et fait de nombreux efforts pour se rapprocher de sa clientèle. Il a revu sa structure et ses façons de faire. Une dirigeante québécoise, Chantal Glenisson, a été nommée à la mi-2006 pour diriger ses activités au Québec et dans l'Est canadien.

Le géant du commerce de détail est maintenant prêt à dévoiler sa nouvelle image. Et alors qu'il lance une offensive sur plusieurs fronts pour augmenter ses ventes au Québec, il s'ouvre pour une rare fois pour expliquer comment il compte regagner le coeur des consommateurs québécois.

Les enjeux sont grands. L'entreprise vise à maintenir sa domination dans un secteur très concurrentiel, le commerce de détail. Surtout, elle veut éviter la stagnation de ses revenus, comme c'est le cas depuis plusieurs années dans ses succursales américaines.

Une deuxième vie pour les vêtements George

Depuis la fin juillet, les clients de la succursale de Lachenaie, sur la rive nord de Montréal, expérimentent le nouveau rayon des vêtements George. Ceux-ci sont offerts chez Walmart depuis l'automne 2004. La marque George a été créée par le détaillant britannique Asda, acquis par Walmart en 1999. À plusieurs reprises, et à grand renfort de publicité, Walmart a tenté de rajeunir cette marque née au début des années 1990. George s'est même payé une apparition dans les pages de l'emblématique magazine Vogue. Sans succès. "Cette fois, nous avons revu et réduit l'assortiment et recruté une nouvelle responsable de la mode pour tout le Canada, explique Chantal Glenisson, vice-présidente principale de l'exploitation pour l'Est du Canada. Ce qui a été mis en place à la fin juillet à la succursale de Lachenaie est le résultat d'un an et demi de travail."

Marie-Claude Frigon, associée chez RSM Richter Chamberland et spécialiste du commerce de détail, a des doutes quant à la relance. "Depuis la récession, les consommateurs ne sont plus prêts à payer 300$ pour un nom sur une étiquette s'ils peuvent trouver de la qualité plus ou moins équivalente à moindre coût."

Même si les griffes abordables ont la cote, le fait de relancer une marque pour une seconde fois laisse Marie-Claude Frigon sceptique. "Lancer une nouvelle marque m'aurait paru plus stratégique, mais je connais les moyens dont dispose Walmart et son assiduité à tester les concepts avant de les lancer. J'en conclus qu'ils savent ce qu'ils font."

La façon dont la marque de vêtements Joe Style Frais, de Loblaw, a gagné le coeur des Canadiennes n'est probablement pas étrangère à la relance de George. Chantal Glenisson s'en défend, soulignant avec une fierté non dissimulée que "le magazine Châtelaine va consacrer une page aux souliers George".

Des pharmacies réinventées

Du rayon des vêtements, on passe à la pharmacie, que Walmart veut plus visible. Cet automne, tous les franchisés québécois afficheront la bannière Accès Pharma. "Nous voulons que notre rayon pharmacie devienne une marque", explique Chantal Glenisson.

Il y aura donc Jean Coutu, Pharmaprix et... Accès Pharma. "Nous mettons l'accent sur le conseil, nos pharmaciens franchisés vont élargir la gamme de services", explique la dirigeante. Une stratégie qui s'appuie sur deux tendances : le vieillissement de la population et le manque de temps, qui pousse les consommateurs à tout acheter à un seul endroit.

Pour attirer de nouveaux clients dans ses pharmacies réinventées, Walmart devra surmonter un obstacle de taille : la relation privilégiée que plusieurs consommateurs entretiennent avec leur pharmacien actuel.

"C'est le professionnel de la santé le plus accessible, celui que nous consultons le plus souvent, rappelle Marie-Claude Frigon. Ce lien de confiance est précieux. Va-t-on lui tourner le dos pour celui de Walmart parce que c'est plus pratique d'acheter ses pilules et son BBQ au même endroit ?"

Des clients étudiés sous toutes les coutures

Et si, après avoir acheté ses pilules et son BBQ, on pouvait aussi négocier son hypothèque ? C'était le grand rêve de Walmart il y a cinq ans. Après avoir déposé une demande aux États-Unis, en 2005, et au Canada, en 2008, pour ajouter des services bancaires complets à son offre, le détaillant a revu ses ambitions à la baisse. Il s'est heurté à trop d'opposition aux Etats-Unis. Le lobby des banques est puissant.

La Banque Walmart du Canada existe tout de même sur papier. Elle a été incorporée en juillet 2009. Ce serait une banque de l'annexe 2, autorisée, entre autres choses, à accepter les dépôts. Mais le géant du commerce de détail n'en est pas là. Pour l'instant.

Walmart Canada a d'autres tours dans son sac pour vendre davantage. Elle vient de lancer sa carte de crédit en association avec MasterCard. Une carte de crédit doublée d'une carte de fidélité qui permet d'accumuler des points sur tout achat fait chez Walmart (remise de 1,25 %) et une remise de 1 % pour les achats effectués chez les autres détaillants.

Walmart veut lancer sa carte au Québec dès que possible, mais la direction ne peut fournir de date précise. "Il nous reste des devoirs à faire, explique Chantal Glenisson. Les règles de divulgation de l'information pour les frais bancaires du Québec diffèrent de celles du reste du Canada et nous devons nous ajuster pour respecter la loi." S'il y a une chose que le géant tient à éviter, c'est de se faire prendre en défaut parce qu'il contrevient à la loi.

Pour un détaillant, posséder sa propre carte de crédit est une arme redoutable. "Imaginez la quantité de renseignements que vous recueillez sur votre clientèle, souligne Daniel Baer, associé de la firme Ernst&Young et leader canadien du secteur du commerce de détail. Liez ces infos à votre stratégie marketing Internet et vous envoyez des coupons de réduction personnalisés à chaque foyer."

Walmart n'est pas le seul à chercher de nouvelles façons d'en savoir plus sur ses clients. Fin 2009, Metro a formé une coentreprise avec l'expert britannique de forage de données de consommation dunnhumby pour raffiner sa mise en marché et fidéliser davantage sa clientèle. Une façon pour Metro de mieux rivaliser avec Walmart, avait dit Vishal Shreedhar, analyste chez UBS à la suite de l'annonce de cette alliance.

Autre avantage et non le moindre : la réduction des coûts associés aux transactions par carte de crédit. Plus d'intermédiaires. Pour une société comme Walmart, dont la stratégie repose sur la réduction des coûts, chaque économie a une valeur inestimable.

Les supercentres encore à l'étude

Il y a un concept dont on parle depuis plus de 10 ans et qui demeure toutefois une vue de l'esprit au Québec : les supercentres. Il s'agit d'un Walmart doublé d'une épicerie.

On en trouve 98 au Canada, les 3 premiers ont été ouverts en novembre 2006; 35 à 40 devraient s'ajouter en 2010. Plusieurs experts croient que Walmart n'a pas terminé d'étudier ce marché, que les Québécois sont attachés à leurs chaînes locales et qu'il faut bien comprendre ce marché pour se tailler une place.

"Tout comme nous avons sélectionné des fournisseurs pour le programme Achat Québec, il faut du temps pour dénicher les fournisseurs locaux de produits frais qui alimenteront nos supercentres québécois", dit Chantal Glenisson.

L'approvisionnement est la pierre angulaire de la stratégie de Walmart, estime Daniel Baer. "Vous voulez savoir quand le premier supercentre ouvrira au Québec ? Surveillez la construction du premier centre de distribution pour produits frais. Sans entrepôt, il n'y aura pas de supercentre."

diane.berard@transcontinental.ca